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L'esclavage L'esclavage en Afrique et dans le monde arabe (II) L'Afrique a longtemps été ignorée par l'homme Blanc et les spéculateurs fonciers. Les premiers Européens qui visitèrent l'Afrique furent les Portugais. Le 13 juin 1415, Henry le Navigateur, prince du Portugal, embarqua pour une expédition le long des côtes de l'Afrique. En 1420, il atteignit le Sierra Leone. Son aventure marqua le début de l'hégémonie portugaise en Afrique de l'Ouest, connue à l'époque sous le nom de Côte d'Or car les marchands y échangeaient de l'or contre du poivre. En 1441, les Portuguais kidnappèrent plusieurs nobles africains qui, pour regagner leur liberté, leur offrirent des esclaves Noirs en guise de rançon. Trois ans plus tard, les premiers esclaves Noirs furent vendus au Portugal. On estime que 150000 Noirs transiteront ainsi par le port de Lisbonne entre 1450 et le premier voyage de Christophe Colomb en Amérique (1492). En 1482, le capitaine portugais Dom Diego Cao atteignit l'embouchure du fleuve Congo. Il remonta le fleuve sur quelques kilomètres à la recherche de débouchés et d'ivoire. Il revint au pays avec quatre Congolais qu'il présenta au roi. Il repartit ensuite au royaume du Kongo avec un émissaire appelé Roderigo de Souza accompagné de plusieurs missionnaires catholiques pour y prêcher la Bonne parole. Ils seront rejoints en 1549 par des pères Jésuites. Les explorateurs européens ne s'enfonceront pas au coeur du Continent Noir avant la seconde moitié du XIXe siècle et les expéditions de Brazza, Livingstone et Stanley. Arabes et Portugais développèrent donc parallèlement la traite des Noirs en Afrique. Mais les Noirs eux-mêmes sont également responsables de cette traite. En effet, plusieurs traditions expliquent le développement de l'esclavage en Afrique. L'esprit de caste Jusqu'au XIXe
siècle la seule richesse de l'Afrique
Noire était ses hommes et ses femmes. A l'instar des guerres tribales ou
ethniques d'aujourd'hui (Cf au Soudan, en Ethiopie, au Congo,
etc), les conflits entre royaumes alimentaient un trafic de prisonniers qui
furent vendus comme esclaves à tout acheteur qui se présentait, qu'il
s'agisse d'une autre tribu, des Arabes ou des Portugais.
On
ne comprend réellement la société africaine, animiste, chrétienne ou musulmane, que
si on réalise que cette société n'est pas fondée sur les mêmes principes
qu'en Occident (démocratie, industrialisation, capitalisme, etc). La
société africaine (primitive, car cela évolue) était très hiérarchisée,
agricole, fondée sur des traditions séculaires où l'esprit de caste organisait
toute la société. Ainsi, en Afrique du Nord les serviteurs devaient servir les
nobles à l'image de la relation de servitude du Moyen-Age entre serf
et seigneur. On
comprend mieux ainsi pourquoi il n'y a pas si longtemps encore des gens
comme Bokassa (Rép.Centrafricaine), Mobutu (Zaïre), Idi Amin Dada
(Ouganda) et consorts sont montés sur le trône de leur pays. Membres de
castes nobles, ils furent un temps appréciés jusqu'au
jour où leur peuple comprit que ces personnages ne se sentaient
nullement redevable envers eux.
Dans
le respect de l'esprit de caste, au Niger
par exemple les nobles étaient dispensés de tout travail manuel, une activité
réservée aux esclaves noirs. Cet esclave était rattaché à la famille
de son maître qui le considérait comme un fils. L'esclave ne pouvait pas
avoir de famille ni hériter d'aucun bien. Mais il pouvait se
marier si son maître payait sa dot. Ses enfants appartenaient au maître
de son épouse. A la mort de l'esclave, tous ses biens revenaient à son
maître. L'esclave pouvait être vendu ou échangé et même faire partie de
la dot d’une fille de la noblesse. Tant
les habitants de Zinder (Damagaram, la capitale du Niger jusqu'en 1926),
que les Touareg (Targuy au singulier) habitant au Nord ou les Mangas Maikoréma
Zakari habitant l'Est du pays ont toujours pratiqué l'esclavage. Ils ne
reconnaissent toujours pas cette pratique, mais le terme "iklan"
par exemple qualifie bien un esclave en tamasheq, la langue Touareg. Des documents administratifs attestent cette
pratique. Les "iklans" d'origine soudanaise étaient préposés
à la garde des troupeaux. Chez les Mangas Maikoréma Zakari, le Muniyoma,
roi du Munyo et maître absolu avait instauré une taxe. Outre le prélèvement d'une fraction de la récolte,
chaque homme devait lui payer 2000 cowries (cauris) par esclave et 1000
cowries par adulte ou par tête de bœuf. Lors des ventes aux enchères,
un esclave adulte pouvait se négocier jusqu'à 40000 cowries, une jeune
fille nobile jusque 100000 cowries ! Cette
société était également raciste. Les nomades Touareg et Mangas s'alimentaient
en esclaves tout d'abord grâce à la traite organisée à partir du Soudan puis,
à partir du XIXe
siècle par le rapt de personnes isolées issues des peuples
sédentaires du Sud (Mali, etc). Au début les esclaves pouvaient
s'acquérir soit par le commerce soit par le troc (échange d'étoffes, d'animaux,
de céréales, d'outils agricoles, etc). Dans le Nord de l'Afrique, où nomades et sédentaires ont toujours cohabité,
la société a souvent été matriarcale, la femme Touareg par exemple
pouvant accéder au niveau de pouvoir suprême. Mais ce statut fut
exceptionnel. La
polygamie et le statut de la femme
Femme
africaine. Document Karloucha. Cette
pratique est aussi vieille que les civilisations. Rappelons que les rois de Babylone, de
Perse et les pharaons d'Egypte étaient polygames. Le roi David eut
plusieurs épouses, le roi Hérode eut 10 femmes et le roi Salomon eut un
harem de 700 femmes et 300 concubines. La Loi de Moïse autorisait la
polygamie, les prophètes ne l'encourageaient pas tandis que le Christ
considéra que le fait de quitter sa femme pour une autre était un
adultère. Enfin, les Grecs et les Romains n'ont jamais autorisé la
polygamie. En
Afrique, quelque soit leurs convictions religieuses, beaucoup de peuples ont pratiqué la
polygamie. Par
ailleurs, comme les Arabes, les Africains considéraient d'un très mauvais oeil l'émancipation de la
femme qui pouvait potentiellement faire ombrage au pouvoir des hommes.
De ce fait, la femme a souvent été rabaissée et son statut n'était guère
différent de celui des esclaves. Dans beaucoup de pays africains d'obédiance
islamique, l'homme considérait que rien ne servait d'éduquer la femme
puisqu'elle avait juste le droit de travailler,
de s'occuper des tâches domestiques, d'élever les
enfants et de satisfaire l'apétit sexuel de son mari. Malheureusement,
même dans nos pays certains machos le pensent encore. Certaines femmes
dociles s'y plient, y trouvant probablement des compensations, mais très
peu de jeunes couples acceptent encore ce genre d'attitude. Le
mariage forcé Etre marié à une personne connue ou inconnue contre
son gré (et souvent une jeune fille mineure à un homme adulte) est une pratique qui a
également toujours existé. Aujourd'hui cette pratique est illégale mais se rencontre
encore, même en Europe. En
Afrique, dès que les adolescents atteignaient l'âge nubile, leurs parents
organisaient leur mariage, comme cela se pratique encore localement. Après
négociation entre les chefs de famille, les jeunes filles étaient
vendues par leur propre père à leur futur époux en échange d'une dot. Elles devaient
obéissance à leur mari comme à un maître et devaient le servir pour
le restant de leur vie par leur travail et leur soumission à ses désirs
sexuels. Toute épouse ne pouvant satisfaire son mari ou lui donner un
garçon était répudiée et toute femme adultère pouvait être condamnée à
mort et même lapidée dans le monde islamique.
Organisation
de la traite des esclaves Durant
le Moyen-Age et les débuts de l'Islam, la traite des Noirs en Afrique ne déboucha
pas sur des déportations massives, violentes et traumatisantes des
populations. Déjà soumis à des us et coutumes ségrégationnistes, les prisonniers
ou les victimes de rapts acceptaient leur condition d'esclave avec
résignation. D'autre part, il était vain de se révolter car les
marchands d'esclaves étaient armés et ne faisaient pas de quartier. Au
début de l'Islam, donc longtemps avant que les îles atlantiques (Madère,
Canaries, São Tomé) et l'Amérique ne soient reliées au commerce négrier,
des chefs noirs se mirent au service des marchands négriers arabes pour
vaincre leurs ennemis et leur fournir des prisonniers. Ceux-ci étaient
ensuite revendus comme esclave en Afrique du Nord ou sur les marchés du
Moyen-Orient, d'Inde et l'Insulinde (Malaisie, Indonésie, Philippines).
Ceci explique pourquoi aujourd'hui nous retrouvons des populations noires dans toutes
ces régions. Les
marchés d'esclaves se développèrent surtout au Maroc, en Lybie (Tripoli),
en Egypte et dans le sud de l'Arabie (Yemen). La traite transsaharienne
passaient notamment par l'aristocratie Touareg et Mangas qui exportaient principalement les Noirs vers le nord de l'Afrique et l'Arabie. La
valeur des esclaves variait selon qu'il s'agissait d'une fille pubère (80
à 100000 cowries, un enfant (60 à 80000 cowries), un jeune pubère (50
à 60000 cowries) ou un adulte (30 à 40000 cowries). Cette
traite débuta avant le commerce triangulaire au XVIe
siècle et finit au XIXe siècle. Au
total, on estime que près de 8 millions d'esclaves furent ainsi
déplacés vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient entre le VIIIe
et le XIXe siècle. Ces
marchés d'esclaves possédaient leurs propres caractéristiques. Ainsi, en
Afrique subsaharienne le prix des femmes esclaves dépassait celui des
hommes car elles étaient plus nombreuses et pour ainsi dire polyvalentes
(elles pouvaient s'acquitter des tâches ménagères, être épouse,
prostituée, ouvrière, etc). En revanche, en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient, le prix des femmes était encore plus élevé que dans la région
subsaharienne alors que les hommes esclaves travaillaient également dans
l'agriculture et dans l'armée. Quant
à l'Amérique, les fermiers avaient surtout besoin d'une main-d'oeuvre
robuste et donc d'esclaves masculins. Mais malgré la maltraitance ou le
choix du sexe, rien n'explique qu'il y eut deux fois plus d'hommes que de
femmes esclaves dans le Nouveau Monde. Une chose est sûre, les femmes
esclaves étaient surtout demandées sur les marchés esclavagistes
africains. Avant
1650, on estime qu'il y eut jusqu'à 10000 esclaves par an exportés en
direction des pays musulmans du Moyen-Orient sinon au-delà. Il y en
eut autant exportés vers le Nouveau Monde. Le langage courant à
conserver une trace de cette époque; le mot arabe abid qui désigne
un serviteur ou un esclave est devenu synonyme de Noir. Zanzibar Au
XIXe siècle, des musulmans Chiite
originaires d'Oman et du Yemen s'établirent à Zanzibar (le "littoral des Noirs"
en arabe), une île africaine de l'Océan indien.
Grâce à l'importation d'une importante main-d'oeuvre d'esclaves noirs,
les Arabes y développèrent la culture du giroflier. Rapidement le
sultanat de Zanzibar devint l'une des principales
routes du commerce négrier en Afrique orientale. Hommes,
femmes et enfants capturés par les marchands d’esclaves.
Document AKG publié sur Brazza.culture. L'Ecossais
Mungo Park qui explora cette région peu avant 1805 rapporta que dans
les lieux qu'il visita une personne sur quatre avait le statut d'esclave
ou de travailleur forcé. C'étaient des prisonniers de guerre ou des
prisonniers pour dettes. Bien qu'en 1845,
le sultan Seyid-Saïd ait interdit l'exportation des esclaves, ses comptes
précis permettent d'évaluer à plus de 700000 le nombre d'esclaves qui
transitèrent par Zanzibar entre 1830 et 1872 ! A
partir de 1890, les Britanniques tentèrent de réduire l'esclavage sur
cette île mais le commerce continua clandestinement jusqu'au début du XXe
siècle. En fait il perdure encore aujourd'hui sous une forme à peine
plus moderne. Entre-temps,
en 1853, le pasteur et explorateur d'origine écossaise David Livingstone
explora la région du Congo et passa près des sources du fleuve Congo en 1867. Il raconta avoir
vu au cours d'une exploration des esclaves capturés par les Arabes et
apprit que 40000 esclaves avaient été déportés à Zanzibar. Sur son
chemin, il vit des squelettes et des ossements d'esclaves morts lors
de la marche, et cela dans chaque village qu'il parcourut. En
1876, le journaliste et explorateur américain Henry Morton Stanley partit à
la recherche de Livingstone porté disparu depuis quelques années et arriva à Nyangwe, au Congo. Il découvrit un
peuple anthropophage. Il se rendit compte à son tour de la présence des
Arabes et remarqua qu'ils prenaient des Congolais en esclavage. Stanley,
que les Congolais appelaient "Bula-Matadi" ("celui qui
casse les cailloux"), arriva à Zanzibar en 1874 et fut stupéfié par l'ampleur du trafic
négrier. Comme Livingstone il constata qu'ici également la traite était organisée par des Arabes.
Son récit va révolter les Européens et contribuer à soulever l'opinion mondiale
contre l'esclavage. Le récit qu'en fit le Dr Livingstone est devenu célèbre
: « Une longue chaîne composée d'hommes, de
femmes et d'enfants, liés à la file et les mains attachées, serpenta
sur la colline et prit le sentier du village. Chacun de ces malheureux
avait le cou pris dans l'enfourchure d'une forte branche de 6 à 7 pieds
de long, que maintenait à la gorge une tige de fer solidement rivée.
» Selon
l'historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, les conditions de travail
des esclaves étaient épouvantables : « La mortalité était très
élevée, ce qui signifie que 15 à 20% des esclaves de Zanzibar (soit
entre 9000 et 12000 individus) devaient être remplacés chaque année ». Les
chasseurs d'esclaves n'avaient aucune difficulté pour trouver des
esclaves. Armés par des Européens, ils possédaient des armes à feu.
En face d'eux, les indigènes ne pouvaient leur opposer que des lances et
des flèches. La lutte était inégale, la résistance des Noirs inutile. Après
que Stanley eut raconté ses aventures aux Européens, le
26 février 1885, après plus de trois mois de discussions, les
partenaires européens signent l’Acte de Berlin. Véritable Charte de la
colonisation de l’Afrique, cet acte promulga la liberté de navigation
et de commerce sur le bassin conventionnel du fleuve Congo, la neutralité
des territoires concernés en cas de guerre et la répression de la traite
des esclaves. En 1888, la Conférence de la Société Antiesclavagiste se tint à Bruxelles. Elle traita de l'esclavage dans l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) et demanda à ce que les coloniaux y mettent un terme. Un Arabe nommé Tippo Tip fut institué Gouverneur de la région des Chutes de Stanley et plusieurs postes de contrôle furent installés dans la région. Mais rapidement les Arabes voulurent soumettre les Blancs et finirent par s'opposer à la politique européenne par la force. Une guerre s'en suivi à partir de mai 1892. Parmi les héros de cette guerre, le Baron Dhanis poursuivit les Arabes jusqu'à leur dernier retranchement au Congo. Début 1894 les Blancs remportèrent finalement la victoire qui marqua la fin de l'esclavage et de l'emprise des Arabes sur l'Afrique Noire. D'un point de vue économique, on s'interrogea au XIXe siècle sur l'intérêt de la traite des Noirs. Malthus considérait que la démographie africaine pouvait combler les pertes humaines causées par la traite. A l'inverse, les abolitionnistes européens affirmaient que ces prélèvements dépeuplaient l'Afrique. Même Jules Verne dans son roman "Un capitaine de quinze ans" publié en 1878 fit référence aux comptes-rendus de Livingstone et s'inquiéta de « ces chasses à l’homme qui menacent de dépeupler tout un continent pour l’entretien de quelques colonies à esclaves ». Une simulation démographique réalisée en 1988 par Patrick Manning et William S. Griffiths de la Northeastern University montre que la traite atlantique dut fortement éprouver les populations des régions côtières de l'Afrique de l'Ouest. Peuplées de 25 millions d'habitants en 1730, ces régions auraient perdu de 3 à 7 millions d'habitants en 1850. Même les femmes âgées de 15 à 29 ans - les années les plus favorables de la fécondité féminine - ont deux fois moins été déportées que les hommes, cela a lourdement pesé sur la reproduction des populations de la région. Dans ces régions, on peut estimer à environ 12 millions le nombre d'individus capturés à partir de 1700. De ce total, 6 millions furent déportés vers les colonies d'outre-mer, 4 millions furent livrés à la captivité domestique et les 2 millions restants périrent en Afrique des suites de l'esclavage. La situation fut tout aussi préoccupante dans les colonies françaises d'Afrique et aux Antilles. Si l'esclavage fut aboli en 1848, le travail forcé n'a été aboli en Afrique que le 11 avril 1946, à l'initiative du député Félix Houphouët-Boigny, qui sera plus tard Président de la Côte-d'Ivoire. Rappelons que cette pratique est toujours en vigueur aux Etats-Unis et dans quelques états non démocratiques (Chine, Corée du Nord, etc). Prochain chapitre Le Congo au temps des colonies |