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Les modèles informatiques de l'évolution, par Brig Klyce de Panspermia

Thomas S. Ray auteur du programme "Tierra".

L'Institut de Santa Fe (II)

Il existe une théorie qui traite de l'application de l'informatique à l'évolution. Ce concept est parfois appellé la théorie des systèmes complexes ou la théorie de la complexité. Ainsi que nous l'avons vu ailleurs, Ilya Prigogine est considéré comme l'un de ses fondateurs. Il est difficile de résumer cette théorie que nous avons entrevue dans le dossier consacré à la théorie du chaos. Elle peut-être trompeuse dans le sens où elle décrit la théorie de la complexité de manière simple. Nous avons toutefois vu à propos de SETI et de la réévaluation du paradoxe de Fermi qu'une évolution postbiologique, informatisée et optimisée, peut s'avérer très complexe.

Indépendamment de la façon dont elle est caractérisée, depuis 1984 la théorie des systèmes complexes est devenu une institution au Santa Fe Institute du Nouveau Mexique.

Le physicien Murray Gell-Mann, l'un des fondateurs de l'Institut de Santa Fe et co-président de son conseil scientifique, décrit la théorie de la complexité en disant que les gens de ce domaine travaillent de haut en bas, alors que les scientifiques travaillent habituellement de manière réductionniste, de bas en haut. Gell-Mann pense que les deux approches sont nécessaires.

La théorie de la complexité applique avec éloquence la théorie de l'information et utilise des ordinateurs afin de modéliser le comportement des problèmes notoirement complexes tels que les marchés économiques, le pliage des protéines et l'évolution biologique. En 1994, Gell-Mann[4] publia "Le quark et le jaguar" qui traite essentiellement de ces sujets.

On pouvait s'attendre à ce que Gell-Mann décrive quelques exemples de programmes informatiques dans son livre, des simulations capables d'évoluer indépendamment vers des formes plus organisées. Il mentionne brièvement le programme de Biomorphes de Richard Dawkins sans l'approuver: "... dans la véritable évolution biologique il n'y a aucun concepteur dans la boucle" (p318).

La similitude la plus proche dont discute Gell-Mann est un programme appelé "Tierra", écrit par Thomas S. Ray. Dans ce programme il y a un "ancêtre standard," une "organisation" constituée de quatre-vingts instructions machine. Ses descendances donnent naissance à d'autres organisations. Des mutations sont introduites dans la descendance à un taux d'environ un million de fois plus élevé que le taux moyen de mutation dans les cellules eucaryotes. Quand la mémoire de l'ordinateur est saturée, les organisations plus anciennes ou défectueuses sont "tuées". Le résultat de ce processus artificiel dont Gell-Mann disserte longement est l'évolution d'une version plus comprimée de l'ancêtre original, une version contenant seulement 36 instructions au lieu de 80.

Gell-Mann souligne que l'évolution simulée dans Tierra ne présente pas de nouvelles facultés. Pourtant le résultat le plus remarquable de l'évolution biologique n'est pas la réduction de l'ensemble des instructions, mais plutôt leur croissance et l'émergence de nouvelles facultés. Etant donné que la véritable vie évolue, de nouveaux gènes avec leur nouvelle signification sont ajoutés au génome. Ceci n'est pas pris en considération dans ces programmes.

Kauffman

Le champion actuel de la théorie des systèmes complexes appliqué au domaine de la biologie est Stuart Kauffman, travaillant également à l'Institut de Santa Fe. "Kauffman a passé des décennies a essayer de simuler sur ordinateur ce que la théorie de Darwin à elle seule ne pouvait pas expliquer, en particulier l'origine ou l'évolution future de la vie"[5]. Kauffman propose qu'un processus qu'il appelle "l'autocatalyse" est nécessaire et suffisant pour créer la vie à partir des produits chimiquesabiotiques. L'autocatalyse est un processus chimique qui est amplifié par un de ses propres produits. Prenons un exemple. Imaginez une paire de nucléotides complémentaires qui pourraient, en tant qu'unité de base, augmenter le taux d'appareillement des mêmes nucléotides dépareillés. Si des nucléotides dépareillées étaient constamment disponibles, comme la "nourriture" nécessaire à la réaction, l'autocatalyse produirait un grand nombre de paires de nucléotides.

Stuart Kauffman. Document ARN.org

Ce concept a attiré une certaine attention, mais jusqu'ici son application à la biologie est difficile. Dans son livre "At Home in the Universe", Kauffman[6] mentionne également le programme Tierra. Pour Kauffman ce qui est intéressant dans Tierra est le fait que les organisations finissent par s'éteindre : "Elles disparaissent à l'étape considérée et ne sont plus jamais présentes" (p238).

A partir de ce comportement, Kauffman tire une leçon au sujet de la taille et de la fréquence des extinctions dans vie réelle plutôt qu'au sujet des avancées évolutionnaires. L'évolution qu'il décrit dans Tierra copie tout et brouille tout; le processus ne produit pas de nouveaux programmes ou sous-programmes.

Kauffman discute également d'une autre tentative visant à reproduire l'évolution dans un modèle numérique. Le résultat est négatif (p276-277). Depuis que la machine de Turing et ses programmes peuvent être définis par une séquence de nombres binaires, on a appris qu'une séquence de symboles pouvait en manipuler une autre. Ainsi, le fonctionnement d'une machine de Turing est un peu comme l'opération d'une enzyme sur un substrat, coupant quelques atomes d'un coup de ciseaux chimique et ajoutant quelques atomes ici et là.

McCaskill s'était étonné de ce qui se produisait lorsqu'on faisait une "soupe" de machines de Turing et qu'on les laissait se heurter; un partenaire de la collision agirait en tant que machine, l'autre associé agissant en tant que bande de lecture du programme. Le potage de programmes agirait sur lui-même, réécrivant son propre programme jusque à... Jusqu'à ce quoi ? Et bien, cela n'a pas fonctionné. Beaucoup de programmes fonctionnant sur le modèle de la machine de Turing écrivent une boucle infinie et finissent par se planter. Dans ce cas, les éléments ayant engendré la collision se verrouillent dans une liaison sans fin, d'où n'émerge aucun programme ou "produit". La tentative de créer un spaghetti auto-reproducteur en silicium a échoué.

Chris Langton de l'Institut de Santa Fe croit qu'il est raisonnable de penser qu'un modèle informatique puisse émuler la vie : "... si un programmeur crée un monde de "molécules" qui, par des règles telles que la chimie spontanée s'organise en entités qui se nourrisssent, se reproduisent et évoluent, dans ce cas Langton considère que ces entités sont vivantes même si c'est dans un ordinateur"[7].

A télécharger : openModeller - MaxEnt

Logiciels basés sur la théorie de l'information simulant la distribution des populations

En septembre 1995, Brig Klyce posa à Langton la question suivante : Si le hasard pouvait écrire un nouveau code génétique qui irait au-delà du progrès évolutionnaire, serait-il capable d'écrire un nouveau programme informatique ? Langton répondit oui[8]. Son exemple considérait une séquence d'instructions codées sur 2 bits indiquant la stratégie à suivre dans un jeu informatique simulant l'évolution. Le jeu s'appelait le "dilemme du prisonnier". Puisqu'on permettait au système de subir des mutations, la séquence d'instructions pouvait de temps en temps passer à des bits deux fois plus longs; parfois ce dédoublement conduisit à une meilleure stratégie.

Cet exemple semble faible. Si n'importe quel processus aléatoire peut écrire des programmes informatiques, il devrait être possible de trouver des exemples plus impressionnants que la simple duplication de deux bits. C'est équivalent à l'insertion d'un nucléotide dans un vrai génome. A la décharge de Langton, on peut considérer qu'il ne s'est pas écoulé assez de temps pour que les programmes "sous-produits" émergent. Mais l'évolution est un processus robuste. Si de nouveaux programmes génétiques peuvent être créés sans "input" dans le monde biologique, peut-il y avoir quelque indication rigoureuse qu'un processus similaire se produise dans le monde informatique actuel ?

Tierra

L'auteur du programme Tierra, Thomas S. Ray[9], voit beaucoup de drames dans cette évolution. Toutefois, il se rend apparemment compte que l'évolution à laquelle il a assisté jusqu'ici est plus courte que celle de sa contrepartie biologique : "on peut espérer dit-il, qu'avec l'aide d'une certaine impulsion vers une plus grande complexité, cette dynamique nous conduira vers la grande spirale ascendante de la complexité." Ray pense que l'impulsion nécessaire peut être fournie à Tierra en utilisant un réseau mondial d'ordinateurs similaires au réseau pluricellulaire d'un organisme vivant.

A lire : Le myxomycète peut optimiser nos réseaux (sur le blog, 2010)

Tierra en action. A gauche, un hyper-parasite (en rouge, constitué de trois pièces) vole le CPU (l'unité centrale de traitement ou chip) d'un parasite (la sphère bleue). En utilisant le CPU volé et son propre CPU, ce parasite est capable de produire deux filles simultanément (l'armature de fils à gauche et à droite). A droite, le réseau environnemental de Tierra vu à travers les "yeux" des organismes digitaux eux-mêmes. Le diamètre de la sphère orange (la machine) est proportionnel à la quantité de mémoire disponible pour les organismes digitaux en un noeud (la taille de la bulle); le diamètre de la sphère bleue (normale) dans la sphère orange représente la vitesse du processeur mesurée en nombre d'instructions de machine virtuelle exécutées par seconde; autour de chaque sphère bleue il existe un amas de sphères jaune-vertes, chacune représentant la présence d'une centaine d'organismes digitaux dans cette bulle. Notez que le noeud représenté par les sphères présentes en dessous à droite de l'image contient quatre sphères jaune-vertes, indiquant la présence de quatre cents organismes digitaux sur cette machine. Dans le coin supérieur gauche on découvre une machine entourée de quelques bulles et d'un processeur rapide ce qui fait que la petite sphère orange est cachée à l'intérieure de la grande sphère bleue, et formant une petite bulle, il y a seulement une centaine d'organismes digitaux sur cette machine (une sphère jaune-verte). Documents Thomas S. Ray/Anti-Gravity Workshop.

Le support de Ray pour le réseau informatique ressemble un peu à la publicité pour du capital à risque disent ses détracteurs : "par la suite le produit peut être modifié et vendu à l'utilisateur.... c'est une entreprise dans l'inconnu dans laquelle nous ne pouvons pas estimer la probabilité de succès".

Bien que nous devrions uniquement encourager ce type de recherche, nous devons aussi être réalistes concernant les découvertes faites jusqu'ici par Thomas S. Ray. Quant aux assertions selon lesquelles les ordinateurs ne reproduiront jamais que le progrès le plus évident de l'évolution biologique, selon Brig Klyce nous devons nous réserver et préserver un sain scepticisme en attendant des résultats plus convaincants et d'acheter ces nouveaux ordinateurs.

Pour plus d'informations

Définition de la vie (sur ce site)

openModeller, MaxEnt (logiciels simulant la distribution d'une population)

A Practical guide to MaxEnt (article PDF extrait du magazine Ecography N°36, 2013)

Panspermia, le site COSMIC ANCESTRY de Brig Klyce

Hitch-Hiker's Guide to Evolutionary Computation: FAQs et introduction sur le sujet

International Society of Artificial Life Welcome to the Santa Fe Institute

Darwin Among the Machines or The Origins of [Artificial] Life, discussion de George B. Dyson

Tierra, logiciel de simulation de l'évolution de Thomas S. Ray

Les Biomorphes, logiciel de simulation de l'évolution

Le jeu de la vie de Conway (désactiver la fonction "Back")

Yahoo! Science:Artifical Life: d'autres liens.

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[4] M.Gell-Mann, "Le quark et le jaguar. Voyage au coeur du simple et du complexe", Albin Michel Sciences, 1995

[5] John Horgan, "From Complexity to Perplexity" p 104-109 Scientific American June 1995

[6] Stuart Kauffman, At Home in the Universe: The Search for the Laws of Self-Organization and Complexity. Oxford University Press 1995.

[7] John Horgan, "From Complexity to Perplexity" p 104-109 Scientific American June 1995.

[8] Chris Langton, Personal interview with Brig Klyce, September 29, 1995.

[9] Thomas S. Ray, Artificial Life, 15 July 1996: "The whole story on Tierra; comments on other approaches".


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