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Cosmologie

Les deux piliers du principe cosmologique. Document T.Lombry.

Le modèle alternatif BHU de Gaztañaga

La violation du principe d'isotropie

L'origine de l'asymétrie constatée dans le rayonnement cosmologique micro-ondes (CMB) fait l'objet de nombreuses études. Bien que l'effet Doppler explique parfaitement le dipôle du CMB dans les modèles cosmologiques ΛCDM et inflationnaire, il reste des anomalies. Si beaucoup de chercheurs les interprètent comme des régions vides de matière, d'autres y voient l'effet local de cordes cosmiques. Malheureusement, ce sont des entités hypothétiques qui n'ont jamais été découvertes. Cette théorie n'est donc supportée que par une poignée de scientifiques. Cela ne veut pas dire qu'elle soit fausse mais à ce jour elle est peu crédible.

Pour leur part, les astrophysiciens et cosmologistes Pablo Fosalba et Enrique Gaztañaga[1] de l'Institut des Sciences Spatiales (ICE) du CSIC et de l'Institut d'Etudes Spatiales (IEEC) de Barcelone, affirment depuis 2019 que les données du CMB enregistrées par WMAP et Planck contiennent des preuves d'une violation du principe cosmologique d'isotropie, avec une probabilité d'une chance sur un milliard qu'il s'agisse d'un effet du hasard. Cette théorie s'oppose aux conclusions de la majorité des chercheurs qui, au contraire, voient dans les données du CMB une parfaite isotropie (cf. la mission Planck).

Voyons les preuves qu'avancent les deux chercheurs et ce qu'il faut en penser.

Le principe cosmologique

Le principe cosmologique énoncé par l'astrophysicien Edward A. Milne en 1935 n'est pas une théorie, mais une proposition, une hypothèse qui jusqu'ici a toujours été vérifiée. Selon ce principe, l'isotropie - le fait que l'univers est similaire dans toutes les directions - est un concept fondamental sur lequel se fonde le modèle cosmologique Standard.

Selon la théorie du Big Bang inflationnaire, l'Univers est né d'une fluctuation quantique suivie d'une inflation. Quelques 380000 ans plus tard, le fond cosmologique à 2.7 K (CMB) témoigne qu'il exista des fluctuations de température, des différences de densités d'energie qui donnèrent quelques milliards d'années plus tard naissance aux galaxies et aux grandes structures cosmiques. L'analyse des données des satellites micro-ondes et en particulier WMAP et Planck ont montré qu'à l'exception du dipôle lié au déplacement à l'effet Doppler, ce rayonnement est isotrope et donc qu'il n'existe aucune direction privilégiée à grande échelle (cf. D.Saadeh et al., 2016).

L'une des anomalies constatée dans le CMB et relevér par les deux chercheurs est le "cold spot", la tache froide détectée dans l'hémisphère sud, dont la taille est bien supérieure à celle des fluctuations de température. Les chercheurs de la collaboration Planck ont toujours interprété ces données comme une zone qui, des milliards d'années plus tard, apparaît comme un "trou" exempt de galaxies par opposition aux zones chaudes contenant des amas et superamas. En effet, les différents "trous" observés à ce jour sont très peu peuplés et ont la dimension d'un superamas de galaxies. Mais Fosalba et Gaztañaga ont une autre interprétation.

A gauche, modélisation du dipôle du rayonnement cosmologique (CMB) à 2.7255 ±0.0006 K réalisée en 2012 (avant la mission Planck). Un hémisphère est plus chaud que l'autre en raison du déplacement du système solaire à ~368 km/s par rapport au CMB et du Groupe Local à ~627 km/s par rapport au CMB. Si une cartographie plus détaillée révèle de fines fluctuations, le CMB est isotrope et homogène à 0.001% près, conforme aux modèles cosmologiques ΛCDM et inflationnaire. A droite, cette carte établie à partir des données du satellite Planck montre l’asymétrie entre les températures moyennes des deux hémisphères du ciel et la tache froide ou "cold spot" dans l'hémisphère sud. Cette tache froide représente une zone qui des milliards d'années plus tard apparaît comme un "trou" exempt de galaxies par opposition aux zones chaudes contenant des amas et superamas. Documents J.Delabrouille et al. (2013) et Planck - Collaboration ESA.

Après avoir analysé les données de fluctuations de température mesurées par le satellite WMAP, les deux chercheurs sont persuadés d'avoir trouvé une preuve observationnelle d'une violation du principe d'isotropie. Ils ont publié les résultats de leurs analyses dans les "MNRAS" en 2021 (en PDF sur arXiv).

A partir des données de la mission WMAP, Fosalba et Gaztañaga ont utilisé différentes méthodes d'analyses pour tenter de comprendre l'origine de ce qu'ils qualifient d'anisotropie. Ils ont découpé le ciel en secteurs de différentes tailles. Dans chacun d'eux ils ont ensuite calculé cinq paramètres du modèle cosmologique ΛCDM : la densité de matière sombre (ou noire) Ωc, la densité de matière baryonique Ωb, la constante de Hubble-Lemaître Ho, l'indice spectral ns et l'amplitude du spectre de puissance As. Pour les autres paramètres ils ont utilisés des valeurs fixes (τ = 0.0522, Σmν = 0.06 eV, Neff = 3.04 et r = 0).

Les chercheurs auraient découvert à grande échelle des variations directionnelles des paramètres cosmologiques, autrement dit une anisotropie d'origine cosmologique. Ces différences se manifestent dans trois régions distinctes du ciel qu'ils appellent des "horizons" dont le rayon varie respectivement entre 40° (H1), 60° (H2) et 70° (H3). En coordonnées galactiques, ces régions sont situées aux longitudes (l) et latitudes (b) suivantes : H1 (l, b) = 345°, 15°; H2 (l, b) = 240°,-5° et H3 (l, b) = 150°,-50°. Dans ces trois horizons, Ho est différent. Dans H1, Ho =76.7 ±5.4 km/s/Mpc; dans H2, Ho = 61.3 ±2.6 km/s/Mpc et dans H3, Ho = 75.8 ±2.2 km/s/Mpc. Bien sûr, en moyenne, en lissant toutes les hétérogénéités, ils trouvent une valeur Ho = 67.75 km/s/Mpc, compatible avec celle obtenue par la Collaboration Planck (67.74 ±0.46 km/s/Mpc). Parmi les autres paramètres calculés, la densité d'énergie noire ΩΛ vaut environ 0.8 dans les horizons H1 et H3 et 0.6 dans H2 (contre une moyenne de 0.6911 ±0.0062 selon la Collaboration Planck pour l'ensemble du ciel).

Enfin, selon les auteurs, la corrélation entre deux points séparés de plus d'environ 65° devient nulle (alors que la Collaboration Planck ne voit pas cette corrélation jusqu'à 180°), ce que prédit justement le modèle BHU pour ΩΛ ~ 0.7.

A gauche, cartographie du ciel micro-onde (CMB) montrant les fluctuations (en %) des paramètres cosmologiques Ωc et Ωb, Ho et ns, As et APS par rapport à la moyenne du ciel. A droite, les trois horizons (notés H1, H2 et H3 identifiés dans la carte des variations des paramètres de Hubble. La limite circulaire de chaque horizon est définie lorsque la variation du paramètre s'annule, c'est-à-dire lorsqu'elle est égale à la moyenne de tout le ciel (en jaune clair). Notez que les horizons se chevauchent partiellement entre eux. Des horizons très similaires sont obtenus pour les autres paramètres ΛCDM. Voir le texte pour les explications. Documents P.Fosalba et E.Gaztañaga(2021).

Fosalba et Gaztañaga concluent : "ces régions bien définies dans les cartes de paramètres cosmologiques peuvent refléter des horizons finis et disjoints à travers l'univers observable". En particulier, il existerait une relation entre la taille de l'horizon et la densité d'énergie qui serait en bon accord avec les prédictions d'un nouveau modèle cosmologique qu'ils appellent le modèle de "l'Univers Trou Noir" (Black Hole Universe ou BHU) qui expliquerait l'accélération de l'expansion de l'univers et les différentes valeurs des paramètres cosmologiques, y compris les divergencces autour de la valeur de la constante de Hubble-Lemaître (Ho), mieux que le modèle cosmologique actuel. Les auteurs soulignent que cette relation entre taille de l'horizon et la densité d'énergie noire ΩΛ est une prédiction clé du modèle BHU car testable par l'observation.

Selon les auteurs, "Étonnamment, nous constatons que différentes régions du ciel correspondent très bien au même modèle mais avec des paramètres qui sont significativement différents dans différentes parties du ciel. Cela brise l'hypothèse principale de la théorie du Big Bang : l'hypothèse d'isotropie et d'homogénéité".

Autrement dit,  ils auraient découvert les traces d'horizons non causals dans notre univers observable qu'ils interprètent comme une preuve de l'existence d'autres "bulles" d'univers dans lesquels les paramètres cosmologiques sont différents. Ils soulignent toutefois que leurs résultats indiquent que les mêmes lois physiques doivent s'appliquer dans les différents horizons.

Le modèle BHU

Fosalba et Gaztañaga fondent notamment leur théorie sur la physique des champs scalaires, des espaces définis par des variables qui associent un seul nombre ou scalaire à chaque point de l'espace, comme la masse par exemple. Ils sont différents des champs vectoriels dits orientés comme le champ de force de la gravitation, le champ autour d'une charge électrique ou le champ magnétique autour d'un courant électrique (cf. les ondes).

Les auteurs illustrent leur modèle au moyen du graphique présenté ci-dessous au centre montrant la distribution spatiale des faux vides (cf. l'Univers inflationnaire). Chaque cercle (les lignes continues) délimite une région où le champ présente un état de faux vide, c'est-à-dire un excès d'énergie par rapport au vrai vide minimum de l'espace. Chaque faux vide forme un "Univers Trou Noir" ou BHU. La solution du BHU nécessite que le carré du rayon de l'horizon du trou noir R2 tende vers 3/(8πGΔ). Le facteur Delta (Δ) correspond à une différence de pression qui se traduit par une expansion exponentielle - l'inflation dans le modèle Standard - qui fait croître R. Ainsi, initialement, la taille de R pouvait être de l'ordre d'une fluctuation quantique. Delta étant inversement proportionnel au rayon, plus Delta est petit, plus le trou noir est grand et massif.

A gauche, illustration de la théorie des "univers-îles" (l'univers des galaxies) par Thomas Wright en 1750. Au centre, le modèle d'Univers Trou Noir (BHU) selon Enrique Gaztañaga (Dark Cosmos) adapté par l'auteur. A droite, fonction de corrélation angulaire à 2 points de la carte de température de Planck (ligne continue rouge). La prédiction du modèle cosmologique Standard ΛCDM sert de référence (en pointillés bleu). Les zones continues sont les intervalles de confiance de 68%. Documents P.Fosalba et E.Gaztañaga (2021).

Selon les auteurs, lorsque Δ=0 l'univers est infini et homogène, comme dans le modèle du Big Bang. Dans le modèle BHU notre univers est un trou noir (le cercle bleu). Notre Galaxie est située au centre des cercles concentriques en pointillés qui délimitent l'univers observable. Nous pouvons regarder vers les confins de l'univers et découvrir d'autres univers en dehors de notre BHU (le plus grande cercle en pointillés rouges). Selon Gaztañaga, "Ceci est important car cela permet de tester cette théorie avec des OBSERVATIONS" (souligné par l'auteur).

Les auteurs ajoutent : "Cela nous permet également de voir ce qui existait avant la création de notre Univers Trou Noir. Dans une situation plus réaliste, il pourrait y avoir de la matière et du rayonnement entre différents faux vides ou trous noirs. Au minimum, lorsque Delta dans un faux vide est petit, il peut y avoir un effet tunnel quantique qui permet aux particules et au rayonnement de s'échapper du faux vide vers l'extérieur. Cette matière et ce rayonnement peuvent alors tomber dans d'autres BHU. Il y a donc un réseau d'interactions entre les BHU et c'est quelque chose que nous devrions pouvoir modéliser et observer". Ces propos sont totalement spéculatifs.

En guise de conclusion

En résumé, les deux chercheurs affirment "avoir trouvé des preuves solides d'une violation du principe cosmologique d'isotropie à partir de l'analyse de la carte des températures de Planck établie en 2018. Notre analyse met en évidence des écarts significatifs par rapport à l'isotropie statistique à grande échelle, avec une probabilité d'environ 10-9 d'être une fluctuation gaussienne. Il s'agit de la plus grande preuve signalée d'une violation du principe cosmologique à notre connaissance. Ces variations de paramètres sont cohérentes avec l'existence de trois horizons distincts avec des valeurs significativement différentes par rapport à la moyenne sur le ciel CMB".

Le modèle BHU s'oppose donc au modèle cosmologique Standard ΛCDM inflationnaire. Par conséquent, les conclusions des deux chercheurs risquent d'être mal reçues par la communaité des cosmologistes et des astrophysiciens si d'autres chercheurs ne peuvent pas prouver cette théorie grâce à d'autres observations, ce qu'admettent les chercheurs dans leurs conclusions : "Si l'existence de tels horizons est confirmée dans des analyses futures (par exemple, dans des données de polarisation de haute qualité), cela pourrait apporter un soutien supplémentaire aux modèles qui prédisent l'existence de ces horizons, comme le modèle Gaztañaga. Ceci à son tour ouvrirait la porte pour dévoiler la nature de l'énergie noire et l'accélération cosmique et résolvent les tensions apparentes des paramètres cosmologiques signalées dans des analyses récentes combinant sondes de redshift faible et élevé, sans avoir besoin d'invoquer de nouvelles physique au-delà de notre modèle Standard".

Pour plus d'informations

Dark Cosmos

Enrique Gaztañaga, "Inside a Black Hole: the illusion of a Big Bang", juillet 2021

Pablo Fosalba et Enrique Gaztañaga, "Explaining cosmological anisotropy: evidence for causal horizons from CMB data", MNRAS, 30 avril 2021 (en PDF sur arXiv), 

Pablo Fosalba et Enrique Gaztañaga, "A peek outside our Universe", arXiv, 31 mars 2021

Enrique Gaztañaga, "The cosmological constant as a zero action boundary", MNRAS, 13 janvier 2021 (en PDF sur arXiv)

Enrique Gaztañaga, "The size of our causal Universe", MNRAS, 15 avril 2020 (en PDF sur arXiv)

Enrique Gaztañaga, "Homogeneity and the causal boundary", arXiv, 26 novembre 2019.

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[1] Plusieurs articles de Enrique Gaztañaga ont été refusés par des éditeurs, y compris en préimpression sur arXiv pour non respect des règles de publication. Cela ne veut pas dire que les articles sont erronés ni qu'ils relèvent de la pseudoscience mais les modérateurs ont tout de même jugé qu'ils ne respectaient pas la méthode scientifique (cf. Nature, 2016 et Dark Cosmos).


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