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La diversité des étoiles

Les étoiles Wolf-Rayet (XI)

Les étoiles Wolf-Rayet doivent leur nom aux astronomes français Charles Wolf et Georges Rayet qui découvrirent en 1867 des raies d'émission très larges dans trois étoiles de 8e magnitude de la constellation du Cygne, V1042, MR100 et MR103. Dans leur note sur la "Spectroscopie stellaire" publiée en 1867, Wolf et Rayet[23] décrivent ainsi le spectre de ces étoiles : "Leur spectre se compose d'un fond éclairé dont les couleurs sont à peine visibles, et qui paraît manquer de rouge et de violet, sans doute à cause de la faiblesse de la lumière [...] L'identification des lignes lumineuses de ces étoiles avec celles des spectres des gaz incandescents nous a été impossible. Nous n'avons là ni les lignes de l'hydrogène, ni celles de l'azote".

Les spectres des étoiles Wolf-Rayet WR140 (en haut), HD 184738 ou étoile d'hydrogène de Campbell (au centre) et de WR135 et WR136 (en bas à gauche et à droite). Documents R.Brown et M.Gavin.

On crut tout d'abord que ces "bandes" provenaient de molécules hydrocarbonées. En fait l'analyse spectroscopique se faisait alors visuellement car les plaques photographiques ne seront inventées que quelques années plus tard.  Sans le savoir Wolf et Rayet avaient observé le premier laser cosmique presque 100 ans avant que le premier laser optique ne soit construit. On reviendra plus bas sur les spectres.

En fait, les étoiles Wolf-Rayet présentent des raies d'émission d'éléments ionisés signe d'une activité très énergique capable d'expulser les électrons difficilement excitables des atomes. On y trouve des ions d'hélium He II, du carbone C IV, de l'azote N IV et de l'oxygène O VI, dans les parties UV ou visibles du spectre.

Ces étoiles sont divisées en deux catégories en fonction de leur composition chimique :

- Le type WN où domine les ions de l'hélium et de l'azote

- Le type WC où domine les ions du carbone, de l'oxygène et de l'hélium.

Chaque type est subdivisé en 10 classes.

Les étoiles Wolf-Rayet présentent également des variations d'intensité spectrale et photométrique qui peuvent atteindre plus d'une magnitude et qui se manifestent physiquement par la disparition des atomes fortement ionisés tels le He II et le C IV tandis que les atomes peu ionisés tel le He I et le C II restent à peu près inchangés.

A voir : WR 140 Binary System: Perspective View, STScI, 2020

Ci-dessus à gauche, le spectre des étoiles Wolf-Rayet présente de nombreuses raies en émission. Ces spectres mettent en évidence les raies brillantes du carbone (type WC) et dans une moindre mesure celles de l'hydrogène (classe WN). De haut en bas, les spectres de V1042, MR103, MR107 et MR84. Les deux premiers spectres furent déjà observés par Wolf et Rayet en 1867. Ci-dessous à gauche, l'étoile WR140 photographiée par le JWST en 2022 et traitée par Judith Schmidt. On découvre des coquilles concentriques traçant les interactions de WR140 avec l'étoile principale de classe O. Lors du passage au périastre tous les 7.94 ans, WR140 arrache du gaz et des poussières, principalement du carbone, de l'étoile O qui forment chaque fois une coquille qui s'étend dans l'espace. Le rayonnement UV de l'étoile O réchauffe ensuite cette poussière jusque 1000 K où elle émet un rayonnement infarouge qu'a pu détecter le JWST. On peut ainsi tracer l'intreraction du système binaire depuis environ 160 ans. A droite, le spectrogramme de WR140. On distingue clairement les raies d'émission du carbone et de l'hydrogène. Documents J.Talbot et extrait de l'Atlas des étoiles Wolf-Rayet de A.V.Torres-Dodgen et P.Massey (1988).

Pour expliquer ce phénomène, Paul A. Crowther[24] et son équipe de l'University College de Londres pensent que le vent stellaire de ces étoiles subit un obscurcissement temporaire suite au transit d'un nuage de poussière dense, un phénomène analogue à ce qui se produit dans les étoiles variables de type R CrB et d'autres types de Wolf-Rayet de classe WC9 qui subissent occasionnellement des éclipses similaires.

Caractéristiques des étoiles Wolf-Rayet

Les étoiles Wolf-Rayet constituent une catégorie d'étoiles blanches très massives, de l'ordre de 15 à 25 M, très chaudes (20000-50000 K), 100000 fois plus lumineuses et 3 fois plus grandes que le Soleil. Ce rapport de luminosité correspond à la différence qu'il existe entre le Soleil et la Lune, c'est dire combien ces étoiles peuvent irradier leur environnement !

Les étoiles Wolf-Rayet sont déjà parvenues à un stade avancé de leur évolution. Cette phase instable qui dure moins de 500000 ans signe également leur mort car tel le chant du Cygne, elles finissent toutes en supernova.

Le champ magnétique joue un rôle primordial dans l'évolution de ces étoiles. En effet, en raison de l'intensité de la pression de radiation de grandes quantités de matière sont éjectées dans l'espace, arrachant littéralement l'atmosphère supérieure de ces étoiles et créant une très forte turbulence.

  Chaque année on estime que ces étoiles libèrent l'équivalent de la masse de la Terre sous forme de particules (10-5 M) ! Ce phénomène génère un vent stellaire très intense autour de ces étoiles dont la vitesse est de l'ordre de 2000 à 4000 km/s (7.2 millions à 14.4 millions de km/h) - contre 300 à 1000 km/s dans le cas du Soleil - dont le mécanisme demeure inconnu et qui attira donc l'attention des astrophysiciens et des radioastronomes.

Variation de la vitesse du vent stellaire dans l'étoile AV 388 de type P Cygni du Petit Nuage de Magellan, une étoile massive de classe O4 V (et donc toujours sur la Séquence principale). Document R.K. Prinja et P.A. Crowther (1998).

Ces étoiles sont souvent entourées de nuages de poussière mais qui ne sont pas émis pas l'étoile qui n'éjecte que du gaz et du plasma. Le vent stellaire intense que ces étoiles émettent est tellement chaud que même la poussière qui plane alentour est littéralement pyrolysée. Ce n'est qu'à plusieurs unités astronomiques de l'étoile que le gaz se refroidit mais il déjà trop dispersé pour que la poussière puisse se condenser. La question est donc de savoir quelle est l'origine de cette poussière. Survie-t-elle à cette fournaise par un mécanisme inconnu ou ne s'est-elle pas plutôt formée loin du foyer de cette étoile, dans les cirrus interstellaires ? La question est ouverte.

On estime qu'en moins de 100000 ans, une étoile Wolf-Rayet éjecte la moitié de sa masse sous forme de gaz et de vent stellaire ! Les nuages de poussière présentent un diamètre équivalent à 30 fois celui du Soleil (10 fois le diamètre d'une étoile WC9), une dimension bien plus petite que le nuage qui entoure les étoiles R CrB qui peut atteindre 150 fois le diamètre du Soleil (50 fois celui d'une étoile WC9). 

Il n'est pas exclu que ces étoiles soient par ailleurs constituées en systèmes binaires - certaines le sont - avec une étoile supergéante chaude ou OB ce qui expliquerait plus facilement la formation de ces nuages de poussière par l'action de fronts de chocs de turbulences.

A gauche, la "bulle bleue" de WR31A située dans la Carène. Depuis 20000 ans, l'étoile expulse une bulle de gaz constituée d'hydrogène, d'hélium et de quelques éléments lourds. Cette enveloppe s'étend à la vitesse de 61 km/s soit 220000 km/h ! Comme les autres Wolf-Rayet, cette étoile d'environ 20 masses solaires va éjecter la moitié de sa masse en moins de 100000 ans et finira en supernova. A droite, la nébuleuse NGC 2359 doit son existence à l'éjection des couches supérieures de l'atmosphère de l'étoile Wolf-Rayet HD56925 (en dessous à droite du centre). Documents NASA/ESA/STScI et CfA/U.Hawaï.

Environ 500 étoiles Wolf-Rayet ont été identifiées à ce jour soit deux fois plus qu'au début des années 2000 dans la Voie Lactée (cf. les article de Michael Shara et al., 2012 et de Karel van der Hucht, 2006 et son catalogue WRCAT) mais il en existe également quelques-unes dans les galaxies du Groupe Local, dans les Nuages de Magellan et la galaxie M31.

80% des étoiles Wolf-Rayet sont localisées dans les régions HII denses et brillantes situées dans les bras de la Voie Lactée. Le noyau galactique à lui seul en contient 26. 35% des étoiles Wolf-Rayet présentent un anneau nébulaire qui est plus étendu dans les étoiles de type WN que celles de type WC telle l'étoile centrale de la nébuleuse NGC 2359, nommée HD 56925. Cette étoile Wolf-Rayet est l'une des rares représentantes dont la brillance intrinsèque est combinée à une perte de masse très importante qui, en compensation, réduit son instabilité. Son atmosphère supérieure est éjectée à environ 2000 km/s et interagit avec le gaz et les poussières alentour formant une immense bulle brillante autour de l'étoile. Cette étoile évolue dans une région isolée de la Voie Lactée riche en gaz interstellaire.

L'histoire des galaxies

Pour étonnant que cela puisse être, les étoiles Wolf-Rayet racontent indirectement l'histoire des galaxies. Elles participent en effet à l'enrichissement du milieu interstellaire en éléments lourds, leur vent stellaire injectant une grande quantité de matière et d'énergie dans leur environnement. Ces étoiles massives font l'objet de très nombreuses études depuis quelques décennies car les galaxies présentant des redshifts élevés (très éloignées), qui sont les témoins d'une époque où l'univers n'avait que quelques milliards d'années, ressemblent beaucoup à certaines galaxies proches dans lesquelles nous observons une explosion de jeunes étoiles chaudes de classe O. Mais les professionnels manquent d'instruments pour sonder l'univers à de si lointaines distances.

Début 2000, une étoile Wolf-Rayet a été détectée dans la galaxie M33 membre du Groupe Local par L.Drissen de l'Université Laval de Québec et R.Arsenault de l'Observatoire de Paris. Il s'agit de cet étrange objet bleu (signe d'un rapport OIII/Hα élevé) constitué d'une double coquille entourant l'étoile WN MC46 qui contraste avec la nébuleuse "classique" irradiée par les étoiles jaunes de droite. L'étoile WR présente une température de 45000 K et une luminosité de 300000 fois celle du Soleil. Document CFHT.

Ainsi que nous l'expliquerons dans le dossier consacré à la cosmologie, nous savons qu'au début de l'Univers celui-ci contenait uniquement de l'hydrogène et de l'hélium, les éléments plus lourds n'ayant pu se créer à cette époque en raison du refroidissement de l'Univers. Tous les éléments lourds (par définition plus lourds que l'hélium) ont été créés au cours des réactions thermonucléaires dans le coeur des étoiles.

C'est pourquoi on peut dire que la quantité d'éléments lourds contenus dans une jeune galaxie, qualifiant sa métallicité, sera beaucoup plus faible que dans la Voie Lactée d'aujourd'hui qui connut l'explosion de millions d'étoiles en l'espace de 10 ou 12 milliards d'années, enrichissant lourdement le milieu interstellaire. La meilleure preuve est la composition chimique du Soleil. Non seulement il contient de l'hydrogène et de l'hélium mais son spectre est cannelé de milliers de raies du fer, élément qu'il n'a pas encore eu l'occasion de synthétiser. Il provient du milieu interstellaire, de l'époque de la formation de la nébuleuse protosolaire il y a 5 milliards d'années.

La métallicité des galaxies joue un rôle crucial dans l'évolution des étoiles massives, car elle détermine à la fois leur structure interne, leur degré d'opacité et les propriétés du vent stellaire qu'elles émettent. Mais la grande inconnue demeure la relation précise qui existe entre la métallicité et la perte de masse de ces étoiles, un facteur clé pour assurer la synthèse des différentes populations d'étoiles dans les jeunes galaxies.

NGC 4038/39, les Antennes et NGC 4314. Deux galaxies en collision. Toutes les zones brillantes que l'on distingue en périphérie sont des complexes HII géants dans lesquels de jeunes étoiles chaudes et massives sont nées à partir de la matière première composée d'éléments lourds éjectée par la première génération d'étoiles et récupérés dans le cycle stellaire. Ces collisions permettent aux nuages interstellaires de se recondenser sous la pression de radiation ambiante et des flots où règne une intense turbulence. Documents AAO et NASA/ESA/STScI.

La méthode la plus directe pour dériver empiriquement le taux de perte de masse dans les étoiles chaudes de typeWolf-Rayet est d'analyser le rayonnement ultraviolet des ions métalliques les plus importants (la résonance des transitions). C'est en comparant la perte de masse avec la quantité de métal que l'on peut extraire des données intéressantes pour étudier les galaxies à grands redshifts. De telles pouponnières d'étoiles massives se matérialisent principalement lorsque les galaxies entrent en collision. Deux magnifiques représentantes de ce phénomène sont la galaxie "Les Antennes", NGC 4038/39 et NGC 4314 présentées ci-dessus, deux véritables nurseries stellaires !

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[23] C.Wolf et G.Rayet, "Spectroscopie stellaire", in Comptes rendus de l'Académie des Sciences, Vol.65, pp.292-293 (1867).

[24] P.A. Crowther, dont l'étude spectrale de WR104 (1997) et l'étude spectrale de HD 97950 et R136a (1998).


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