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La spectroscopie

Le système binaire T Pyxidis.

Le spectre des novae

Ainsi que nous l'avons évoqué dans le dossier consacré à la diversité des étoiles, les astronomes ont accumulé suffisamment d'indices au cours des dernières décennies pour démontrer que la majorité des novae sont en fait des systèmes binaires dont les individus subissent des effets de marées gravitationnelles extrêmement violents. Le couple est en général formé par une étoile variable qui peut être une étoile géante rouge ou bleue et un compagnon beaucoup plus massif, d'ordinaire une étoile naine qui accrète l'atmosphère supérieure de l'étoile principale. Les phénomènes les plus intenses de cette catégorie sont vraisemblablement liés aux étoiles à neutrons, aux pulsars et peut-être aux trous noirs.

Si la matière libérée par l'étoile géante se propage au-delà du lobe de Roche, elle tombe sous l'attraction de celle de son compagnon et se déverse sur lui en formant un disque d'accrétion.

Ce plasma dont la température peut atteindre 10000 K provoque une augmentation de la pression et de la température de l'étoile dense qui réamorce les réactions de fusion thermonucléaire en surface. Cette réaction ne provoque pas, comme on pourrait le croire, l'explosion de l'étoile; la région subissant cette réaction est d'ordinaire limitée à 5% de la surface de l'astre. C'est ce réamorçage thermonucléaire qui est à l'origine du phénomène de nova. Ce phénomène est invisible dans les premiers jours mais peut-être mise en évidence par une analyse spectrale. En effet on observe soudainement un fort décalage des raies d'absorption vers l'ultraviolet, indiquant que la photosphère de l'étoile est en expansion et se rapproche de nous.

Après l'explosion les gaz émis deviennent partiellement transparents et n'émettent plus le spectre continu.

A gauche, le spectre UV de Nova Cygni 1992. La nova atteignit en 3 jours la magnitude 4.4 (lumière verte). Cette image représente l'évolution de son spectre UV 20 heures après sa découverte et durant 160 jours. Son profil est exceptionnel et unique car pour la première fois une nova décrut en lumière UV d'un facteur supérieur à 30 et présentait des raies inhabituelles telle la phase de la "forêt de fer". Durant toute cette période l'émission fut quasi thermique. Plus tard son spectre présenta les caractéristiques des phases "P-Cygni" et des émissions nébulaires (type OIII). Deux ans après l'explosion, les intenses raies ionisées de cette nova décrurent soudainement indiquant la fin de la combustion de l'hydrogène de la surface de l'étoile naine blanche. A droite, le spectre de la Nova Centauri 2013 qui atteignit la magnitude 3.3 début décembre 2013. Les raies d'émission et d'absorption sont produites par les éléments contenus dans la bulle de gaz en expansion. Durant les premières semaines, la bulle de gaz est dense et opaque et ne permet de détecter que l'hydrogène ionisé (H alpha et H bêta). Au fur et à mesure que la bulle se dilate, elle devient optiquement plus mince et ont apercevoir l'intérieur. Les raies d'émission du fer ionisé apparaissent, d'où sa classification parmi les novae de type Fe II. Ensuite, la bulle devient encore plus transparente et permet de détecter la raie D3 de l'hélium ionisé (He I). Documents INES/ESA et Jérome Jooste/ASSA.

Dans les mois qui suivent l'explosion, les gaz absorbent encore un peu la lumière ultraviolette de l'étoile. Des raies d'émission apparaissent mais elles ne seront vraiment brillantes qu'après la phase de brillance maximale de la nova.

Lorsque les gaz deviennent transparents, l'analyse spectrale révèle que le gaz est éjecté de tous côtés. Seules quelques raies sont visibles en absorption dans la direction de l'observateur mais elles sont fortement décalées vers l'ultraviolet. C'est seulement après quelques mois qu'une éventuelle enveloppe gazeuse apparaît au télescope.

Le spectre des novae est cannelé, entrecoupé de raies d'absorptions vers les courtes longueurs d'ondes après chaque bande d'émission, preuve que l'enveloppe se dirige bien dans notre direction.

En calculant la largeur des bandes d'émission et en mesurant le déplacement des raies sombres du côté violet nous pouvons déterminer la vitesse de détente de la bulle de gaz qui peut dépasser 1000 km/s.

D'après les mesures de l'intégralité de la lumière émise, les astronomes considèrent que seulement 10-4 masses solaires sont ainsi éjectées dans l'espace, ce qui en fin de compte ne représente qu'une faible partie de la masse totale de l'étoile.

Quelques novae sont récurrentes et rejettent dans l'espace périodiquement une partie de l'atmosphère qu'elles ont constituée en puisant dans l'atmosphère de leur compagnon. T Corona Borealis, T Pyxidis présentent une telle activité. Algol, γ Velorum ou AX Monocerotis libèrent également un immense flot de gaz sur leur compagnon tandis que DG Tauri, GG Tauri ou BZ Camelopardalis sont enveloppées dans un immense nuage de gaz.

A voir : Time-lapse de Nova Persi 1901 entre 1994 et 2011, videmo, Adam Block

A gauche, simulation hydrodynamique du disque d'accrétion créé par Algol. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (Mpeg de 936 Kb). Au centre, le système multiple GG Tauri constitué de 4 à 5 étoiles entourées d'un disque circumstellaire. Les deux étoiles centrales sont séparées de 0.24". A droite, GK Persei, alias nova Persei 1901 photographiée en 2011. Documents NCSU/Blondin, Gemini North et Adam Block et al.

Il sera donc très utile de surveiller l'apparition des novae en étudiant le spectre des étoiles candidates, en suivant par exemple les relevés effectués par les variabilistes, en observant périodiquement les novae ayant explosées au siècle dernier ainsi que toutes les novae "à répétition". Toute apparition soudaine de raies en émission sera le signe de l'explosion partielle de l'étoile.

Qualité des spectres

Si vous utilisez un spectrographe sans fente collimatrice à l'entrée, les résultats dépendront avant tout des conditions d'observation. La turbulence atmosphérique peut créer un bouillonnement des images stellaires qui ne peut que donner des résultats décevants. Dans ces conditions, les raies spectrales sont diffusées, rendant l'identification et la mesure de la largeur des raies impossible à déterminer. Lorsque la turbulence est trop sévère les spectres ne présentent même plus aucune raie comme on le voit ci-dessous !

Avec une fente de collimation, cet effet de flou ou de "délavement" aurait été attribué à la vitesse de rotation de l'étoile, effet que l'on observe d'habitude dans les étoiles chaudes et jeunes telles que Véga.

Spectre UV de la nova Cygni 1992 au paroxysme de son activité le 31e jour. Au-dessus lorsque la turbulence est minimale la résolution est de 2 Å. En dessous, par forte turbulence on ne distingue plus aucune raie d'émission ! Document ESA et Lombry.

Eta Carinae

L'étoile hypergéante bleue Eta Carinae A enfouie dans le complexe HII géant de la nébuleuse de la Carène (NGC 3372) est une étoile variable éruptive bleue et lumineuse (LBV) de type P Cygni qui est en train de souffler dans l'espace une partie de son atmosphère, faisant fluctuer notablement sa luminosité. Elle se situe à envrion 7660 années-lumière.

Cette nébuleuse présente une bulle gazeuse centrale dénommée Homunculus. Chaque lobe s'étend sur 7"x5" soit sur un rayon de 22000 UA et affiche un mouvement propre d'extension proche de 1000 km/s avec certaines éléments se déplaçant à 3200 km/s. La masse de Eta Carinae A sur la Séquence principale était d'environ 150 à 250 M et est estimée aujourd'hui entre 30-60 M ou 100-120 M et est à la limite de la luminosité d'Eddington. Ces caractéristiques alliées aux interactions avec son compagnon massif de type O expliquent les émissions violentes de vents stellaires.

Seuls les satellites d'observation du rayonnement X, tel Chandra ou NuSTAR ont pu déceler l'étoile centrale, qui apparaît en bleu sur la photographie présentée ci-dessous.

Des spectres révèlent une éjection tout à fait remarquable de matière à plus de 400 km/s; il s'agit des condensations rouges-brunes visibles tout autour de la bulle.

Le spectre d'Eta Carinae A présente 3 types de raies d'émissions :

- Des raies étroites et hautes (qui s'étendent sur toute la hauteur de la fente collimatrice du spectroscope) telles les raies interdites de l'[OIII] à 4959 et 5007 Å émises par la nébuleuse NGC 3372 toute proche,

- Des raies larges et petites se mélangeant au continuum dues à la dispersion de la lumière par l'objet central, dont le Fe II et le [Fe II] de chaque côté du doublet de la raie ([N I] à 5199 Å.

- Des taches presque circulaires qui sont les images spectrales de la condensation S, très intense pour le [N I], [N II] et [S II]. L'oxygène [O I], [O II] et [O III] n'est pas présent dans la condensation.

La raie de l'hydrogène alpha à 6563 Å est également très intense, l'élément étant plus abondant que le [N II] à 6583 Å, tant dans la nébuleuse (la condensation S) que dans le noyau Homunculus. C'est toutefois la raie d'émission du [N II] à 6548 Å qui est la plus brillante, l'étoile émettant 40 fois plus d'azote que le Soleil. L'émission de l'hydrogène alpha est provoquée par la recombinaison de l'hydrogène porté à 20000 K.

A gauche, une partie de la nébuleuse de la Carène NGC 3372 centrée sur Eta Carinae photographiée par Peter Ward. Au centre, image de l'Homunculus de Eta Carinae. Montage de T.Lombry basé sur des images visible et rayons X extraites de N.Smith/U.Az/ NASA/ESA/STScI et CXC. A droite, le spectrogramme de P Cygni (type B1) réalisé pour l'atlas MKK des spectres stellaire publié en 1943. Document W.Morgan et al./Caltech.

On a également établi que dans la Population I l'azote résultant du cycle CNO est surabondant en comparaison avec le carbone et l'oxygène présents dans la condensation S.

C'est l'observation des raies intenses de l'azote neutre ionisé, en l'absence d'oxygène qui a conduit les astronomes à l'observer en ultraviolet. Ces résultats on révélé la présence d'azote ionisé par un potentiel très élevé sans pour autant révéler les raies du carbone, pourtant typique des nébuleuses.

Ces différentes observations tendent à démontrer qu'Eta Carinae A n'est pas une étoile située sur une pré-Séquence principale, entourée d'un nuage protostellaire. Cet excès d'azote signifie au contraire que l'étoile est au moins au stade de sa maturité. En outre, le matériel azoté que l'on observe doit avoir été poussé jusqu'à la surface de l'étoile puis éjecté. Le cycle CNO mis en évidence témoigne qu'il s'opère dans son noyau des réactions nucléaires très intenses qui ont éjecté dans l'espace une grande quantité de matériaux. Ce phénomène concorde assez bien avec les conditions observées dans quantité d'étoiles supergéantes.

De nombreuses étoiles supergéantes de classe O et B sont en effet candidates à un accroissement de l'azote dans leur atmosphère et cela s'est également vérifié pour quelques étoiles Wolf-Rayet. Mais actuellement, Eta Carinae A est une étoile variable et ne présente pas encore les caractéristiques physiques et chimiques d'une étoile WR, encore moins d'une WN ou WO.

Mais l'analyse spectrale d'astres à l'atmosphère dense reste difficile. On peut alors tenter de trouver des astres éjectant des matériaux moins denses, par exemple en étudiant la condensation S plutôt que le noyau de Eta Carinae A, ce dernier contenant trop de poussière qui absorbe toute la lumière.

Les spectres des étoiles Wolf-Rayet V1042 du Cygne et MR107. Notez la présence de plusieurs raies larges en émission, celles du CIII à 4650 Å, CIV à 5806 Å et celle beaucoup plus pâle de l'Hα à 6563 Å.

D'autres candidats dont certaines photos sont présentées ci-dessous permettent de prédire l'activité probable de Eta Carinae :

- Dans NGC 6888 du Cygne associée à l'étoile WR136 ou dans le Grand Nuage de Magellan, des bulles de gaz enveloppent des étoiles bleues W et O où l'analyse spectrale révèle des concentrations d'azote,

- Cassiopeia A, le rémanent (SNR) d'une supernova révèle des flocules riches en azote qui on été éjectées d'une étoile massive alors au stade de pré-nova,

- NGC 7293, la nébuleuse planétaire de l'Hélice comprend aussi de vastes nuages d'hydrogène, d'azote et d'oxygène.

- Puppis A, un autre rémanent de supernova contient aussi l'azote en abondance.

Aussi, tout comme Cassiopeia A éjecta des flocules riches en azote avant d'exploser (déduit de la vitesse et de la composition des gaz résiduels), par analogie nous pouvons dire que nous sommes témoin chez Eta Carinae d'une éjection de matière probablement prélude à son explosion qu'on annonce très violente...

Trois nébuleuses riches en hydrogène, azote et oxygène. A gauche, NGC 6888 du Cygne voit voici une vue rapprochée prise par D.López de l'IAC dans laquelle les gaz sont libérés par l'étoile Wolf-Rayet HD192163 alias WR136. Au centre, les résidus de la supernova Cassiopeia A. A droite, la nébuleuse planétaire de l'Hélice, NGC 7293 du Verseau soufflée par l'étoile âgée aujourd'hui transformée en naine blanche. Documents Nicolas Kizilian, NASA/ESA/STScI et NASA/ESA/STScI.

Enfin, distinguons la différence entre Eta Carinae et la nébuleuse de la Carène. Des photographies interférentielles de la nébuleuse de la Carène réalisées par Nolan Walborn en 1975 ont révélé une étonnante variété de structures. Le "Nuage D" par exemple est particulièrement anormal. Il serait partiellement constitué d'une nébuleuse de réflexion. Des spectres de ce nuage montrent que sa lumière est en fait celle réfléchie par Eta Carinae.

Ce résultat a permis de dire à M.Liller et N.Walborn qu'Eta Carinae était en fait associée à la nébuleuse de la Carène et donc aussi avec les étoiles brillantes de type O qui excitent la nébuleuse d'émission. Certaines de ces étoiles présentant un spectre de début de classe étant très massives, cela tend à confirmer qu'Eta Carinae A est elle-même une étoile très massive, ce qui a depuis été confirmé.

Le fait que les nuages denses de poussière situés à l'ouest réfléchissent la lumière d'Eta Carinae implique aussi des conclusions significatives sur la description controversée de la nébuleuse faite par Herschel en 1847[1].

Pour l'essentiel le problème est qu'Herschel dessina la région de la nébuleuse immédiatement située à l'ouest de Eta Carinae beaucoup plus brillante qu'elle ne l'est aujourd'hui. En 1932, M.Bok ne vit aucune relation entre Eta Carinae et la nébuleuse brillante qui fût plus tard attribuée à la nébuleuse d'émission : la température effective d'Eta Carinae (~8000 K en période calme) était insuffisante pour l'exciter. Depuis, les astronomes ont démontré que la poussière qui s'était accumulée à l'ouest d'Eta Carinae réfléchit la lumière d'une étoile variable qui fut 6 à 7 magnitudes plus brillantes du temps d'Herschel, ce qui a pu considérablement accroître la brillance de la nébuleuse de réflexion à cette époque.

Depuis lors, l'aspect observé par Herschel il y a plus de 150 ans qui nota une étonnante différence de brillance avec la nébuleuse de la Carène proche d'Eta Carinae réapparaît depuis quelques décennies. Sa description était en fait très précise pour l'époque.En conclusion, Eta Carinae A est probablement en passe de devenir l'étoile la plus brillante du ciel après le Soleil mais l'écran formé par l'Homunculus nous empêche de déterminer avec précision sa masse ainsi que son stade évolutif thermonucléaire qui se situe entre le cycle CNO et le "triple alpha".

Malgré ces inconnues, son étude permet aux astronomes de tirer des conclusions sur l'évolution générale des étoiles et en particulier sur les étoiles massives, dont les processus d'éjection de matière sont encore mal connus.

Dans tous les cas, Eta Carinae A ne mourra pas oubliée et froide dans la nuit cosmique. Sa mort ne sera pas calme du tout : elle explosera probablement en supernova qui pourrait briller deux fois plus que Vénus. Mais vu l'incertitude sur sa masse finale, elle peut aussi se transformer en trou noir ou terminer sa vie comme étoile à neutrons. Surveillez donc son comportement car Eta Carinae nous surprendra encore. On reviendra sur Eta Carinae à propos des systèmes binaires.

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[1] Cette situation fut très bien illustrée par L.Gratton en 1963 dans "Proceedings of the International School of Physics Enrico Fermi", course 28, p297, New-York, Academic Press.


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