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Le Soleil

La nucléosynthèse stellaire (III)

Afin de comprendre ce que représente notre Soleil et d'où il tient sa formidable énergie, remontons le temps, à l'époque des grands bouleversements de la science et des premiers pas de la physique quantique. A cette époque là trois questions majeures préoccupaient les astrophysiciens :

- Quelle était la composition exacte du Soleil ?

- Toute la matière était-elle synthétisée dans les étoiles ?

- Comment expliquer l’abondance du carbone dans les étoiles ?

Connaître la composition chimique du Soleil est un requisit en astrophysique, notamment dans le calcul du modèle solaire standard (SSM) qui décrit l'évolution du Soleil depuis la pré-Séquence principale jusqu'à son âge actuel voire même dans le futur.

La structure interne du Soleil dérive de la théorie fondamentale de l'évolution stellaire mais également de nouvelles méthodes d'études telles que l'héliosismologie. On y reviendra.

La clé du rayonnement du Soleil réside dans une réaction de nucléosynthèse en chaîne, des fusions thermonucléaires au cours desquelles la matière (et l'antimatière) est convertie en énergie comme le prédit Einstein avec sa célèbre équation d'équivalence E=mc2.

Mais le fait que le noyau du Soleil ait une température d’environ 15 millions de degrés ne suffit pas pour déclencher à lui seul un processus de fusion nucléaire. En effet, la vitesse des protons est insuffisante pour déclencher de telles collisions et démarrer les réactions thermonucléaires. Pourtant il faut bien expliquer le rayonnement du Soleil et la présence d'éléments lourds - terme qui caractérise tous les éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium - dans son atmosphère et dans tout le système solaire...

La nucléosynthèse selon Gamow

zEA   +   ν    →     zEA+1  +   hν 

zEA+1           →  z+1EA+1  +   e- +   νe

avec

E, un élément simple

Z, le nombre de protons

A, le nombre de neutrons

ν, de l'énergie

e-, un électron

νe, un neutrino électronique

Grâce à la découverte du neutron par Chadwick, en 1936 George Gamow fut le premier à faire l’hypothèse que la matière était uniquement constituée de protons, de neutrons et d’électrons. Il pensait également que le coeur des étoiles produisait une quantité considérable de neutrons qui, une fois capturés par les noyaux, pouvaient les alourdir et donner naissance à de nouveaux éléments du tableau de Mendeleïev (voir plus bas).

L'article B²FH

Comment l'abondance des éléments était-elle répartie dans l'Univers ? Cette question était primordiale dans les années 1950 car celui qui pouvait y répondre avait une chance de comprendre comment la matière s'était formée à partir du Big Bang.

En 1946, Fred Hoyle[9] publia un article de fond sur la nucléosynthèse stellaire. Adepte de l'état stationnaire, Hoyle avait supprimé le Big Bang de son esprit et s'était vu contraint de créer les éléments chimiques à l'intérieur des étoiles. Son pressentiment était de bonne augure, même si la cause qu'il défendait était erronée (il reviendra par la suite avec un modèle quasi-stationnaire, HBN). Il avait confiance en son idée car trois arguments venaient le réconforter. Il savait que quelques années auparavant Gamow avait tenté d'élaborer les éléments plus lourds que l'hélium dans le Big Bang. Or l'énergie du rayonnement baignait dans un froid si intense, 3000 K, moins de 10 eV, qu'à l'époque de la recombinaison tous les processus de fusion avaient été figés.

Deuxième argument, depuis une bonne dizaine d'années, les spectres stellaires prouvaient en suffisance que le Big Bang n'était pas la "panacée". Il existait trop d'étoiles de compositions différentes, les unes chaudes et riches en hydrogène, les autres froides mais riches en éléments lourds. Il était donc logique d'imaginer que ces éléments aient été fabriqués à l'intérieur des dites étoiles. Enfin, depuis l'article de Bethe sur le cycle CN (voir plus bas), les physiciens nucléaires s'étaient rendus comptes que les réactions atomiques qu'ils analysaient in vitro avaient également lieu dans les étoiles.

Mais un problème heurta les physiciens lorsqu'ils évaluèrent la probabilité de produire du 12C dans les étoiles. Selon les calculs préliminaires de Edwin Salpeter du laboratoire du rayonnement Kellogg de Caltech, le Soleil n'était pas assez chaud pour produire suffisamment de carbone. Dans tous les cas la réaction était beaucoup trop lente. C'est alors que Fred Hoyle[10] suggéra que le carbone devait exister dans un état excité, seul état lui permettant de contenir l'énergie de fusion de trois particules alpha ou hélions, ce qu'on appelle la réaction triple alpha.

Hoyle visita le Caltech en 1953 et rencontra quelques astronomes qui s'intéressèrent à son problème : Margaret et Geoffrey Burbidge ainsi que Willy Fowler. Leur travail ne put aboutir qu'en joignant le génie des astrophysiciens au talent des physiciens. Ils devaient à tout prix reproduire en laboratoire les conditions d'énergie qui régnaient dans l'atmosphère des étoiles. Rien que d'imaginer une telle expérience, nous sommes pris de vertige : créer une étoile-éprouvette !

La réaction triple alpha.

Le travail de l'équipe de Fowler était complexe. Il consistait à mesurer des sections efficaces à partir de collisions atomiques réalisées dans les accélérateurs de hautes énergies. Les chercheurs devaient ensuite extrapoler ces données jusqu'aux conditions stellaires de beaucoup plus faible énergie. Ils devaient impérativement veiller à ce que les taux de réactions calculés suivent les abondances observées dans les étoiles par spectroscopie. En adaptant ces mesures aux températures et pressions qui régnaient dans l'atmosphère des étoiles, ils découvrirent que la réaction de fusion triple était beaucoup plus rapide que celle prévue par la théorie. Finalement les équipes du laboratoire Kellogg permirent à Fred Hoyle et ses collègues de confirmer leurs hypothèses. En moins de deux ans, entre 1954 et 1956 Hans Suess et Harold Urey[11] du laboratoire Kellogg dressèrent un tableau complet de l'abondance des éléments dans la nature.

Geoffrey et Margaret Burbidge. Document NGS.

En 1956, l'astronome américain Paul Merrill découvrit les raies du technétium-99 dans le spectre des étoiles S, la dernière grande catégorie d'étoiles carbonées froides riches en métaux (3150-2300 K, présence des bandes du ZrO). Cet élément ne devait en théorie par s'y trouver puisqu'il est plus lourd que le fer. Ayant une demi-vie de 200000 ans environ, s'il était issu du Big Bang - de l'époque de la recombinaison - cet élément se serait désintégré depuis longtemps et serait à l'état de trace aujourd'hui, bien en dessous du seuil de détection des spectroscopes. Sa présence supposait donc que les étoiles avaient trouvé un moyen de produire des éléments plus lourds que le fer.

Pendant ce temps une explosion nucléaire retentit sur l'atoll de Bikini. Les Américains continuaient leurs expériences atomiques. Parmi les physiciens chargés d'étudier ce phénomène, Geoffrey Burbidge mit en évidence le californium-254 parmi les éléments radioactifs synthétisés pendant la réaction en chaîne. Coïncidence de l'histoire, peu de temps avant une supernova avait illuminé une lointaine galaxie pour disparaître 55 jours pour tard. Sa durée de vie était identique à celle du californium. Dans l'esprit de Fred Hoyle, ce nouvel élément plus lourd que le fer prouvait une fois de plus qu'il pouvait être créé dans l'environnement infernal qui régnait au sein des étoiles, en particulier au moment de l'explosion en supernova (cf. SN 1987A).

Hoyle et ses collègues de Caltech se mirent donc à travailler sur la nucléosynthèse, cherchant à déterminer de quelle manière une réaction en chaîne pouvait créer les abondances relatives des différents éléments chimiques, y compris leurs isotopes.

Pour les physiciens, la table d'abondance cosmique représentait l'histoire même de l'Univers et paraissait étroitement liée à l'activité nucléaire des étoiles. Mais s'il était aisé de souscrire à cette idée, le profil de la courbe indiquait que l'hydrogène et l'hélium occupaient une place prédominante dans l'échelle d'abondance, ne laissant que 4% pour tous les autres éléments. S'il y a un peu plus de cent milliards d'atomes d'hydrogène dans un univers type, il n'y a plus qu'un million d'atomes de fer et quelques atomes de plomb. L'uranium s'y trouve à l'état de trace (10-2). Hoyle et ses collègues devaient donc trouver un mécanisme très sophistiqué pour expliquer la variation des abondances cosmiques.

  Un an plus tard nos physiciens avaient trouvé la réponse. Dans un article paru en 1957 dans la revue "Review of Modern Physics"[12], Margaret et Geoffrey Burbidge, Willy Fowler et Fred Hoyle trouvèrent une solution élégante pour expliquer l'origine des éléments. Signé "Burbidge, Burbidge, Fowler et Hoyle", cet article devenu un classique sera connu des astrophysiciens sous le nom plus cocasse d'article "B²FH".

A lire : Synthesis of the elements in stars (B2FH)

K.Margaret Burbidge, G.R.Burbidge, William A. Fowler, Fred Hoyle, 1957

Stellar Evolution, Nuclear Astrophysics and Nucleogenesis (CRL-41)

Alistair G.W. Cameron, 1957

L'origine des éléments

Arno A Penzias, Nobel Lecture, 1978

Si les adeptes du Big Bang espéraient créer les éléments lors de la recombinaison, certains éléments, tel le bore-8 étaient instables. Il fallait une collision avec trois particules α pour le transmuter en carbone-12. Or une fraction de seconde après le Big Bang l'Univers était déjà trop froid pour déclencher cette réaction.

Fred Hoyle en 1975. Document NGS.

Fred Hoyle et son équipe suggérèrent alors que seule une collision au sein des étoiles pouvait former cet élément. En fait, le carbone-12 existe en grande quantité, nous en sommes le témoin privilégié et le spectre des étoiles confirme son abondance. Pour expliquer ce phénomène, le carbone-12 devait se former suite à de nombreuses collisions. Or seuls des noyaux d'hélium, les particules α peuvent assurer cette transmutation. Si le carbone-12 existait bien dans un état excité, il pouvait y avoir ce que l'on appelle un phénomène de résonance entre les particules α et cet élément qui faciliterait la réaction.

Avant la réaction, les trois particules α sont plus lourdes que le carbone-12 qui en résulte. Ce "défaut de masse" s'est en fait transformé en énergie.

Les physiciens démontrèrent également que si l’énergie d’excitation du carbone-12 était légèrement supérieure aux valeurs mesurées le carbone n’existerait pas car tous les noyaux de béryllium-8 éclateraient et donneraient naissance à des particules α avant même que le carbone ait pu se former. L’Univers ne contiendrait que de l’hydrogène et de l’hélium, sans aucun des ingrédients fondamentaux de la vie.

Pour réaliser ce mécanisme de haute précision, Hoyle imagina une fusion entre le deutérium et l’azote-14 qui se scinderait pour former du carbone-12 et une particule α. Fowler préféra partir du bore-12 qui, en se désintégrant, libérerait du carbone-12 et deux particules α. La solution découlait d'elle-même. Les trois particules α étant constituées, dans un processus inverse elles pouvaient reformer du carbone-12 et accroître sensiblement l'abondance de cet élément. Le processus ainsi déclenché permettait d'entretenir le cycle du carbone, expliquant du même coup la survie des étoiles géantes, plus chaudes et plus massives que le Soleil.

Finalement, après la synthèse du carbone et son alourdissement par fusion avec des particules α , la nucléosynthèse générait directement le fer. Or cette supposition s’avéra inexacte. On sait aujourd’hui que la nucléosynthèse produit du nickel qui se photodésintègre en fer. Hoyle reconnut son erreur qui, écrira-t-il plus tard "resterait en moi comme une gravure profonde en mon coeur quand je mourrai."

La pierre philosophale

Le travail des astrophysiciens confirmera l'hypothèse de B2FH. Il suffit en effet de fusionner deux particules α avec chaque noyau pour transmuter ceux-ci en atomes plus lourds. Les atomes instables se transformeront en isotopes radioactifs ou en éléments plus légers. Alors que l'atome de fer est l'élément le plus stable, requérant le moins d'énergie, des éléments plus lourds mais stables sont constitués dans la réaction en chaîne.

Dans le noyau où la température et la pression sont les plus élevées, les noyaux de magnésium et de silicium déclenchent la formation de tous les éléments chimiques jusqu'au zinc. Les réactions secondaires libèrent des neutrons qui viendront alourdir les noyaux plus légers unité par unité et former tous les éléments jusqu'au fer.

A consulter : Tableau périodique des éléments - Webelements - Periodic Table of Tech

Tableaux de Meneleïev

The Lund/LBNL Nuclear Data Search

Table des isotopes radioactifs et des isotopes

Le tableau périodique des éléments de Mendeleïev. A gauche, la version traditionnelle. Aujourd'hui le tableau de Mendeleïv comprend 118 éléments chimiques. A droite, l'origine astrophysique des différents éléments. Documents Michka B. et Jennifer Johnson adapté et mis à jour par l'auteur (2020) dont voici la version originale publiée en 2008 par l'astronome Inese Ivans de l'Université d'Utah et membre de l'UAI. Les éléments d'une masse atomique A > 260 (à partir de Lr-103) sont produits par fission-fusion au cours du processus r.

En remontant vers la surface solaire, la température redescend et ne permet plus de former autant de métaux. Le carbone et l'oxygène permettent de former le magnésium, l'aluminium, le silicium et le phosphore ainsi que du sodium et du néon par transmutation.

Plus haut encore dans l'atmosphère, il fait déjà trop froid et seul l'hélium donne encore du carbone et de l'oxygène. Près de la surface, l'oxygène donne des noyaux d'hélium et finalement seul le cycle du carbone persiste.

A la fin des années 1950, les astrophysiciens n'avaient plus qu'à descendre dans leur laboratoire, prendre du papier quadrillé, quelques noyaux d'hydrogène, des neutrons et des protons, et placer les différentes particules sous une “flamme” suffisamment chaude pour fabriquer une bonne partie des éléments naturels, y compris les particules plus lourdes que le zinc et les éléments instables au-delà du bismuth, le 83e élément du tableau de Mendeleïev qui sont créés dans l'explosion des supernovae. Mais cette seule réaction n'explique pas l'existence de tous les éléments, qu'ils soient très légers comme l'hélium ou plus lourds que l'uranium.

A voir : La fusion au cœur des étoiles, CEA

A lire : La nucléosynthèse, CNRS

A gauche, abondance des éléments détectés dans la photosphère du Soleil. Il n'y a aucun élément plus lourd que l'uranium. Au centre, éléments formés grâce à la nucléosynthèse stellaire et aux désintégrations qui en découlent. A droite, les différentes formes de réactions et notamment de décroissances. Documents M.Asplund et al. (2009), T.Lombry et History Rundown adaptés par l'auteur.

L'abondance de l'hélium

Si la théorie imaginée par Eddington et formulée par Fred Hoyle légitimait la nucléosynthèse comme unique source des éléments chimiques, cela n'expliquait pas pourquoi l'hélium était si abondant dans l'Univers : environ 25%, alors que la nucléosynthèse n'en produisait que 4%. En corollaire, le deutérium, l'hélium-3, le lithium et le tritium présentaient une proportion bien trop élevée que pour être expliqués par la fusion thermonucléaire au sein des étoiles.

Steven Weinberg lors d'une conférence à l'Université du Texas vers 1979.

Après des années de recherches, Hoyle, Fowler et Wagoner démontrèrent en 1967 que l'abondance de l'hélium et des isotopes de l'hydrogène se retrouvait dans les mêmes proportions dans le système solaire.

Dans la revue "Physic Bulletin"[13] Hoyle prouva aux cosmologistes et aux astronomes que ces éléments furent élaborés au cours du Big Bang, moins d'un dixième de seconde après la naissance de l'Univers. Hoyle confirmait l'hypothèse de Gamow selon laquelle l'Univers avait connu une phase extrêmement chaude, et condensée en une singularité si l'on se basait sur les travaux d'Einstein.

Mais aujourd'hui certains détails cette belle théorie présentent quelques failles. En août 1991 par exemple, les astrophysiciens découvrirent que le modèle d’évolution stellaire n'expliquait pas l'abondance des éléments, en particulier du béryllium et du bore dans certaines étoiles du halo. Les quantités mesurées étaient mille à un million de fois plus élevées que les valeurs prévues par la théorie du Big Bang. De même, le modèle solaire des abondances des éléments est contredit par les données obtenues par l'héliosismologie (voir plus bas).

Mais ne nous alarmons pas. Actuellement la théorie concorde assez bien avec l’évolution des jeunes étoiles de la Population I, telle le Soleil, mais il reste des difficultés dans les détails et concernant les étoiles de Population II à laquelle appartiennent justement les étoiles étudiées.

Grâce à la découverte de Hoyle et ses collaborateurs - et de celle du rayonnement cosmologique à 2.7 K détecté deux années plus tôt par A. Penzias et R.Wilson -, les cosmologistes et les physiciens exploitèrent ces taux d'abondance pour déterminer la densité, la température et le volume de l'Univers lors de sa formation. La genèse de l'univers sera rapidement maîtrisée et son histoire sera vulgarisée dès 1973 grâce aux conférences données par Steven Weinberg à l'Université d'Harvard[14].

L'abondance des éléments

L'héliosismologie qui signifie littéralement l'étude des tremblements du Soleil est une technique d'observation qui utilise les mêmes instruments spectraux que ceux utilisés pour déterminer la vitesse radiale d'une étoile afin par exemple de détecter une exoplanète. Développée dans les années 2000, cette technique permet surtout de mesurer précisément les vibrations du Soleil, c'est-à-dire la façon dont il se dilate et se contracte en rythme selon des schémas caractéristiques sur des échelles de temps variant entre quelques secondes et quelques heures. On y reviendra.

Tout comme les ondes sismiques fournissent aux géologues des informations cruciales sur l'intérieur de la Terre, ou comme le son d'une cloche encode des informations sur sa forme et ses propriétés matérielles, l'héliosismologie fournit des informations sur l'intérieur du Soleil. Cette technique permet aux astrophysiciens de cartographier avec une grande précision la structure interne du Soleil et d'en déduire sa composition.

Cependant, à leur grand désarroi, les astrophysiciens ont constaté que la structure interne du Soleil et sa composition déterminées à partir des oscillations solaires ne correspondaient pas aux résultats dérivés de la théorie fondamentale de l'évolution stellaire qui repose sur des mesures actuelles de la composition chimique du Soleil basées sur la spectroscopie, une contradiction apparente qu'on avait surnommée "la crise de l'abondance solaire".

Mais grâce à de nouvelles méthodes de calculs, une équipe d'astronomes finit par résoudre cette contradiction. Leur étude mérite toute notre attention car cela faisait vingt ans que cette controverse existait autour du modèle solaire.

Le spectre du Soleil obtenu par l'instrument Narval. A comparer avec le spectre obtenu au Kitt Peak. Documents E.Magg et al. (2022)/ MPIA/TBL/NARVAL.

Dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2022, la doctorante Ekaterina Magg de l'Institut Max Planck pour l'Astronomie (MPIA) et ses collègues ont réalisé de nouveaux calculs de la physique de l'atmosphère du Soleil et sont parvenus à mettre à jour les résultats des abondances de différents éléments chimiques. En particulier, le Soleil contient plus d'oxygène, de silicium et de néon que prévu. Les méthodes employées permettent également de préciser la métallicité du Soleil (voir plus bas) et de faire des estimations beaucoup plus précises des compositions chimiques des étoiles en général.

Les calculs sous-jacents reliant les caractéristiques spectrales à la composition chimique et à la physique du plasma stellaire sont d'une importance cruciale en astrophysique. Ils ont été à la base d'un siècle de progrès dans notre compréhension de l'évolution chimique de l'univers ainsi que de la structure physique et de l'évolution des étoiles et des planètes. C'est pourquoi cela créa un séisme dans la communauté des astrophysiciens lorsqu'ils contatèrent que les nouvelles données de l'héliosismologie sur la structure interne du Soleil ne s'emboitaient pas dans le puzzle général construit à partir du modèle solaire standard.

Le modèle standard SSM est calibré à partir d'un ensemble de mesures de la composition chimique de l'atmosphère solaire publié en 2009. Mais un certain nombre de détails importants sont contredits par les données héliosismiques.

Selon l'héliosismologie, la région convective du Soleil est considérablement plus épaisse que ce que prévoyait le modèle standard. La vitesse des ondes sonores près du bas de cette région s'est également écartée des prédictions du modèle standard, tout comme la quantité globale d'hélium dans le Soleil. Pour couronner le tout, certaines mesures des neutrinos solaires étaient également légèrement différentes par rapport aux données expérimentales.

Cette "crise de l'abondance solaire" força les astrophysiciens à revoir leurs modèles, jusqu'à faire intervenir de la matière exotique. Parmi ces hypothèses, certains ont imaginé que le Soleil aurait peut-être accumulé des gaz pauvres en métaux pendant la phase de formation des planètes. D'autres se sont demandés si l'énergie n'aurait pas été transportée par les particules de matière sombre notoirement connues pour ne pas interagir avec la matière... Mais aucune de ces hypothèses n'a été validée.

Ekaterina Magg et ses collègues ont donc décidé de revoir les modèles sur lesquels reposent les estimations spectrales de la composition chimique du Soleil. Les premières études sur la façon dont les spectres des étoiles sont produits s'appuyaient sur ce que l'on appelle l'équilibre thermique local ou LTE. A l'époque, les chercheurs avaient supposé que localement, l'énergie dans chaque région de l'atmosphère d'une étoile avait le temps de se propager et d'atteindre une sorte d'équilibre. Cela permettait d'attribuer à chacune de ces régions une température. Mais comme d'habitude, travailler avec des moyennes statistiques plutôt que des valeurs réelles conduisit à une simplification considérable des calculs et par conséquent, à des résultats finaux approximatifs et donc différents pour ne pas dire erronés par rapport à la réalité.

Mais dès les années 1950, les astrophysiciens s'étaient rendus compte que cette image était trop simpliste. Depuis lors, de plus en plus d'études ont intégré des calculs dits non-LTE, abandonnant l'hypothèse d'équilibre local. Les calculs non-LTE incluent une description détaillée de la façon dont l'énergie est échangée au sein du système - les atomes sont excités par des photons ou entrent en collision, les photons sont émis, absorbés ou diffusés. Dans les atmosphères stellaires, où les densités sont bien trop faibles pour permettre au système d'atteindre l'équilibre thermique, ce genre d'attention portée aux détails porta ses fruits. Dans ces conditions, les calculs non-LTE donnent des résultats qui sont nettement différents de leurs homologues LTE.

A gauche, le Télescope Bernard Lyot (TBL) de 2.03 m de diamètre de l'Observatoire Midi-Pyrénées. On voit le spectrographe/polarimètre Narval installé au foyer du télescope. Il fut remplacé en 2019 par l'instrument NeoNarval. A droite, la coupole du TBL. Documents Paul Compère (2009) et A.Cazaux.

Magg entreprit de calculer en détails l'interaction de la matière rayonnante dans la photosphère solaire, son groupe de chercheurs comptant Maria Bergemann du MPIA qui est l'une des autorités mondiales expertes en calculs non-LTE appliqués aux atmosphères stellaires.

Magg et ses collègues ont suivi au fil du temps tous les éléments chimiques pertinents dans les modèles actuels d'évolution des étoiles et ont appliqué plusieurs méthodes indépendantes pour décrire les interactions entre les atomes du Soleil et son champ de rayonnement afin de s'assurer que leurs résultats étaient cohérents.

Pour décrire les régions convectives du Soleil, les chercheurs ont utilisé des simulations existantes (STAGGER et CO5BOLD) prenant en compte à la fois le mouvement du plasma et la physique du rayonnement hydrodynamique de la convection stellaire. Pour les comparer aux mesures spectrales, ils ont choisi le jeu de données présentant la plus haute qualité disponible : le spectre solaire publié par l'Institut d'astronomie et de géophysique de l'Université de Göttingen. Ils ne sont également concentrés sur l'analyse des effets statistiques et systématiques qui pourraient limiter la précision des résultats.

Les nouveaux calculs ont montré que la relation entre l'abondance de ces éléments chimiques clés et l'intensité des raies spectrales correspondantes était significativement différente des valeurs antérieures. Par conséquent, les abondances chimiques qui découlent des données du spectre solaire observé sont également quelque peu différentes de celles indiquées antérieurement.

Selon les chercheurs, de l'ordre d'un millième de pourcent de tous les noyaux atomiques du Soleil sont des métaux; cette petite proportion a maintenant changé de 26% par rapport à sa valeur précédente. Même correction pour l'oxygène. La valeur de l'abondance de l'oxygène est à présent presque 15% plus élevée que dans les études précédentes. Les nouvelles valeurs sont cependant en bon accord avec la composition chimique des météorites primitives - les chondrites carbonées CI - qui sont censées représenter la composition chimique brute, primordiale, du système solaire.

Lorsque ces nouvelles valeurs sont utilisées comme données d'entrée dans les modèles actuels de structure et d'évolution solaires, l'écart qui apparaissait entre les résultats de ces modèles et les mesures héliosismiques disparaît. L'analyse des chercheurs de la façon dont les raies spectrales sont produites, en s'appuyant sur des modèles considérablement plus complets et plus précis de la physique sous-jacente est donc parvenue à résoudre la crise de l'abondance solaire.

Selon Maria Bergemann, "Les nouveaux modèles solaires basés sur notre nouvelle composition chimique sont plus réalistes que jamais : ils produisent un modèle du Soleil cohérent avec toutes les informations dont nous disposons sur la structure actuelle du Soleil – ondes sonores, neutrinos , la luminosité et le rayon du Soleil - sans avoir besoin d'une physique exotique non standard à l'intérieur du Soleil."

En prime, les nouveaux modèles peuvent facilement être transposés aux autres étoiles. À une époque où des études à grande échelle comme les derniers sondages SDSS et 4MOST fournissent des spectres de haute qualité pour un nombre toujours plus grand d'étoiles, ce type de progrès est en effet précieux car ils offrent aux futures analyses de la chimie stellaire une base plus solide que jamais, y compris concernant leurs implications plus larges en cosmologie, dans les reconstructions de l'évolution chimique de l'Univers.

L'abondance des éléments lourds

Abondance des éléments lourds dans le Soleil comparée à celle d'une étoile pauvre en métaux. Document Kavli IPMU adapté par l'auteur.

Le rapport [Fe/H] : la métallicité

Le concept de "métallicité" trouve son origine dans l'étude de l'évolution chimique de l'Univers et des étoiles. Sachant que la nucléosynthèse primordiale ne fabriqua que de l'hydrogène et de l'hélium (et un peu de tritium, béryllium et lithium), ce sont les étoiles qui prirent la relève et fabriquèrent et continuent de fabriquer les autres éléments au cours du processus de nucléosynthèse que nous venons de décrire ainsi que durant la phase de supernova. Tous ces éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium sont appelés de manière générique les "éléments lourds" ou les "métaux".

Dans ce contexte, la "métallicité" représente la proportion entre les éléments lourds (les métaux) et l'hydrogène, noté par le rapport [Z/H] où Z est le symbole chimique de l'élément, par exemple [Fe/H] pour le fer. 

La métallicité est un paramètre particulièrement important pour déterminer les propriétés fondamentales des étoiles telles que leur taille, leur température, leur luminosité et leur durée de vie, qui sont toutes déterminées par le degré de métallicité. On peut aussi utiliser la métallicité pour évaluer son impact sur la composition des planètes et les possibilités d'émergence d'une vie complexe. Comprendre la composition chimique du Soleil est donc essentiel pour comprendre les propriétés de toutes les étoiles mais également pour cibler les exoplanètes favorables à la vie. On y reviendra.

Le rapport de métallicité suit une progression logarithmique. Ainsi, un rapport [Fe/H] = -1 signifie que l'astre contient 10-1 soit 0.1 ou 10% de l'abondance des métaux contenus dans le Soleil. De façon similaire, une métallicité [Fe/H] = 2 signifie que l'étoile contient 100 fois plus de métaux que le Soleil.

Dans le cas du Soleil justement, selon les derniers calculs, la métallicité de la photosphère solaire [Fe/H] = 0.0225, c'est-à-dire qu'elle contient 2.25% de métaux (cf. E.Magg et al., 2022). Le Soleil appartient à la famille des étoiles riches en métaux. Concrètement, le Soleil contient 310000 atomes d'hydrogène pour chaque atome de fer. Ce rapport [Fe/H] peut varier dans les profondeurs du Soleil en raison de l'interaction des neutrinos. Les étoiles formées il y a seulement 10 millions d'années sont deux fois plus riches en métaux que le Soleil.

De l'autre côté de l'échelle de métallicité, on retrouve une faible abondance métallique dans les étoiles du halo galactique et les amas globulaires. Il existe des étoiles très âgées où le rapport [Fe/H] < -5. Le record est détenu par l'étoile géante rouge SMSS J160540.18-144323.1 dont le rapport [Fe/H] = -6.2 ±0.2 ! (cf. T.Nordlander et al., 2019 et en PDF sur arXiv). Ces étoiles affichant une sous-abondance en fer appartiennent à la Population II et forment la composante sphéroïde de la Galaxie. SMSS J160 est probablement une étoile de deuxième génération.

Le rapport [α/Fe]

Le rapport [α/Fe] que l'on cite régulièrement dans les articles d'astrophysique consacrés à l'évolution stellaire et galactique, représente l'abondance moyenne des éléments issus du processus α (O, Ne, Mg, Si, S, Ar, Ca et Ti) par rapport au fer.

Placé dans un diagramme [α/Fe] / [Fe/H] avec la métallicité sur l'axe x, on l'utilise pour évaluer les voies de nucléosynthèse et l'évolution galactique d'échantillons d'étoiles. Les échelles sont logarithmiques. Cela permet de présenter le rapport des densités numériques des éléments dans les atmosphères stellaires par rapport à la valeur solaire. Voici un exemple de diagrammes [Fe/H] et [α/Fe] d'un échantillon d'étoiles proches extraits de S.Nepal et al. (2023).

Historiquement c'est George Wallerstein qui utilisa ce type de diagramme pour la première fois en 1962. Ensuite, en 1972 Beatrice Tinsley l'appliqua à l'évolution stellaire galactique.

Processus s et processus r

Mis à part la fusion de deux étoiles à neutrons, la supernova et la kilonova, les réactions de nucléosynthèse que nous venons d'évoquer ne peuvent engendrer les éléments dont la masse atomique est supérieure à celle du fer (Z = 26, A = 56). L'existence dans l'univers et dans les étoiles d'éléments plus lourds que le fer jusqu'à l'or et l'uranium indique qu'il existe un autre processus spécifique à la synthèse des noyaux lourds. Il s'agit du processus s et du processus r (les termes sont d'origine anglo-saxonne, "s-process" et "r-process") de captures successives de neutrons dont on voit un schéma ci-dessous. Les deux processus se différencient par la durée moyenne qui s'écoule entre deux captures successives de neutrons.

Pour le processus s, s pour "slow" (lent), le temps entre deux captures est de l'ordre de 10 à 100 ans. Il est suffisament lent pour que certains noyaux instables se désexcitent grâce à l'émission de radioactivité bêta ou alpha. Ainsi, un isotope peut former un élément chimique stable plus lourd que le bismuth-209 (Bi) grâce à sa radioactivité α (ou désintégration α) qui libère deux protons et deux neutrons, c'est-à-dire l'équivalent d'un noyau d'hélium (hélion).

Le processus s domine sur le processus r à condition que la densité de neutrons soit relativement faible (< 108 ou 1010 cm-3, soit une densité < 105 g/cm3) et la température de l'ordre de 300 millions de Kelvins. Le processus s intervient dans les sous-géantes rouges de moins de 9 M, où il complète la fusion de l'hélium en couche. Le processus s est donc un processus sûr mais lent au regard du processus r (cf. B.Meyer, 1994; M.Busso et al., 1999; L.Siess et al., 2003).

Pour le processus r, r pour "rapid", la durée entre deux captures est inférieure à 100 secondes, ce qui nécessite de disposer d'un flux de neutrons intense. Ce processus est à l'origine de métaux comme le platine ou l'or. De plus, il forme des noyaux plus lourds que le bismuth ainsi que des isotopes très riches en neutrons comme l'uranium à partir de noyaux plus lourds que le fer (cf. le tableau de Mendeleïev astrophysique).

Pour rappel, à ce jour le dernier élément chimique découvert et qui aussi le plus lourd est l'oganesson-118 (Z = 118, A = 294). Il s'agit d'un élément de synthèse, radioactif et instable.

Le processus r s'amorce dans des milieux où la densité neutronique est très élevée (1020 à 1030 cm-3) et la température de l'ordre de 1 milliard de kelvins (environ cent fois celle qui règne dans le coeur du Soleil) ! Ce processus peut se produire tout le long de la zone de stabilité des noyaux et même franchir des zones d'instabilité. Il se termine soit lorsque que les noyaux atteignent une couche complète en neutrons (N = 50, 82, 126), soit parce que le noyau est sur le point de fissionner. C'est notamment le cas pour les éléments proches du rutherfordium-261 (Rf) ou du darmstadtium-269 (Ds) dont tous les isotopes sont instables et la demi-vie (période) inférieure ou voisine d'une minute.

A priori, l'émission d'un tel flux de neutrons ne peut se produire que durant l'explosion d'une supernova. La production de neutrons aurait lieu à la frontière entre l'étoile à neutrons en formation et les couches extérieures éjectées ou lors des chocs engendrés lors de l'explosion ultime.

Mais en théorie il existe deux autres mécanismes pouvant former ces éléments plus lourds que le fer : la fusion d'étoiles à neutrons binaires et bien que plus spéculative, la capture d'un trou noir primordial par une étoile à neutrons. En effet, comme l'ont proposé le théoricien George Fuller de l'UCLA et ses collègues dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2017, durant la phase ultime de l'absorption de l'étoile à neutrons, un intense flux neutronique est éjecté dans l'espace et se transforme en éléments lourds. Selon Fuller, ce scénario suffit à expliquer l'abondance observée des éléments lourds. Reste à le prouver.

Le processus r est également très actif dans les vieilles étoiles de Population II, par exemple au sein de la doyenne HE1523-0901, où le rapport [r/Fe] = 1.8) et dans l'étoile géante HD 222925 alors que paradoxalement leur métallicité peut-être relativement faible.

Ce processus explique également la formation de certains isotopes à longue vie tels ceux du plutonium-244 (Pu) dont la demi-vie est de 82 millions d'années, ce qui indique que le processus r est au moins intervenu une fois avant ou pendant la formation du système solaire.

Nous verrons à propos des sources de processur r que des chercheurs sont parvenus à démontrer que certains éléments lourds sont des produits de fission d'éléments encore plus lourds. Ces résultats indiquent que certains évènements du processus r nécessitent une réaction de fission-fusion pour alourdir les éléments plus lourds que l'uranium, qui se désintègrent ensuite en éléments détectés dans les étoiles (cf. I.U. Roederer et al., 2023).

Processus rp

Si les processus s et r permettent de former très efficacement des noyaux riches en neutrons, il existe également un mécanisme de capture rapide de protons : le processus rp (rapid proton capture) par les noyaux atomiques. Il présente toutefois des limites, en particulier dans les conditions régnant dans les étoiles à neutrons car il n'est plus efficace à partir du tellure-105 qui est sensible à la désintégration α (émission d'un hélion).

Les principales notions d'astrophysique solaire étant posées, voyons à présent de quelle manière se comporte et évolue le Soleil.

Prochain chapitre

Le transport de l'énergie

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[9] F.Hoyle, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 106, 1946, p343.

[10] F.Hoyle, Astrophysical Journal Letters, 1, 1954, p121 - M.Livio et al., Nature, 340, 1989, p281.

[11] C'est le même Dr Harold Urey qui mis au point l'expérience prébiotique de Miller dont nous reparlerons à propos de la bioastronomie.

[12] F.Hoyle et al., "Synthesis of the Elements in Stars", Review of Modern Physics, 29, 1957, pp547-650.

[13] F.Hoyle, Physic Bulletin, 65, 1967, p17 - Edward R. Harrison, "The early Universe", Physics Today, 21, 6, 1968, p31.

[14] S.Weinberg, "Les trois premières minutes de l'univers", Le Seuil, 1978/1988.


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