|
La contamination extraterrestre
Des nitriles sur Jupiter (III) Dans notre quête de traces de vie, Jupiter est d'un grand intérêt pour les chercheurs parce qu'il est resté dans une phase initiale, en formation. Son atmosphère réductrice contient des traces de méthane (CH4), d'acide cyanhydrique (HCN), d'hydrocarbures et d'aérosols organiques. Si de l'énergie est disponible, il est prouvé que la matière organique peut se former. Lors de simulations de la matière rouge-brun, un polymère nitrile, de formule générale R-C≡N ou cyanure (-CN) fut synthétisé. Il suggère fortement la coloration de la Grande Tache Rouge jovienne ou des petits vortex de Saturne et d'Uranus. Cette couleur rouge-orangée peut aussi s'expliquer par la décomposition par photolyse de la phosphine (PH3) en phosphore rouge. A leur tour, le physicien Kevin Baines de l'équipe scientifique de Cassini au JPL ainsi que Bob Carlson et Tom Momary du JPL ont étudié la question à partir des données transmises par la sonde Cassini en décembre 2000 et les ont comparées aux résultats d'expériences chimiques en laboratoire. Ils ont bombardé un mélange contenant les deux principaux gaz qu'on retrouve au sommet de l'atmosphère de Jupiter, l'ammoniac (NH3) et l'acétylène (C2H2) avec de la lumière ultraviolette de 214 nm reproduisant l'énergie solaire. Les résultats de leur analyse publiés dans la revue "Icarus" indiquent que la photolyse forma une matière orange composée d'azo (R-N=N-R'), diazo (R2C=N2) et d'azine aliphatique (RR'C=N-N=CRR') dont la couleur correspondait aux observations de Cassini. Selon Baines, leur modèle suggère que la Grande Tache Rouge présente une couleur fade en dessous de la couche colorée orange. En effet, sur Jupiter les vents de tempête transportent les particules glacées d'ammoniac dans la haute atmosphère, les exposant à la lumière solaire. Du fait que ces vortex sont en rotation comme les ouragans sur Terre, les particules d'ammoniac ne peuvent s'échapper. Cela crée une coloration orangée permanente au sommet de la dépression formée par la Grande Tache Rouge. Comme sur Terre, où des organismes même de grande taille vivent dans l'eau et dans l'atmosphère, il n'est pas besoin de quelque chose de solide pour porter la vie. La vie peut donc parfaitement évoluer dans l'atmosphère de Jupiter, mais aussi de Saturne ou d'Uranus. Il peut s’agir de bactéries telles qu'on en trouve dans notre atmosphère jusqu'à 16 km d'altitude. Mais les profondeurs de Jupiter cachent de violents courants verticaux qui menacent leur survie.
Pour les biochimistes, ces bactéries évolueraient vers les 80 km de profondeur dans l'atmosphère jovienne. Il est aussi possible que ces organismes baignent dans un milieu où la température soit celle d'une confortable pièce de séjour, ce qui tendrait à renforcer l'hypothèse selon laquelle certaines formes de vie rudimentaires existeraient dans l'atmosphère supérieure du géant jovien. L'hypothèse se trouve confirmée lorsqu'on apprend que sous l'épaisse ceinture colorée, la température est proche de 0°C, niveau de liquéfaction de l'eau et qu'elle croît en se rapprochant du noyau de la planète, tout comme la pression. Europe : sels hydratés et molécules hydrocarbonées Le satellite Europe de Jupiter est un lieu propice au développement possible d'une forme élémentaire de vie. Europe est la seule lune du système solaire disposant d’une atmosphère extrêmement tenue d'oxygène moléculaire mais elle n'est pas d'origine organique. Néanmoins sa surface présente une certaine activité avec des traces sombres remontant de l'intérieur, elle subit visiblement une fonte partielle suite à l'effet de marée et semble cacher des étendues liquides sous sa surface glacée. Des plumes de vapeur d'eau s'élevant jusqu'à 160 km d'altitude ont également été détectées près du pôle Sud. C'est un lieu propice au développement d'une chimie organique extraterrestre. On y reviendra dans l'article intitulé "Vivre dans la glace".
Titan : méthane et tholine Avec ses 5150 km de diamètre, Titan, le principal satellite de Saturne est plus grand que la Lune et même plus grand que Mercure. Titan cache sa surface sous une épaisse atmosphère froide et opaque de couleur orange. Lorsque Voyager 2 le survola en 1981, les informations qu’il recueillit ont permis de conclure que son atmosphère était 10 fois plus massive que celle de la Terre et contenait principalement de l'azote, jusqu’à 10% de méthane (CH4), de l'argon, un peu d'ammoniac (NH3) mais pratiquement pas d'hydrogène moléculaire et aucune trace d'oxygène. Mis à part le manque d'eau et une température glaciale, c'est l'atmosphère idéale pour une chimie prébiotique. Et de fait, le détail le plus significatif fut la découverte d'hydrocarbures, d'acide cyanhydrique (HCN), plusieurs nitriles - HCN, HC3N, C2N2 et même de l'acrylonitrile (ou cyanide de vinyle, C2H3CN), premiers pas dans l'élaboration de la longue chaîne des bases nitrées A, G, C, T qui synthétisent les briques du vivant.
Nous savons que le méthane est instable dans un milieu oxygéné, il s'oxyde pour former du gaz carbonique. Dans ces conditions, privé d'oxygène, Titan peut paradoxalement abriter la vie. Le phénomène apparaît obligatoire une fois les conditions chimiques et physiques réunies. Mais si l'on trouve des sucres et des acides aminés, ce n'est pas encore la vie. Physiquement Titan reste trop froid, il n'y a pas d'effet de serre, il fait -179°C au sol. Des relevés radars[9] effectués depuis 1990 ont révélé l'existence de vastes régions présentant un pouvoir réfléchissant très élevé. Grâce aux images infrarouges recueillies par le Télescope Spatial Hubble en 1995, Stanley Dermott et Carl Sagan[10] ont découvert des variations dans l'albedo de surface ou de la topographie dont l'origine la plus probable serait liée à des phénomènes de marées, vraisemblablement provoqués par les mouvements de lacs de méthane ou d’éthane liquides bordant un continent grand comme l’Australie. En 2004, des images infrarouges et polarisées réalisées par la sonde Cassini ont confirmé l'existence de plusieurs types de reliefs.
Dans le ciel, entre 150 et 200 km d'altitude Voyager repéra des nuages et de la pluie de méthane ainsi que des couches de brume glacées entre 200 et 300 km d'altitude. Ces brumes et ces aérosols permettent aux rayons solaires de synthétiser de l’HCN dans un milieu gazeux. Ces composés organiques sont entraînés dans la circulation atmosphérique. Quelques-uns s'accumulent dans les lacs ou les rivières de méthane mais la plupart finissent sur le sol gelé où ils sont irradiés par le rayonnement ultraviolet solaire. Cet écosystème est similaire à la phase prébiotique que connut la Terre il y a plus de 3 milliards d’années, l'eau, la chaleur et l'effet de serre induit par le gaz carbonique en moins. Des expériences prébiotiques conduites par Carl Sagan[11] ont permis de simuler l’abondance des éléments observés dans l’atmosphère de Titan. Ces expériences simulant la pression et la composition à différents niveaux de son atmosphère démontrent que le rayonnement ultraviolet et le bombardement électronique associé aux aurores - simulés par des décharges électriques - suffisent à créer une matière organique orange sombre ou brune riche en composés aromatiques polycycliques et autres hydrocarbures. Cette matière est composée de tholine comme la nommée Carl Sagan et ses collègues dans un article publié dans la revue "Icarus" en 1990, c’est-à-dire d"un mélange de gaz N2/CH4 contenant 0.1% de CH4 produits par des électrons magnétosphériques et peut-être des hydrocarbures dérivés du C2 attaqués par le rayonnement ultraviolet. On peut aussi produire cette substance avec du méthane combiné à de l'ammoniac et de l'eau. Alternativement, la tholine peut se former par dissociation ou ionisation de molécules organiques qui se combinent pour former des benzènes qui produisent des ions qui facilitent la formation de tholine. Cette substance présente le même spectre optique que celui observé dans les brumes de Titan qui lui donnent son aspect orangé. Notons comme l'a montré Carl Sagan et ses collègues en 1986, à l'instar des nitriles, combinées avec de l’eau, ces tholines forment des acides aminés, des nucléotides et d’autres molécules essentielles à la vie. Si la vie est apparue sur Terre en l’espace de 100 millions d"années, 1000 ans seraient peut être suffisant sur Titan, à partir du moment où un impact météoritique formerait de grands lacs d"eau mêlés de glace. On peut aussi imaginer que la chimie du carbone peut émerger sans eau. Celle-ci peut-être remplacée par le méthane ou l'ammoniac, l'azote remplaçant l'oxygène. Dans ce cas, les macromolécules pourraient se déshydrater en libérant de l'ammoniac plutôt que de l'eau. Seules les liaisons amines des acides aminés seraient plus aléatoires. De ces associations "pseudo-peptidiques" pourraient surgir des protéines, des pseudos ADN et ARN qui pourraient se développer dans le méthane ou l'ammoniac. Titan serait ainsi le berceau d'une autre forme de vie, plus instable certainement, mais tout aussi envisageable. Si de telles créatures existaient, elles s’écriraient non pas "J'ai soif, de l'eau", mais "de l’ammoniac, de l'ammoniac" !
L'atmosphère de Titan est un laboratoire exceptionnel pour les biochimistes qui se sont empressés d'y envoyer la sonde Cassini-Huygens qui atteignit Saturne en 2004. La sonde Huygens fut larguée à 1000 km d'altitude au-dessus de Titan début 2005 et récolta des données physiques et biochimiques durant les 2h30 heures que dura la descente dans l'atmosphère. Nous reviendrons en détails sur cette mission exceptionnelle, où pour la première fois nous avons découvert le visage de la chimie prébiotique extraterrestre. Toutefois, à l’heure actuelle, nous n'avons pas encore découvert de chimie prébiotique active sur Titan. Encélade : une source d'énergie chimique Bien que le satellite Encélade de Saturne est très éloigné de la Terre - plus de 9.5 UA soit environ 1.5 milliard de kilomètres ou 3850 fois la distance Terre-Lune - , il est très intéressant sur le plan exobiologique. Observé en contre-jour en 2005 par la sonde Cassini, d'immenses plumes ou geysers sont apparus au-dessus des régions fracturées du pôle Sud, projetant des gaz jusqu'à 505 km d'altitude qui retombent lentement sous forme de paillettes sur le sol glacé. Ces aérosols sont portés à une température de 0°C soit 200° plus chauds que la surface de cette lune. Les chercheurs ont également découvert des preuves qu'un océan se cache sous la croûte glacée d'Encélade et alimente les panaches, représentant une puissante source d'énergie chimique. La source d'énergie se présente sous la forme de plusieurs composés organiques dont certains, sur Terre, fournissent l'énergie vitale aux organismes. Cet océan situé à 30 ou 40 km sous la couche de glace est salé et présenterait un pH de 11 à 12 (cf. G.R. Glein et al., 2015). Sur Encélade, ces jets de vapeur contiennent de l'eau (H2O), des poussières mais également du méthane (CH4), de l'ammoniac (NH3), de l'hydrogène moléculaire (H2), de l'acétylène (C2H2), du monoxyde de carbone (CO), du dioxyde de carbone (CO2) et même des amines de faible masse (cf. N.Khawaja et al., 2019), bref les éléments indispensables à la formation des acides aminés et donc à l'origine de toute forme de vie. Les chercheurs ont également détecté dans ces plumes d'eau glacée de l'azote et de l'argon ainsi que d'autres molécules riches en carbone contenant entre 50 et plus de 200 atomes, c'est-dire dix fois plus lourdes que le méthane (cf. W.S.Lewis et al., 2009 et SwRI, 2018). En examinant les données archivées de la sonde spatiale Cassini, le doctorant Jonah S. Peter de l'Université d'Harvard et ses collègues du JPL ont découvert dans les panaches d'Encélade des composés organiques qui avaient déjà été identifiés mais également de nouvelles molécules très intéressantes comme l'acide cyanhydrique (HCN), l'éthane (C2H6), le propylène ou propène (C3H6) et le méthanol (CH3OH). Comme illustré ci-dessous, leur degré d'oxydation varie en fonction de leurs affinités chimiques et de leur exposition aux rayonnements (cf. J.S. Peter et al., 2023 et en PDF).
Selon Peter, "le bombardement électronique de la surface d'Encélade pourrait faciliter la production d'oxydants et de molécules prébiotiques observés dans le panache. Ces composés pourraient potentiellement soutenir les métabolismes redox à médiation biologique ou se polymériser pour former des précurseurs nucléiques et des acides aminés à l’origine de la vie. L'H2 et l'O2 détectés dans le panache pourraient agir respectivement comme de puissants agents réducteurs et oxydants et pourraient être responsables de la diversité chimique rédox observée sur Encélade." "Nos travaux fournissent une preuve supplémentaire qu'Encélade héberge certaines des molécules les plus importantes à la fois pour créer les éléments constitutifs de la vie et pour maintenir cette vie par le biais de réactions métaboliques. Non seulement Encélade semble répondre aux exigences fondamentales d'habitabilité, mais nous avons maintenant une idée de la manière dont des biomolécules complexes pourraient s'y former et des types de voies chimiques qui pourraient être impliquées. La découverte d'acide cyanhydrique fut particulièrement passionnante, car c'est le point de départ de la plupart des théories sur l'origine de la vie."
Pour rappel, l'HCN est l'une des molécules les plus importantes et les plus polyvalentes nécessaires à la formation des acides aminés. Du fait que la molécule d'HCN peut être agencée de différentes manières, Peter et ses collègues la considèrent comme le couteau suisse des précurseurs des acides aminés. De plus, la combinaison de dioxyde de carbone, de méthane et d'hydrogène dans les panaches de gaz suggère une méthanogenèse, un processus métabolique qui produit du méthane. Sur Terre, la méthanogenèse est répandue et pourrait avoir joué un rôle essentiel dans l'origine de la vie sur notre planète. Toutes ces données suggèrent aux scientifiques qu'il existe de nombreuses voies chimiques pour potentiellement maintenir la vie dans l'éventuel océan souterrain d'Encélade, d'autant plus que l'oxydation contribue à la libération d'énergie chimique. Selon Kevin Hand du JPL et coauteur de cet article, "Si la méthanogenèse est comme une petite pile de montre, en termes d'énergie, alors nos résultats suggèrent que l'océan d'Encélade pourrait offrir quelque chose de plus proche d'une batterie de voiture, capable de fournir une grande quantité d'énergie à toute vie qui pourrait être présente." Contrairement aux recherches antérieures qui utilisaient des expériences en laboratoire et une modélisation géochimique pour reproduire les conditions découvertes par la sonde Cassini sur Encélade, les auteurs se sont appuyés sur des analyses statistiques détaillées des données du spectromètre de masse de Cassini. Selon Peter, "Il existe potentiellement de nombreuses façons d'assembler les pièces de puzzle pour essayer de faire correspondre les données observées. Nous avons utilisé les mathématiques.", sous-entendant que leurs résutats pourraient refléter une réalité : cette chimie est peut-être la trace d'une vie rudimentaire existant dans l'océan souterrain d'Encélade. Mais seule une mission in situ pourrait valider cette hypothèse. La NASA met à disposition des chercheurs les données brutes des différentes missions spatiales via le Planetary Data System (PDS) dont les données collectées par l'instrument Cosmic Dust Analyzer (CDA) de Cassini qui échantillonna des particules de glace d'Encélade dans l'anneau E de Saturne et dans les jets de vapeur entre 2005 et 2017. Beaucoup plus de particules glacées furent recueillies par le DCA lorsque Cassini traversa l'anneau E que lorsqu'elle traversa les jets de vapeur d'Encélade, de sorte que les scientifiques ont pu examiner un nombre beaucoup plus important de données à cet endroit. Les analyses antérieures des grains de glace d'Encélade ont révélé des concentrations importantes de sodium, de potassium, de chlore et des macromolécules telles que des carbonates et des composés organiques précurseurs de la vie tels que des acides aminés, autant de facteurs qui suggèrent que l'océan souterrain d'Encélade abrite des conditions habitables (cf. F.Postberg et al., 2018) Cette fois, les chercheurs ont découvert de fortes concentrations de molécules chimiquement liées d'hydrogène, d'oxygène, de sodium et de phosphore, bref du phosphate de sodium (Na3PO4) à l'intérieur de certains de ces grains. Les chercheurs ont ensuite réalisé des expériences en laboratoire et montré que l'océan d'Encélade contient du phosphore, lié à différentes formes de phosphate en soluté (solubles dans l'eau), dans des concentrations au moins 100 fois supérieures à celles des océans terrestres. A partir des données de Cassini, une modélisation géochimique thermodynamique et cinétique a également montré que des minéraux peuvent se dissoudre dans l'océan d'Encélade, conduisant à la formation de sels (Na+, K+, Cl-, HCO3-, CO32-) et à la conductivité de l'eau ainsi que de phosphate (PO43-), un composé à base de phosphore, un ingrédient clé de la vie telle que nous la connaissons (cf. F.Postberg et al., 2023). Pour rappel, le phosphore est l'un des éléments essentiels des processus biologiques. Sous forme de phosphates, il est essentiel pour la fabrication de l'ADN, de l'ARN, de l'ATP transportant l'énergie, il est présent dans les os, dans les membranes cellulaires et même dans le plancton des océans terrestres. Sans le phosphore la vie ne serait tout simplement pas possible.
Selon Frank Postberg, planétologue à l'Université Libre de Berlin, auteur principal de cet article et qui étude Encélade depuis le début de la mission Cassini, "Nous avions déjà découvert que l'océan d'Encelade contenait unet riche variété de composés organiques. Mais à présent, ce nouveau résultat révèle la signature chimique claire de quantités substantielles de sels de phosphore à l'intérieur de particules glacées éjectées dans l'espace par le panache de la petite lune. C’est la première fois que cet élément essentiel est découvert dans un océan au-delà de la Terre." Selon Christopher Glein, planétologue et géochimiste au SwRI, coauteur de cet article et déjà connu pour son étude du pH de l'océan d'Encélade, " Les concentrations élevées de phosphate résultent des interactions entre l’eau liquide riche en carbonate et les minéraux rocheux du fond océanique d’Encelade et peuvent également se produire sur un certain nombre d’autres mondes océaniques. Cet ingrédient clé pourrait être suffisamment abondant pour potentiellement soutenir la vie dans l’océan d’Encelade ; c’est une découverte étonnante pour l’astrobiologie." Ce phosphate pourrait également être abondant dans d'autres mondes océaniques glacés du système solaire externe, en particulier ceux qui se sont formés à partir de glace primordiale contenant du dioxyde de carbone et où l'eau liquide peut facilement s'infiltrer et être stockée dans les roches. Cette découverte est significative car plusieurs astres du système solaire abritent un océan sous leur surface. Outre Encélade, il y a Europe, Titan et Pluton. Les hypothèses antérieures selon lesquelles le phosphore serait rare dans l'océan d'Encélade, minimisant ainsi la possibilité de trouver de la vie, ont ainsi été invalidées par cette nouvelle preuve, ajoutant un indice de plus en faveur d'une possible vie extraterrestre. Mais comme le souligne Glein, "Disposer des ingrédients est nécessaire, mais ils ne suffiront peut-être pas à créer un environnement extraterrestre propice à la vie. La question de savoir si la vie a pu naître dans l'océan d'Encelade reste ouverte." En effet, même nous savons comment créer la vie, aucun laboratoire n'est parvenu à la créer spontanément à partir des ingrédients de base. Si elle peut émerger ailleurs que sur la Terre, on sera tous curieux de savoir comment cela est possible et quel est cet ingrédient vital qui manque encore à toutes nos expériences de laboratoire. De l'hydrogène en abondance Grâces aux capteurs de la sonde spatiale Cassini, en 2017 J.Hunter Waite du SwRI et ses collègues ont découvert que les geysers d'Encélade contenaient jusqu'à 1.4% d'hydrogène (H2), le dernier élément clé qui confirme l'existence d'une activité hydrothermale sous la croûte glacée de cette lune. Cette abondance d'hydrogène vient s'ajouter au méthane, au gaz carbonique et à la production d'énergie chimique. Selon les chercheurs, l'abondance de ces éléments se situe juste au-dessus du seuil minimum d'énergie requis pour entretenir une méthanogénèse (la production de méthane par les micro-organismes) mais on ignore si un tel processus existe sur cette lune. A voir : Ingredients for Life at Saturn’s Moon Enceladus?, NASA
Sur Terre, il existe peu de molécules d'hydrogène dans les océans car les microbes les absorbent très rapidement. Mais sur Encélade, cela signifie que les conditions sont réunies pour entretenir une forme de vie dans les entrailles obscures d'Encélade, un peu à la manière des fumeurs hydrothermales terrestres qui permettent à de nombreuses formes de vie de survivre et même de s'épanouir malgré l'absence totale de rayonnement solaire. Si cela reste une hypothèse, l'instrument INMS (Ion and Neutral Mass Spectrometer) de Cassini a permis aux chercheurs d'identifier plusieurs amines de faible masse dans les geysers d'Encélade : du méthyl-amine, du diméthyl-amine et de l'éthylamine, ainsi que des carbonyles (dont probablement l'acide acétique et l'acétaldéhyde). Ces molécules sont enchassées dans certains grains de glace dont la taille molaire peut atteindre quelques centièmes de mole (cf. N.Khawaja et al., 2019). Il reste toutefois beaucoup d'incertitudes avant que les astronomes puissent affirmer que la vie existerait sur Encélade. En effet, il faut à présent identifier et comprendre les processus qui régulent les échanges de matière et de chaleur à travers la structure interne d'Encélade et sur les autres lunes glacées et ensuite découvrir ces fameux éventuels organismes. Seule une visite in situ apportera éventuellement cette confirmation. En attendant cette mission d'exploration, selon une étude conduite par le planétologue Paul Byrne de l'Université de Caroline du Nord et ses collègues en 2018, en raison du poids de la glace et de l'eau sur le soubassement rocheux, ces lunes glacées ont toutes les chances d'être géologiquement et biologiquement mortes. Mais peut-être se trompent-ils étant donné qu'ils n'ont pas toutes les données en main. Triton Triton, le plus gros satellite de Neptune fut visité par Voyager 2 en 1989. Bien que sa surface soit solide et gelée, une activité volcanique intense perdure sur ce satellite isolé à plus de 4 milliards de kilomètres du Soleil. Sa surface est composée d'azote et de méthane gelés, entourée d'une atmosphère ténue jusqu'à 50 km d'altitude.
Sa surface subit des variations saisonnières de quelques dizaines de degrés tandis que les saisons durent 41 ans. Dans les conditions d'une chimie organique, toute molécule qui traverse la brume de méthane frappe la surface et entraîne sa transformation en polymères hydrocarbonés. Périodiquement ces composants organiques sont recouverts de glaces amenés par les éruptions cryovolcaniques. Mais le froid extrême (inférieur à -165°C) empêche a priori l'évolution de la vie. Des lunes géologiquement mortes ? Les missions spatiales Galileo vers Jupiter et Cassini vers Saturne nous ont apporté des preuves que certaines lunes des planètes géantes cachent des océans globaux réchauffés par l’attraction de la planète géante autour de laquelle elles gravitent. Plus près de nous, dans les abysses des océans terrestres, des explorateurs ont découvert des communautés d'organismes y compris une macrofaune vivant dans l’obscurité autour des évents volcaniques situés sur les dorsales océaniques. En combinant les deux milieux où règnent des conditions extrêmes, les exobiologistes les plus optimistes imaginent déjà les fonds marins des autres lunes du système solaire regorgeant de microbes voire d'organismes plus évolués. Mais cette hypothèse est-elle réellement plausible ? Peut-on essayer de la valider du moins théoriquement à défaut de pouvoir explorer tout de suite ces mondes in situ ?
Au cours de la conférence d'automne (Fall Meeting) tenue par l'AGU en 2018 à Washington, le planétologue Paul Byrne de l'Université d'État de Caroline du Nord a répondu à cette question : "Nous nous demandions à quoi ressemblerait ces mondes extraterrestres, non seulement sur le plan biologique mais aussi sur le plan géologique, si nous étions dans un sous-marin et survolions le fond marin des lunes océaniques de Jupiter et de Saturne." A partir de toutes les données et les modèles que nous possédons pour chacun des lunes Europe et Ganymède de Jupiter ainsi qu'Encélade et Titan de Saturne, l'équipe a calculé la pression exercée sur la roche au fond des océans, c'est-à-dire en tenant compte de la pression exercée par la glace et par l'épaisseur de liquide sur le soubassement rocheux. Bien que beaucoup de questions restent sans réponse, il s'avère que les calculs de la résistance de la roche - les mêmes que ceux effectués sur Terre pour les opérations minières - sont assez réalistes. Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont supposé que la couche de roche est solide et froide et repose sur une couche plus chaude et pâteuse qui ne peut pas être facturée. Byrne prend une analogie : pensez à une barre chocolatée de Mars à l'interface où le chocolat touche le caramel. Cette profondeur correspond à l'épaisseur de la couche fragile et rigide. Plus cette couche est épaisse, plus il est difficile de casser la barre chocolatée. Ensuite, l'équipe ajouta d'autres valeurs, telles que la gravité du corps à une profondeur définie et le poids de l'eau et de la glace au sommet de la surface rocheuse de la lune. Même lorsqu'ils manquaient de données et incluaient une plage de valeurs plausibles, les calculs finaux se situaient toujours dans la même plage pour chaque lune. Ces résultats suggèrent que la roche est si résistante qu'il n'existe aucune force connue sur ces lunes suffisamment puissante pour la fissurer. C'est la conséquence du poids que l'eau et la glace exercent sur la roche. Selon Byrne, même si la gravité est assez faible, il y a beaucoup d'eau au-dessus du soubassement rocheux et cela suffit à empêcher l'apparition de failles ou de fractures. Chaque lune étudiée par les chercheurs montra une résistance différente de la roche mais dans tous les cas, les résultats sont similaires et confirment que ces lunes ne sont pas particulièrement prometteuses sur le plan géologique ou biologique. Selon Byrne, "pour Europe, il paraît vraiment difficile de fracturer la roche, et quand on regarde Titan et Ganymède, les chiffres confirment que rien ne peut se produire dans ces mondes." Les valeurs de résistance de la roche d'Encélade ne sont pas aussi sombres car cette lune est beaucoup plus petite que les trois autres, ce qui réduit le poids de l'eau et de la glace sur sa surface rocheuse. La surface d'Encélade est également différente des autres lunes car son noyau rocheux est plus poreux. Si ces pores s'alignaient, ils pourraient permettre à l'eau de percoler profondément dans la lune. Selon Byrne, "c'est dans les limites de la vraisemblance qu’Encélade soit réellement humide et détrempée de part en part." Autrement, c'est peu probable. Mais contrairement aux autres lunes, les astronomes ont des preuves suggérant que la roche et l'eau interagissent sur Encélade à travers des geysers d'eau salée contenant des composés organiques qui percent la croûte glacée et sont propulsés dans l'espace. C'est l'une des rares lunes favorable à une exobiologie.
Si les fonds marins de toutes ces lunes sont trop durs pour être fracturés, il est difficile d’imaginer qu’il pourrait se passer quelque chose sur ces mondes. Sur Terre, deux principaux facteurs influent sur le fond marin : le lessivage des continents et les résidus des créatures marines mortes. Or vraisemblablement aucun de ces phénomènes n'existe sur ces lunes. Les missions spatiales vers les lunes de Jupiter et de Saturne n'ont pas révélé de cicatrices laissées par des impacts qui seraient suffisamment importants pour avoir une incidence récente sur le fond marin. Selon les calculs, la roche est trop dure pour permettre à ces lunes de se contracter ou de former des chaînes volcaniques ou des zones de fractures (rift) comme sur Mercure. Cela signifie qu'une exploration sous-marine de ces lunes ne révélera probablement rien et sera terriblement ennuyeuse. Selon Byrne, "en gros, cela revient à dresser la liste des choses à ne pas faire" . En résumé, ces lunes ressemblent à une boule de billard avec une surface rocheuse étrangement lisse. Ceci dit, Byrne souligne que ces résultats ne sont pas définitifs. Les chercheurs confirment qu'ils seront certainement critiqués et qu'il faudra probablement des décennies avant que les scientifiques puissent rassembler les données dont ils pourraient avoir besoin pour vraiment tester leur hypothèse - ce qui nécessiterait d'installer des sismomètres sur ces fonds marins extraterrestres. Rappelons qu'on commence juste à installer de tels sismomètres sur autre planète grâce au lander InSight qui s'est posé sur Mars fin 2018. Mais Byrne reste philosophe et estime qu'il est possible qu'il se soit trompé et que finalement nous trouvions "des choses intéressantes sur ces mondes car ils sont froids et il y a peut-être de la vie là-bas. Mais si nous avons raison, cela signifie que nous devons reconsidérer ces mondes en tant que destinations habitables ou pour explorer les conditions d'habitabilité." Un jour, nous saurons si nous devons oublier ces mondes ou continuer de rêver à leur exploration. Connaissant la curiosité des hommes, un jour ou l'autre des sondes spatiales se poseront sur ces lunes glacées. L'habitabilité de Pluton, le coeur du problème La planète naine Pluton se trouve dans les régions glacées et sombres du système solaire, dans la Ceinture de Kuiper où la température varie entre -240°C à l'ombre et -203°C au Soleil. À première vue, ce n'est pas un endroit propice à la vie ni à la formation de molécules prébiotiques. Or nous savons que les comètes et les astéroïdes carbonés qui évoluent dans ces régions abritent des molécules complexes dont des acides aminés (voir page suivante).
Lors de son survol de Pluton en 2015, la sonde spatiale New Horizons de la NASA a recueilli des données suggérant que Pluton possède bon nombre des caractéristiques requises pour abriter la vie. Ce petit astre de 2369 km de diamètre, plus petit que la Lune (Ø 3476 km) et même plus petit que les satellites galiléens pourrait même prétendre se classer parmi les candidats habitables aux côtés des lunes glacées d'Europe, Titan et Encélade. Depuis sa découverte en 1930, les scientifiques savaient peu choses sur Pluton jusqu'à ce que New Horizons l'étudie en détails. Les images qu'elle renvoya montrent un monde étonnamment diversifié et actif, avec des montagnes, des vallées, des failles, des glaciers d'azote solide et une atmosphère stratifiée, fine et brumeuse. Pluton est-elle habitable ? L'habitabilité d'un environnement s'évalue généralement en termes d'énergie, de molécules organiques et d'eau liquide disponibles. Pluton dispose sans le moindre doute d'énergie. Même avant la mission New Horizons, les planétologues connaissaient suffisamment bien la densité de Pluton (2.03) pour en déduire que sa masse était composé d'environ deux tiers de roche et d'un tiers de glace. Tout comme sur Terre, la désintégration radioactive qui se produit dans les roches libère de la chaleur depuis des milliards d'années. C'est la principale source d'énergie de Pluton qui lui fournit suffisamment de chaleur pour réchauffer les roches intérieures près de leur point de fusion. D'autres sources de chaleur, telles que l'énergie gravitationnelle libérée lors de la formation de Pluton, sont plus faibles mais pourraient contribuer à un réchauffement supplémentaire. Actuellement, on ignore si la désintégration radioactive entraîne d'éventuelles interactions chimiques entre l'eau et la roche comme cela se produit sur les dorsales médio-océaniques sur Terre, mais il est clair que Pluton dispose de la puissance nécessaire. Pluton possède également des molécules organiques. L'atmosphère contient environ 0.5% de méthane. Plus important encore, New Horizons a découvert que le rayonnement UV solaire brise ces molécules et produit divers hydrocarbures simples, notamment l'acétylène, l'éthylène et l'éthane. De la glace de méthane est également présente à la surface de Pluton, tout comme un matériau rougeâtre qui est probablement issu d'aérosols atmosphériques formant une brume d'hydrocarbures qui se dépose sur le sol. La surface contient donc des molécules organiques qui pourraient fournir les ingrédients de la vie. Bien qu'on ne possède pas la preuve qu'il existe un mécanisme capable de transporter ces molécules jusqu'à un éventuel océan souterrain, des études sur les comètes montrent que l'intérieur de certaines lunes du système solaire externe peut également être riche en composants similaires.
Reste à déterminer si Pluton possède de l'eau liquide. Il faut donc trouver un endroit où la température remonte au-dessus de 0°C. Comme expliqué précédemment, la désintégration radioactive des roches libère suffisamment de chaleur pour faire fondre la glace. A ce jour, rien ne garantit qu'un océan existerait sous la surface de Pluton. En effet, la couche de glace superficielle est un isolant qui de plus peut subir une convection lente, tout comme le manteau de silicate de la Terre ou de l'huile sur le feu : une zone de convection dissiperait la chaleur interne trop rapidement pour qu'un océan ait le temps de se former. Cette seule théorie ne permet pas donc pas de déduire que Pluton posséderait un océan d'eau liquide sous sa surface glacée. Pour le prouver, nous devons faire appel aux observations spatiales (cf. Les indices qu'il existerait un océan sur Pluton). En résumé, nous savons que l'intérieur de Pluton est encore chaud, des molécules organiques sont présentes (du moins en surface) et elle possède très probablement un océan souterrain. Pluton répondrait donc favorablement aux critères de base d'habitabilité. Mais cela n'implique pas que Pluton serait un refuge pour la vie, car le degré d'interaction entre l'océan et les couches situées au-dessus et en dessous peut être faible. Bien qu'un noyau rocheux fracturé puisse efficacement transférer de la chaleur et peut-être des matières organiques à un océan situé au-dessus, nous ne savons pas si un tel mécanisme existe. Si la seule source de matière organique provient de dérivés atmosphériques, la couche superficielle devrait être en mouvement pour alimenter l'intérieur. Or les données indiquent que la couche superficielle est froide et rigide. Pluton n'est donc pas un astre aussi séduisant qu'Europe ou Encélade, dont les océans sont recouverts de fines couches de glaces mobiles. Mais il pourrait tout de même s'agir d'un environnement plus propice à la vie que les mondes de Titan ou Ganymède, où une épaisse couche de glace pressurisée bloque le contact direct entre l'océan et les rochers situées en dessous. Enfin, Pluton génère suffisamment de chaleur pour entretenir un océan souterrain pendant des milliards d'années. Les preuves accumulées jusqu'à présent suggèrent qu'un tel océan existe, bien qu'il reste très probablement piégé sous une couche épaisse et rigide mais qui serait détectable par un futur orbiteur. Gardons également à l'esprit que Pluton n'est pas unique : d'autres petits corps de la Ceinture de Kuiper ont des tailles similaires et possèdent très probablement aussi des océans. Ainsi, les confins du système solaire ne sont pas aussi hostiles qu'on l'imagine. Malgré le froid et l'obscurité, Pluton et les KBO peuvent représenter des oasis relativement accueillantes. Prochain chapitre Les comètes, boules de "CHON" sales
|