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La vie selon Freeman Dyson

Entre science et fiction

Ainsi que le philosophe et logicien britannique Ludwig Wittgenstein l'a écrit [1] : Nous avons l'impression que même lorsque toutes les questions scientifiques auront été résolues, notre problème restera posé.

Qu'adviendra-t-il de l'Humanité ou de toute autre forme de vie le jour où les étoiles s'éteindront toutes et que l'Univers ne contiendra plus que des trous noirs, baignant dans un rayonnement toujours plus dissipé comme le prédit le Big Freeze ?

A gauche, une créature étrange sortie du film Abyss. A droite, une desmidie. Un jour lointain ses descendants évolueront peut-être parmi les étoiles.

Combien de temps encore l'Univers pourra-t-il continuer à produire des formes de vie entièrement nouvelles ? Car il est évident que lorsque les conditions deviendront hostiles, des formes de vie similaires à la nôtre ne pourront plus apparaître sans bouleverser les lois de la vie. Comment l'homme pourra-t-il survivre et s'adapter aux bouleversements de son environnement dans un lointain futur ? Telle sont les questions existentielles auxquelles une poignée de physiciens, d'astrophysiciens et de cosmologistes ont essayé de répondre et que nous allons examiner.

Des trous noirs pour survivre

L'astrophysique et la cosmologie quantique nous rappellent que d'ici une dizaine de milliards d'années, l'énergie rayonnée par le Soleil sera épuisée. Il sera passé au stade d'étoile géante rouge en grillant probablement la Terre sur son passage, puis s'effondrera pour disparaître dans la nuit.

L'exploration d'un trou noir galactique. Adaptation de T.Lombry sur une idée de G.Bergeron, JP.Luminet et Paramount.

D'ici là, on peut supposer que l'homme aura maîtrisé l'énergie nucléaire et sera devenu capable de voyager dans l'Univers, en quête d'une autre étoile, source d'une énergie nouvelle. Ces migrations permettront certainement à nos descendants de trouver de nouvelles planètes accueillantes dans notre Galaxie. Néanmoins, au bout de quelque mille milliards d'années (1012 ans), les étoiles de la plupart des galaxies s'éteindront également. Pire, l'étude de l'évolution des systèmes multiples conduit à penser que le centre des galaxies se transformera en un trou noir supermassif si elles n'en abritent déjà pas un[2].

Pendant un certain temps, l'énergie pourra provenir du disque d'accrétion qui se formera autour du trou noir galactique. L'échauffement et la friction de la matière libérera tout un spectre de rayonnements que les civilisations futures pourront directement exploiter.

Au bout de 1050 ans tout au plus, toute la matière baryonique (proton, etc) se sera désintégrée en libérant une intense énergie, comme le stipulent les lois parfois dures de la physique quantique. A époque là, la seule énergie disponible sera celle associée à la vitesse de rotation des trous noirs.

Roger Penrose de l'Université d'Oxford suggéra en 1969 que si l'on projetait un flux de particules radioactives dans l'ergosphère qui entoure un trou noir en rotation, sous un angle bien défini elle pourrait se désintégrer, de manière à ce que l'un des produits de cette désintégration s'échappe de l'ergosphère avec davantage d'énergie que la particule originale. En principe cette situation peut durer environ 10100 ans, jusqu'à ce que le trou noir s'évapore complètement dans l'espace et produise un flash très intense en disparaissant.

Mais il se peut très bien que notre structure physique actuelle soit incapable de survivre dans un tel environnement. A l'inverse, si notre stade d'évolution biologique n'est qu'un maillon d'un processus plus complexe de la nature (cf. le transhumanisme et le posthumanisme), le chaînon que nous représentons peut parfaitement subir des mutations et transiter vers d'autres formes dont une intelligence artificielle, plus adaptées aux conditions de très basses températures qui subsisteront indéfiniment dans un avenir très lointain.

L'ultime mutation biologique

Après la mort des trous noirs, au bout de 10100 ans, toutes les sources d'énergie seront épuisées. Reste à savoir si une civilisation peut survivre indéfiniment dans un tel Univers avec des ressources limitées d'énergie.

Freeman Dyson en 1994. Document IAS.

A cette question difficile, le très prolifique physicien anglais Freeman Dyson[3] apporta quelques éléments de réponses très intéressants en 1979. Parmi ceux-ci, Dyson souleva la question de savoir si la conscience est déterminée par la nature des molécules ou par la structure de son ensemble ? Si la substance même de l'organisme détermine le fonctionnement de notre métabolisme, nous ne pourrons jamais dépasser le stade biologique. Vraisemblablement nous nous décomposerons en même temps que les protons, tout au plus dans 1050 ans, étant donné que nous ne pourrons pas survivre à l'expérience funeste d'un trou noir quoiqu'en pense les fans de science-fiction.

Mais plus d'un scientifique pensent, à l'instar de Dyson, que la clé de la vie se trouve non pas dans la matière, mais plutôt dans la structure des molécules.

La physique quantique nous dit que tous les électrons, toutes les molécules d’un corps simple sont les mêmes. Deux électrons sont toujours identiques comme deux protons sont toujours les mêmes. Ainsi, si nous remplacerions chacun des atomes de notre corps, électrons, protons et neutrons par ceux du poids de senteur ou du diamant, notre état devrait toujours être identique à lui-même. Ce qui nous différencierait d’une plante ou d’un caillou c’est la façon dont tous ces matériaux sont assemblés : le plan de construction s’est individualisé. Dans ce contexte, l’idée de Dyson paraît moins saugrenue et même l'idée de la téléportation devient réaliste...

Dyson tira son idée du modèle mathématique imaginé par Motoo Kimura[4] en 1969 dont la solution serait que l'évolution génétique est plus importante que la sélection naturelle. Nous avons déjà envisagé cette solution. Dans ce cas dit Kimura, l'origine de la vie n'est pas liée à un système de réplication originel et son avenir peut-être indépendant de son environnement. Dyson reprit cette idée, imaginant la loi de "compensation biologique" qui découle en fait du principe anthropique faible.

Suivant la même idée, Jamal Islam de l'Université de Londres s'interroge sur la nature spirituelle de l'homme : "La création d'êtres intelligents ferait-elle partie du plan de la nature pour assurer la continuation de la vie malgré des variations spectaculaires des conditions d'existence."

D'après Dyson, lorsque l'environnement deviendra préjudiciable à l'existence d'une vie évoluée, la nature pourrait intervenir pour modifier les fonctions vitales des êtres vivants. Par des mutations successives le métabolisme sera ralenti, ces êtres passeront une partir du temps en hibernation pour conserver leurs facultés. Ils pourront ainsi survivre indéfiniment malgré des ressources d'énergie limitées et un froid extrêmement intense.

Sur base des progrès réalisés en informatique, Dyson suggéra que la capacité de mémorisation de ces civilisations peut-être sans limites. Les possibilités de communications entre civilisations iront également en s'intensifiant sans pour autant perdre beaucoup d'énergie. En développant le cerveau et le nombre des terminaisons nerveuses, dans un lent processus de mutation notre intelligence peut atteindre des niveaux quasi indépendants de sa structure physique.

L'aboutissement de la civilisation

Mais la nature n'exclue pas la possibilité qu'une forme de vie future puisse inventer le moyen d'empêcher la désintégration de la matière.

John D. Bernal.

Si la construction de la vie particule par particule est concevable pour une civilisation scientifiquement aboutie, la vie pourra continuer d'exister au-delà de 1050 ans et pourra alors durer indéfiniment, bien plus que le temps de Dyson dont l'échéance est fixée à 1096 ans, hors des contraintes classiques.

Ici nous retrouvons les idées véhiculées par de nombreux auteurs de science-fiction et quelques biologistes avant-gardistes tel John Bernal. Pourtant, dans l'absolu, ces théories ont la prétention d'être viables. Nous avons évolué grâce à l'expérience acquise et la faculté d'élaborer l'action dans la pensée.

S'il nous est difficile de développer notre système nerveux central nous pouvons développer des technologies pour mieux le solliciter et exploiter son potentiel et à terme comprendre le fonctionnement de la vie.

Ainsi, selon Bernal "on peut imaginer ces êtres comme faisant partie d'un réseau d'entités mentales." Ils pourraient ainsi vivre dans l'espace vide et glacial ou partout ailleurs tout en conservant l'avantage de continuer leur évolution dans des conditions très critiques pour un organisme ordinaire. "Ils pourront se projeter sur des distances et des périodes de temps énormes aux moyens d'organes sensoriels inertes. Ces organes, de même que leur champ d'activité seront en général situés très loin d'eux dans l'espace. Tandis que leur lieu d'existence sera l'espace vide et froid plutôt que les atmosphères chaudes et denses des planètes, leur structure éthérée, affranchie de tout support organique sera de plus en plus avantageuse. Peu à peu ils ne conserveront que l'esprit, l'héritage ancestral de l'humanité et des formes de vie primitives s'estompant. Une nouvelle forme de vie, progressivement adaptée à une conscience tout à fait éthérée apparaîtra, indépendante de toute structure ancestrale et fondée sur un agencement particulier de particules errant dans l'espace, communiquant par rayonnement. Cette métamorphose serait aussi importante que l'apparition de la vie sur Terre et pourrait être tout aussi progressive". Finalement poursuit Bernal, "dans une phase ultime, cette humanité se transformerait en lumière. Fin ou commencement ?"

A voir : Man in his arrogance - We are One Planet, Carl Sagan

We Humans Are Capable Of Greatness

Que la vie soit élémentaire ou complexe, qu'elle évolue sur Terre ou peut-être ailleurs dans l'Univers, il n'y a pas d'exception : elle doit s'adapter à son environnement, lutter pour survivre ou elle disparaît. Au grand dam de certains, les considérations philosophiques ou sacrées ainsi que l'arrogance n'ont pas leur place dans cette équation. Au-delà de ce cadre, la science ne se prononce pas.

Ce concept téléologique signifie qu'étant donné nos facultés d'adaptations, l'Univers gardera toujours un sens. Mais cette thèse n’a jamais été démontrée. Au contraire, depuis le XIXe siècle, la paléontologie nous a démontré le contraire : chaque fois qu'un cataclysme a modifié la biosphère et a menacé les êtres qui la peuplait, la vie a cessé d'exister.

Que l'oxygène s'appauvrisse, que la lumière solaire change de fréquence ou vienne à disparaître, cette menace aura nécessairement pour conséquence la disparition des créatures vivantes, qu'elles soient intelligentes ou non. Nous ne pouvons éluder le fait que notre survie est tributaire des conditions physico-chimiques de l'Univers et de la grande sensibilité de ses propriétés aux conditions initiales.

On n'ose imaginé ce qu'il serait advenu des êtres vivants si l'Univers avait été un tant soi peu différent. Comme le disait Carl Sagan, "nous sommes le résultat d'un accident très improbable de l'évolution de l'Univers" et à ce titre la vie est d'autant plus précieuse mais l'homme semble ignorer sa valeur.

Malheureusement, rien ni aucune théorie ne peut influencer le jugement des hommes et les conduire vers plus de sagesse. Le principe anthropique restera une belle allégorie dont il ne faut pas tirer de conclusions hâtives tant que nous n’avons pas rassemblé plus de preuves.

Pour plus d'informations

Le Big Freeze

Le Big Crunch

L'espérance de vie (d'une civilisation)

La théorie du Big Bang.

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[1] L.Wittgenstein, "Carnets 1914-1916" (25 mai 1915), Gallimard, 1971.

[2] Pour plus détails lire le dossier consacré à la cosmologie.

[3] F.Dyson, "Time without end : physics and biology in an open universe", Review of Modern Physics, 51, 1979, p447 - F.Dyson, "La vie dans l'Univers", Gallimard-NRF, 2009.

[4] M.Kimura, "Théorie neutraliste de l'évolution", op.cit. Lire aussi F.Dyson, "Origins of life", Cambridge University Press, 1987.


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