Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

 

 

 

 

L'aventurier du trou noir

Les antennes lunaires du réseau de poursuite. Document Mark Dowman-Doug McLeod.

Distorsions spatio-temporelles (III)

Comparant les messages émis par la base lunaire il y a quelques années à ceux qu'il vient de recevoir, David constate qu’ils arrivent à présent à une cadence beaucoup plus lente et qu'ils doivent être accélérés pour être compréhensibles. David reçoit les images au compte-goutte et doit patienter des journées puis des semaines et des mois entiers pour les décoder.

Mais il sait que cette situation est trompeuse et relative à son état de mouvement. Qu'il vienne à faire demi-tour et le temps reprendra son sens normal : en réalité, pour les hommes de la base lunaire, cela fait des siècles que David s'est envolé vers Sagittarius A.

Bien que profondément sensible et sentimental mais d'un caractère bien trempé, David montrait peu ses émotions. Mais cette fois une profonde nostalgie l'envahi, lui serrant le coeur et lui nouant la gorge. Il se perdit dans ses pensées : "que sont devenus mes parents, mes amis, tous les gens que j’ai laissé derrière moi... Cela fait bien longtemps qu’ils n’existent plus... Bientôt trente mille ans[1]...". Sentant des larmes couler sur son visage, il amena ses genoux vers sa poitrine et les entourant de ses bras, ferma les yeux un moment et baissa la tête comme pour se protéger de la réalité et se rassurer. L'Univers se rétrécissait autour de lui et l'angoisse de la solitude et de l'oubli éternel l'envahi. Le héros des temps modernes semblait inconsolable face à l'épreuve du temps et la disparition de ses illusions, le temps fuyait emportant avec lui toute sa mémoire du passé et bientôt même la réalité...

Le temps passa. Reprenant ses esprits et confiance en lui, David se dit qu’il fallait penser à autre chose. La mission n'était pas terminée. Jetant un regard sur ses instruments, il note que l'émetteur est toujours bien allumé, la fréquence est calme. Une seule chose l'étonne toujours. L'horloge qui calcule le temps de la station lunaire et reliée au tachymètre avance toujours plus vite sur l'heure de bord qui continue de battre les secondes avec la régularité d'un métronome. David a vraiment le sentiment d’être immobile et d’observer ses collègues sur la Lune ralentir leurs activités. Il se dit qu’en touchant à la vitesse de la lumière, tout devient bien relatif.

Le faisceau laser cruciforme servant de témoin pour mesurer l'effet de la gravitation perd encore un peu de son éclat. David constate à présent que le vaisseau subit l'influence du trou noir et n'est visiblement pas tout à fait au repos. Indice de son aventure, le détecteur VLIGO a perdu un millionième de son éclat et l'interférogramme présente déjà quelques irrégularités. La caméra gamma a franchit le seuil des 50 kilocrabes tandis que le rayonnement émis par le trou noir est de plus en plus énergétique.

A bonne distance le disque d'accrétion du trou noir émettait surtout des ondes radio puis, en augmentant la résolution on constate que son rayonnement est beaucoup plus complexe que cela et comprend à la fois des émissions micro-ondes,  infrarouge, visible, UV, X beaucoup de rayonnement gamma tout près du trou noir. Un relevé multispectral  indique que de l'extérieur vers l'intérieur du disque d'accrétion, la température passe graduellement de 10000 K à plus de 10 millions de K en l'espace de quelques milliers de kilomètres. Ceci explique l'éventail des rayonnements. La matière passe de la périphérie au centre en l'espace d'un mois !

Pour l'observateur extérieur il en va tout autrement. Dans la station de réception installée sur la face cachée de la Lune, le signal du vaisseau devient imperceptible. La "grande oreille" lunaire travaillant en interférométrie avec une station installée au large de l’orbite terrestre, sur le point L1 de Lagrange, est au seuil de la sensibilité. Le signal est parasité par le rayonnement gamma intense émis par l'anneau de plasma vers lequel David se dirige. Grâce aux analyses radio et gamma, le filtrage dynamique de la scintillation du signal est cependant efficace et la communication reste pure. Les deux ordinateurs quantiques digèrent sans arrêt les milliards de bits d'information à la cadence de 150 TB/sec qui sont distribués dans les espaces multidimensionnels du CPU et des mémoires. Sans ces ordinateurs ultra rapides de la nouvelle génération, cette aventure n'aurait jamais été concevable.

Les premiers rapports signalent que le rayonnement émis par le vaisseau change de fréquence; la longueur d'onde de travail stabilisée avec une précision atomique se décale et devient de plus en plus grave. L'effet de la gravitation sur le continuum espace-temps se fait sentir, Einstein avait raison. D'après les images que nous recevons, on peut imaginer que la taille du vaisseau s'est modifiée : la proue s'est légèrement allongée tandis que les parois perpendiculaires à la trajectoire ont à peine subit l'effet des contractions relativistes. C'est un effet de marée gravitationnelle, il prouve que David est bien en train de tomber vers un point hypermassif !

L'aventurier du trou noir, le film

Approche du

trou noir

Mpeg 178 Kb

Autour du

trou noir

Mpeg 800 Kb

Approche de l'horizon 

des évènements

Mpeg 137 Kb

Promenade sur l'horizon

des évènements

Mpeg 442 Kb

Documents de Robert J. Nemiroff

L'intervalle entre deux évènements augmente aussi. Pourtant toutes les horloges ont été étalonnées avant le départ. Paul constate que David ne vieillit presque pas alors que lui et toute son équipe ont pris quelques rides au fil du temps. David a-t-il bien 49 ans se demande Paul ? Nous suivons son projet depuis plusieurs millénaires et semble toujours aussi guilleret qu'au départ. C’est hallucinant ! Tout à l'heure la trotteuse de l'horloge, copie conforme de celle embarquée, battait la seconde avec la même précision que celle restée au sol, puis elle commença à retarder d'une seconde par mois, puis d'une seconde par semaine et finalement toujours plus. A présent le temps est 1000 fois plus lent et semble ralentir l'accélération du vaisseau. En conséquence, David ne vieilli presque plus par rapport à l’équipe restée sur la Lune !

Curieusement les images qui nous parviennent défilent au ralenti. Pour rendre l'illusion du réel, les bandes vidéos doivent défiler 400 fois plus vite. David met un siècle pour effectuer le moindre geste, chaque commentaire nous fait penser à une voix qui s'essouffle. Dans cette mer obscure le trou noir vient de signaler sa présence. Quel bien étrange objet !

Détermination de la trajectoire à suivre entre le mouvement de précession, hyperbolique et de capture gravitationnelle.

A bord du vaisseau, jetant un regard sur l’image de synthèse établie par le radiotélescope et la sonde gamma, David découvre que certaines étoiles sont profondément perturbées par le trou noir. Quelques unes ont perdu leur forme sphérique et leur atmosphère s’étend loin dans l’espace, sous forme d'un long filament brillant vraisemblablement aspiré vers Sagittarius A. Leur spectre indique une forte agitation électronique et des perturbations magnétiques signatures de l’emprise du trou noir. Le vent cosmique s’intensifie, le courant entraînant les étoiles à plus de 4500 km/s.

Le spectre des étoiles proches du trou noir est également affecté et prend une coloration de plus en plus rouge. A présent l’effet Doppler n’est pas seulement dû à la vitesse de l’étoile mais il est avant tout d’origine gravitationnelle.

Pensif devant ce spectacle cataclysmique, David se demande s’il aura le sang froid et l’envie de mener sa mission à bien. Ca m’a tout l’air d’être une mission suicide pensa-t-il... A moins que ce tunnel dans l’espace-temps...

Effectivement, si le trou noir était bien associé à un trou de ver stable à l’échelle macroscopique, et si la coque du vaisseau résistait comme prévu, peut-être allait-il déboucher dans un autre univers, oui, s'était une possibilité prédite par les calculs. Mais cela faisait beaucoup d'hypothèses. Néanmoins, l'espoir renaissait en lui.

Nouveau cap. Le vaisseau vire de bord et se dirige conformément au plan de vol vers un point de coordonnées situé sur le disque du noyau Galactique, le rendez-vous de son destin, le trou noir Sagittarius A. L'enregistreur radio blindé prévu pour résister à tout ce qui peut arriver durant cette phase du vol s'enclenche et cale sa fréquence dans une bande particulièrement calme du spectre, vers 2 GHz, loin des rayonnements non thermiques et du bruit de fond à 2.7 K. L'aventure de David ne restera pas lettre morte car ses observations seront retransmises à des observateurs restés au sol, là-bas au loin dans le système solaire. Décidément le Consortium avait pensé à tout...

A présent que David a passé près de 20 années en vol relativiste, la notion de temps est réellement mise entre parenthèses dans les deux référentiels. Aux films qui parviennent sur la base lunaire se substituent des images statiques. Les ordinateurs reçoient les images numériques par bribes et leur reconstruction dure plusieurs jours. Il faut aux nouvelles équipes des années pour monter un film de quelques minutes. Bientôt les générations se succèdent sans distinguer la moindre modification de l'image.

En revanche, tout près de l'horizon du trou noir David observait un tout autre spectacle. Les étoiles et tous les objets célestes qui semblaient auparavant immobiles se déplaçaient à présent de plus en plus vite pour finir par traverser le champ en quelques secondes. A présent, il y avait tellement d'étoiles se déplaçant tellement vite qu'une lumière blanche aveuglante envahissait les hublots et éclairait la salle de contrôle plus brillamment qu'en plein jour.

Un jour, un peu plus de 300 siècles après le départ de David, les descendants des premières équipes de chercheurs du Comité COSMIC reçurent une image numérisée qui mit des siècles à être décodée. C'était une image de synthèse préparée longtemps à l'avance et émise par la balise automatique. Sur l’écran géant à plasma suspendu au mur de la salle, les experts voyaient David devant lequel figurait en incrustation une phrase :

- "J'ai traversé l'horizon du trou noir. Mission accomplie"

Puis en dessous de l'image apparaissait un commentaire :

- "Je passe dans un autre univers... A bientôt peut-être. Cpt Yan David, mission Discovery, 2124"

Ce message provoqua tout d’abord une grande excitation après des membres de l'équipe au sol. Des cris et des applaudissements s’élevèrent de ci de là, chacun se congratula et abandonna un instant ses instruments de contrôle. Puis soudainement il y eu un grand silence. Nous savions dès le départ qu'il s'agissait du mission non-retour mais aujourd'hui l'image se figea pour l'éternité... Chacun salua à sa manière notre ami avec émotion; nous regrettions tous sa disparition. Le moral n'y était plus et je vis plus d'un physicien laisser couler une larme pour le sacrifice de notre ami... Mais la vie devait continuer.

Agrandissement du trou noir. Le vaisseau parait allongé dans le sens du déplacement et son rayonnement devient de plus en plus rouge.

Le lendemain, sous l’éclairage rasant du Soleil qui se levait sur les remparts de Copernic, un collègue nous dit avoir retrouvé un disque optique de David enregistré au début du 3e millénaire et nous le présenta dans la salle annexe. Cela nous rappela à tous combien les équipes avaient été fières de travailler avec lui pendant toutes ces années lors de la mise sur pied de ce projet, et combien nous tous, leurs lointains descendants, avions eu de bons moments ensemble.

Alors que la projection s’acheva voilà que disparaissaient ensemble l’outil et l’objet de nos recherches. Fallait-il vraiment sacrifier une vie humaine au nom de la Science ? En tout cas c'était la volonté de David. Il faut donc continuer l'aventure.

Pendant un instant sa voix résonnait encore dans nos oreilles. Reprenant nos esprits, la petite phrase historique qu’il nous transmit était lourde de significations.

Scientifiquement parlant elle traduit que vu de la station lunaire, le redshift de la fusée est à présent infini, le temps compté à bord du vaisseau s'est arrêté pour nous. 

Soudainement, un bruit inhabituel nous sortit de nos réflexions. Dans la salle de contrôle, l'imprimante numérique sortit une quantité inhabituelle de feuilles imprimées. Vérifiant le contenu des mémoires tampons et la console de surveillance, il semble que l'ordinateur principal perde la raison. Son rapport stipule que l'information qu'il décode est incohérente et provoque une erreur système, mais elle est bien gérée par le logiciel d'analyse. L'opérateur tapa quelques commandes et transmis le résultat sur le tableau holographique.

Sur les graphiques tridimensionnels les axes de référence ont en effet perdu leur normalité et l'échelle est coupée très près de l'infini. Sur le canal à très hautes fréquences, le scanner confirme la perte de l'écho et l'émission de parasites très intenses, qu'il ne peut discriminer. Nous comprenons que le signal de David a perdu beaucoup d’énergie en essayant de s’extraire de l'emprise du trou noir et de son disque d'accrétion. A présent le rayonnement emprisonné par le trou noir forme un écran impénétrable. Selon la dernière trace du vaisseau, tout indique que son rayonnement est devenu de plus en plus rouge jusqu’à s’estomper à notre vue. Physiquement il semble suspendu dans l'éternité à quelques encablures du trou noir; sa vitesse est celle de la lumière et pourtant on dirait qu'il n'avance plus ! Qu'en penserait notre aventurier de l'espace ?

Prochain chapitre

L'horizon des évènements

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 -


[1] Pour pouvoir effectuer cette mission en l’espace d’une vie, notre voyageur devrait se déplacer à 0,999999995c. Le facteur de contraction g serait égal à 1435. A la moitié de son parcours, s’il décidait de revenir sur Terre il aurait 39 ans de plus à l’atterrissage, mais ses amis seraient morts depuis 56000 ans !


Back to:

HOME

Copyright & FAQ