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Le trou noir
Le disque d'accrétion (V) Le concept de disque d'accrétion revête une grande importance car c'est une composante commune de beaucoup d'objets astronomiques. Il explique la formation des protoplanètes, les caractéristiques des binaires à contact et autres binaires accrétantes et indirectement le changement de luminosité et le rayonnement de certaines étoiles naines blanches ainsi que le jet bipolaire des trous noirs actifs parmi d'autres objets. Il est donc utile de rappeler comment les astrophysiciens en sont arrivés à proposer cette idée. Rappel historique Le concept de disque d'accrétion fut introduit par Gerard Kuiper en 1941 pour expliquer la courbe lumineuse ainsi que les caractéristiques spectrales et photométriques de l'étoile binaire à éclipse β Lyrae. Kuiper proposa que le transfert de masse entre les étoiles binaires en contact s'effectuait par la formation d'un "anneau" autour de l'étoile accrétante, le système binaire étant entouré dans son plan équatorial et à plus grande distance par un "disque de gaz dilué" en rotation de forme hélicoïdale. Ce concept fut ensuite amélioré par Kevin Prendergast et Geoffrey Burbidge en 1968 pour expliquer l'émission des binaires X (Cygnus X2) et par Donald Lynden-Bell (cf. ce PDF) en 1969 pour expliquer la luminosité des AGN (il parlait de "collapsed masses" sans citer explicitement le concept de trou noir inventé quelques années plus tôt). Ensuite ce modèle Standard fut amélioré notamment par Nikolai Shakura et Rashid Sunyaev en 1973 qui introduisirent le concept de turbulence pour expliquer l'augmentation de la viscosité du disque considéré comme étant en équilibre thermique et capable de rayonner efficacement de la chaleur. Le modèle de disque visqueux avec des instabilités sous-critiques déclenchées par du cisaillement (une instabilité linéaire ou "shearing") fut également appliqué aux étoiles T Tauri par Donald Lynden-Bell et James Pringle en 1974. Puis, en 1991 Steven Balbus et John Hawley montrèrent qu'un disque couplé à un champ magnétique (celui généré par la matière ionisée formant le disque) présentait du cisaillement capable de transporter le moment cinétique vers l'extérieur du disque tandis que John Hawley et al. ainsi que Axel Brandenburg et al. montrèrent en 1995 que ce mécanisme dit magnéto-rotationnel ou effet dynamo pouvait entretenir le champ magnétique. On y reviendra page suivante.
A peu de choses près et à des degrés divers, tous ces mécanismes sont à l'oeuvre dans le disque d'accrétion d'un trou noir. Nous reviendrons plus loin sur certains détails de ces mécanismes. Effets Doppler et gravitationnel Autour d'un trou noir, qu'il soit en rotation comme le trou noir de Kerr ou immobile comme le trou noir de Schwarzschild (mais plutôt théorique), il est statistiquement très improbable que la matière accrétée ne soit pas un minimum en rotation suite aux interactions qu'elle subit avec d'autres corps célestes, présentant ce qu'on appelle un moment cinétique (moment angulaire). De ce fait, en raison de la conservation du moment cinétique, toute la matière que le trou noir attire par sa force gravitationnelle et son champ magnétique (voir page suivante) prend la forme d'un disque d'accrétion aplati dans le plan équatorial. A
voir : Visualization:
A Black Hole Accretion Disk, NASA/GSFC
Comme on le voit ci-dessus à droite, suite à l'effet gravitationnel qui dévie apparemment la trajectoire de la lumière (car en réalité la lumière suit les géodésiques de l'espace-temps) combiné à l'effet Doppler qui augmente la brillance du disque dans le sens du déplacement, on observe une déformation du disque d'accrétion, avec un côté plus brillant et une partie arrière plus ou moins relevée selon la position de l'observateur par rapport au plan du disque d'accrétion. Lorsque le trou noir est vu par le pôle, on aperçoit un disque circulaire brillant généralement de façon inégale avec un arc plus brillant du côté du déplacement du disque, qu'il soit de taille stellaire ou galactique. Un trou noir accrète et absorbe non seulement la matière contenue dans son disque d'accrétion et son tore de poussière, mais également celle qu’il parvient à attirer à longues distances par son champ gravitationnel. Depuis 2005, grâce aux travaux d'une équipe de chercheurs franco-britanniques travaillant avec Thierry Foglizzo du CEA, la zone d'influence d'un trou noir a été revue à la hausse. Ainsi, on estime que sa zone d'influence appelée le rayon d'accrétion est un million de fois plus grand que sa taille définie par l'horizon de Schwarzschild (Rs). Or jusqu'à présent beaucoup de modèles ne considéraient qu'un rayon d'accrétion de l'ordre de 100 Rs. Cette découverte signifie que les effets d'un trou noir induisent des perturbations d'entropie et de vorticité insoupçonnés dans le milieu interstellaire jusqu'à des distances considérables qui, pour les plus massifs (dont le rayon équivaut à la taille du système solaire) peuvent encore se ressentir à 1000 années-lumière et même jusqu'à 30000 années-lumière à travers leurs rétroactions ! On reviendra sur la dimension des trous noirs supermassifs. A
voir : The
Doubly Warped World of Binary Black Holes,
NASA-GSFC Global simulations of accreting black holes, P.Armitrage/C.Reynolds - Simulation Gallery, EHT
Nous verrons à propos du trou noir du microquasar V404 Cygni (et c'est également vrai pour le trou noir binaire LMXB 4U 1543-47) que son disque d'accrétion interne est désaligné ce qui produit des jets rotatifs et des nuages de plasma éjectés à grande vitesse dans différentes directions. Ce phénomène de précession est très rarement observé. On y reviendra. Du disque annulaire à la fontaine Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2018, Takuma Izumi de l'Observatoire Astronomique National du Japon (NAO) et ses collègues ont étudié grâce au réseau ALMA le nuage de gaz et de poussière situé au coeur de la galaxie spirale Circinus (la galaxie du Compas alias ESO 97-G13 présentée ci-dessous), la plus proche des galaxies de Seyfert de Type II située à ~13 millions d'années-lumière. Analysé à 351 GHz (0.84 mm), au centre du disque circumnucléaire se trouve une structure annulaire (torique) qui s'étend sur environ 3 années-lumière au centre de laquelle se trouve vraisemblablement un trou noir supermassif à l'origine des émissions de cet AGN.
Comme on le voit sur le schéma présenté ci-dessous à gauche, un premier disque de poussière moléculaire et atomique est détectable en proche IR (maser H2O) tandis qu'une deuxième structure compacte alongée est détectable en IR moyen et lointain (NIR et FIR). Selon les chercheurs, cette seconde structure serait présente dans tous les AGN. Pour comprendre l'origine de ces structures et leur dynamique sur base du modèle unifié des AGN, Izumi et ses collègues ont simulé le phénomène sur un superordinateur Cray XC30 ATERUI de la NOAJ. Jusqu'à présent, les modèles théoriques établissaient des hypothèses basées sur des anneaux rigides. Mais plutôt que de partir d'hypothèses, Izumi et ses collègues se sont basés sur des équations physiques appliquée à un cas concret et ont montré pour la première fois que la circulation du gaz forme naturellement un anneau. Explications. Comme on le voit sur le schéma présenté ci-dessous à droite, les chercheurs ont proposé un nouveau modèle de tore dynamique multiphase pour expliquer les émissions de cet objet et les deux composantes détectées par ALMA. Il y a trois régions ou structures clés : (i) des écoulements chauds et poussiéreux de faible densité dans une région inférieure au parsec, (ii) des écoulements poussiéreux froids de faible densité et une région turbulente (c'est-à-dire géométriquement épaisse) induite par les chocs dus à un manque de vent dans une région qui s'étend jusqu'à 10 pc, et (iii) un disque géométriquement mince dans une région de quelques dizaines de parsecs où le gaz et la poussière peuvent s'accumuler du fait de la faible pression dynamique du vent stellaire émis par les supernovae. Notons que les simulations ont montré que la composante 2 est plus lumineuse que la composante 1, un effet compatible avec la prédiction de ce modèle selon laquelle la poussière froide est visible en FIR (aux longueurs d’onde submillimétriques) et Hα et est principalement située dans un disque étendu (dans un rayon de ~100 années-lumière dans le cas de Circinus II), tandis que les flux sortant poussiéreux et chauds sont prédominants dans la composante centrale à des longueurs d'onde NIR à MIR plus courtes. En simulant l'évolution dynamique de ce système, les chercheurs ont découvert l'existence d'un courant en cycle fermé provoquant l'apparition d'une "fontaine" de gaz atomique chaud entre la région (i) et la région (ii). Non seulement le trou noir accrète de la matière (du gaz moléculaire froid) mais son disque rejète également une grande quantité de matière au-dessus du plan qui retombe sur une distance pouvant dépasser 30 années-lumière et réalimente le disque.
En résumé, en étudiant les mouvements et la distribution du gaz moléculaire froid et du gaz atomique chaud, Izumi et ses collègues ont démontré l'origine de la structure annulaire entourant les trous noirs actifs. Cette découverte imposera de réécrire les manuels d'astrophysique sur les trous noirs. Température Lorsqu'un gaz tombe vers un objet compact (dans notre cas, un trou noir), généralement il perd son énergie potentielle qui se tranforme en énergie cinétique. Si la chute n'est pas interrompue, le gaz finit par atteindre l'objet compact. Si le gaz possède un moment angulaire initial, il va tomber en spirale vers le centre, la friction entre les atomes engendrant un transfert de moment angulaire. Cela entraine la formation d'un disque perpendiculaire au vecteur du moment angulaire. De plus, le gaz chauffé par la friction réémet un rayonnement correspondant localement à un corps noir de température déterminée. Que vaut cette température ? Dans le cas où il s'agit d'un trou noir supermassif (SMBH) où le disque peut-être assimilé à un objet géométriquement fin et opaque, on obtient la relation suivante : T(r) µ m1/4MSMBH1/2 (r/rs)-3/4 avec T(r) la température du disque à une distance r du centre et m, le taux d’accrétion, c’est-à-dire la quantité de matière qui tombe dans le trou noir par unité de temps. Étant donné que ce disque est opaque, son rayonnement à une distance r correspond à celui du corps noir. Il est donc indépendant de la nature de la matière et son spectre correspond à une superposition d'émissions de corps noirs de température T et distance r déterminées. Le rayonnement maximum du disque d'accrétion se situe dans l'UV mais il déborde de l'infrarouge jusqu'au rayons X. Comme on pouvait s'y attendre, plus on se rapproche du bord interne du disque d'accrétion d'un trou noir, plus la température augmente. Mais de manière paradoxale, à rapport r/rS fixe, la température diminue quand la masse du trou noir augmente. Comme nous l'avons expliqué, dans le cas d'un trou noir sueprmassif, ce phénomène s'explique par la diminution des forces de marée qui deviennent insignifiantes sur l'horizon des évènements. Dans le voisinage immédiat du trou noir, la température du disque d'accrétion atteint environ 100 millions de K. Cependant, des observations faites en rayons X montrent que le plasma de la région interne du disque dépasse 1 milliard de degrés car il est chauffé par les forces gravitationnelles (cf. B.Deufel et al., 2001). Température du jet de plasma Grâce à l'utilisation d'un réseau VLBI spatial comprenant un satellite et trois radiotélescopes au sol équivalent à un télescope virtuel de 171000 km de diamètre et d'une résolution de 26 μmas soit 2.7 mois-lumière, une équipe internationale de chercheurs est parvenue à mesurer la température électronique du jet du trou noir supermassif caché au coeur du quasar 3C 273 : 1013 K soit 10 mille milliards de degrés ! C'est 100 fois plus élevé que la température maximale prédite et met une nouvelle fois les chercheurs au défi d'expliquer cette libération intense d'énergie non thermique qui nécessite un facteur Doppler beaucoup plus élevé que ce qui est déterminé à partir de la cinématique apparente du jet. Les résultats de cette analyse furent publiés sur "arXiv" en 2016. Le spectre d'énergie Le fait que le trou noir soit ou non en rotation produit un effet sur son disque d'accrétion et sur son spectre d'énergie. Selon que le trou noir tourne dans le sens horloger (rétrograde) ou anti-horloger (prograde ou sens direct), le disque d'accrétion tournera dans le même sens ou en sens opposé. Si cela paraît évident, en raison des effets du champ magnétique, cela produit des effets inattendus. Si le trou noir est en rotation, il entraîne avec lui l'espace-temps. Comme on le voit sur l'illustration présentée ci-dessous à gauche, si le trou noir et le disque tournent en sens contraire, il se forme une cavité entre la partie interne du disque et la dernière orbite circulaire stable (orbite ISCO). Ces dernières orbites rayonnent très peu d'énergie. En revanche, si le trou noir et le disque tournent dans le même sens, du fait qu'il entraîne l'espace-temps, la relativité générale prédit que le disque peut arriver au contact de la dernière orbite stable et sera d'autant plus rapproché de l'ergosphère que le taux de rotation du trou noir sera élevé. Dans certaines conditions observationnelles, les astrophysiciens et les radioastronomes peuvent déterminer dans quel sens tourne un trou noir et à quelle vitesse en mesurant le profil d'émission de l'énergie du disque d'accrétion. En effet, en spectroscopie on constate que les raies spectrales peuvent s'élargir pour différentes raisons dont l'une des plus importantes est provoquée par l'effet Doppler : plus le gaz est chaud plus il se déplace rapidement et plus les raies sont larges dans un rapport qui peut atteindre 100:1 vers 1 GHz.
Ce phénomène qui est bien connu des chimistes (cf. les spectromètres de fluorescence X) est particulièrement apparent dans les raies d'émissions des atomes de fer dans le rayonnement X entre 0.1 et 100 keV. Dans ce spectre, le fer est dans un état neutre ou partiellement ionisé par fluorescence sous l'effet des rayons X durs émis par la partie interne du disque. En analysant le continuum X d'un disque interne d'accrétion, si on observe des raies en émission uniquement au-delà de 3 ou 4 keV et donc une coupure à basse énergie, cela signifie qu'il existe une cavité centrale. Dans le cas contraire, s'il n'y a pas de coupure dans le profil X et qu'on observe un élargissement du spectre d'énergie vers la partie rouge du spectre (en dessous de 1 keV), ce qu'on appelle le "red wing", on peut en déduire à quelle distance se trouve la limite interne du disque d'accrétion car elle dépend directement du taux de rotation du trou noir. C'est de cette manière qu'avec un peu de chance on peut calculer la vitesse de rotation du trou noir. Oscillations Quasi Périodiques (QPO) et effet Lense-Thirring L'étude du disque interne des trous noirs en rayons X grâce au télescope orbital XMM-Newton de l'ESA aidé par l'analyse spectroscopique nucléaire du télescope orbital NuStar de la NASA a permis aux chercheurs d'expliquer le phénomène de scintillement découvert dans les années 1980. A cette époque, les astronomes ont découvert que le rayonnement X provenant des trous noirs de masse stellaire fluctuait avec une période pouvant atteindre 10 secondes. Au fil des jours, des semaines et des mois, la période de scintillement se raccourcit jusqu'à atteindre 10 périodes par seconde ou 10 Hz puis, soudainement, le scintillement disparut. Ce curieux phénomène a été surnommé les "Oscillations Quasi Périodiques" mieux connu sous l'acronyme anglais QPO. On sait aujourd'hui que ces flashes X sont détectables dans tous les trous noirs et plus facilement dans les supermassifs en raison de leur taille plus importante. Mais on observe également des QPO dans l'émission X des puslars.
Dans le cas des trous noirs, ce rayonnement est émis par la partie interne du disque d'accrétion, c'est-à-dire une région très proche du trou noir. Dans les années 1990, les astronomes soupçonnaient que les QPO étaient associées à des effets gravitationnels prédits par la relativité générale : le trou noir crée une sorte de vortex gravitationnel qui entraîne toute la matière et l'espace-temps alentour. A l'image d'une bille en rotation qui essaye d'évoluer dans une matière visqueuse et l'entraîne dans son mouvement, le trou noir provoque un effet Lense-Thirring ou précession relativiste (voir page 3). Au fil du temps, l'orbite des objets gravitant autour du trou noir se décale d'un certain angle et change d'orientation. Le temps nécessaire pour que l'orbite revienne à son état initial est appelé le cycle de précession. Simulation de la précession des disques d'accrétion Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2009, Adam Ingram de l'Université de Durham et ses collègues ont présenté les résultats d'une simulation GRMHD montrant la manière dont le flux d'accrétion du disque interne d'un trou noir entraîne l'espace-temps avec lui, créant un effet de précession du tore intérieur tandis que la viscosité fixe le disque extérieur dans une forme constante, comme illustré dans la vidéo ci-dessous. Adam Ingram a également étudié le rayonnement X des binaires accrétantes (dont AR Scorpii) et notamment l'effet Lense-Thirring évoqué précédemment et les QPO des trous noirs. Dans le disque interne d'un trou noir se trouve un plasma chaud dans lequel les atomes sont dépouillés de leurs électrons et émettent des bouffées de rayonnement X. A mesure que le trou noir aspire cette matière, le flux interne chaud diminue au fil des semaines et des mois jusqu'à disparaître. Ingram et ses collègues ont suggéré que la QPO est entraînée par la précession Lense-Thirring du flux chaud. En effet, plus le flux intérieur rétrécit, plus il s'approche du trou noir et plus l'effet Lense-Thirring s'accentue et le cycle de précession relativiste s'accélère. Mais si cela "marche" dans les simulations, il faut encore prouver cette théorie. A
voir : Precessing inner torus accreting onto a spinning black hole,
2014
Les chercheurs ont donc analysé le flux interne qui émet un rayonnement de haute énergie qui frappe la matière contenue dans le disque d'accrétion, rendant les atomes de fer dans un état proche de la lumière des tubes fluorescents, état dans lequel ils émettent une raie spectrale dans le rayonnement X. Du fait que le disque d'accrétion est en rotation, la raie du fer est décalée par effet Doppler (vers le bleu pour la partie du disque s'approchant vers l'observateur et vers le rouge pour la partie s'éloignant). S'il existe un effet de précession dans le flux interne, comme on le voit sur l'illustration ci-dessous à droite, le disque doit être plus brillant dans le secteur s'approchant de l'observateur (et parfois sur la partie s'éloignant), donnant l'impression que la raie oscille d'avant en arrière au cours d'un cycle de précession. C'est ce phénomène d'oscillation qu'a détecté le satellite XMM-Newton. Dans
un article publié dans les "MNRAS"
en 2016, Adam Ingram et son équipe ont étudié le trou noir stellaire H1743-322. Il s'agit d'un
microquasar situé à 27700 années-lumière dans la constellation
du Scorpion. Le trou noir d'environ 10 M Les chercheurs ont analysé le rayonnement de ce trou noir pendant 260000 secondes (72.2 heures) avec le satellite XMM-Newton. Ils l'ont également observé pendant 70000 secondes (19.4 heures) avec le satellite NuSTAR qui confirma le vacillement de la raie du fer, et également observé une caractéristique spectrale appelée la "bosse de réflexion" (reflection hump) qui ajoute une preuve supplémentaire de la précession. Les oscillations observées de la raie du fer sont conformes aux prédictions de la relativité générale. C'était la première fois que l'effet Lense-Thirring était mesuré près d'un corps compact et massif. A l'avenir, cette méthode d'analyse permettra aux astronomes de cartographier la matière dans les régions internes des disques d'accrétion des trous noirs. En complément, cette technique peut être utilisée pour tester les prédictions de la relativité générale dans les conditions de champs forts comme jamais auparavant, mais pour cela il faut bien comprendre comme s'organise le mouvement de la matière dans le disque d'accrétion, raison pour laquelle l'étude des QPO doit être approfondie. A lire : Jets and Outflows in Compact Stellar Binaries (PDF), NRAO, 2012
Les fluctuations de luminosité et autres QPO ont également été observées dans les disques d'accrétion ultra lumineux (dits de super-Eddington) de certains trous noirs et même dans l'émission X de pulsars. Ce phénomène semble lié à leur rotation. La binaire X à faible masse (LMXB) V404 Cygni par exemple présente de telles fluctuations qui semblent supérieures à la luminosité d'Eddington (voir plus bas). La direction de propagation de son jet change également rapidement en quelques minutes ou quelques heures (cf. J.C.A. Miller-Jones et al., 2019). Jusqu'à présent, on ignorait la cause de ces fluctuations périodiques. En parallèle, on a constaté que les oscillations de luminosité de 0.01 à 1 Hz observées dans les sources de rayons X ultra lumineuses (ULX) peuvent s'expliquer par la précession du disque d'accrétion (cf. K. Atapin et al., 2019) ou par l'obscurcissement par des nébulosités (M.J. Middleton et al., 2011; H.Kobayashi et al., 2018). Pour nous mettre sur la bonne piste, rien de tel que de réaliser des simulations. Grâce à des simulations GRMHD, Yuta Asahina et Ken Ohsuga de l'Université de Tsukuba ont démontré en 2024 qu'un disque d'accrétion ultra lumineux incliné présente un mouvement de précession entraîné par la rotation du trou noir. De plus, ce mouvement de précession modifie périodiquement la direction du jet bipolaire et du rayonnement émis par le trou noir. Si ces simulations vont dans le même sens que les résultats obtenus par l'équipe d'Ingram dix ans auparavant, c'est la première fois qu'une simulation s'applique aux disques d'accrétion de super-Eddington. Pour valider cette théorie, Asahina et Ohsuga vont effectuer des analyses comparatives entre leurs simulations et des données observationnelles. Ces résultats devraient améliorer notre compréhension de la manière dont la rotation d'un trou noir influence les phénomènes cosmiques. A présent, pour valider leurs théories, les astronomes aimeraient bien observer directement la précession autour d'un trou noir. Il s'agit de l'un des objectifs scientifiques fondamentaux de l'observatoire spatial LOFT de l'ESA. Mais ce souhait n'a toujours pas été exaucé, d'autant moins que le lancement de LOFT prévu en 2022 a été reporté au plus tôt en 2025. Des simulations GRMHD confirment l'alignement de Bardeen-Petterson Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2019, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Alexander Tchekhovskoy du centre CIERA de l'Université Northwestern a présenté les résultats d'une simulation GRMHD la plus détaillée d'un trou noir et offrant la plus haute résolution à cette date. Cette simulation confirme des prédictions théoriques sur la nature des disques d'accrétion qui est longtemps restée mystérieuse. Parmi les découvertes, l'équipe d'astrophysiciens spécialisés en calcul informatique découvrit que la région la plus interne du disque d'accrétion s'aligne sur l'équateur du trou noir. Cette découverte résout une question ouverte depuis 44 ans. En effet, en 1975 le physicien John Bardeen, lauréat du prix Nobel, et l'astrophysicien Jacobus Petterson avaient soutenu que dans un trou noir en rotation, la région interne du disque d'accrétion incliné finit par s'aligner sur le plan équatorial de son trou noir. Après des décennies de recherche pour tenter de valider cet effet Bardeen-Petterson, grâce au nouveau programme ou code H-AMR, les chercheurs ont pu simuler le disque d'accrétion le plus mince calculé à ce jour - avec un rapport hauteur sur rayon H/R ≈ 0.03 ≈ 1.7° - autour d'un trou noir en rotation très rapide (a ≈ 0.9), en tenant compte d'une fonction de refroidissement et d'un disque initialement incliné à 10° (les disques les plus minces simulés auparavant avait un H/R = 0.05 alors qu'on sait aujourd'hui que les évènements les plus intéressants se produisent à 0.03). A
voir : Bardeen-Petterson alignment in a 10 degrees tilted disc GPU-accelerated GRMHD simulation of a very thin and tilted black hole accretion disk, M.Liska, 2019
Comme on le voit sur la vidéo et les sections présentées ci-dessus, le disque se bloque sous 5 rayons gravitationnels (5 rg) et s'aligne dans le plan équatorial du trou noir. Il s'agit de la première démonstration de l'alignement de Bardeen-Petterson dans un modèle MHD tenant compte d'une viscosité générée par la turbulence magnétisée (ou magnétohydrodynamique relativiste générale, GRMHD), alors que les simulations précédentes se contentaient d'approcher les effets de la turbulence. Comme c'est souvent le cas dans la recherche, les simulations ont longtemps été trop simplifiées car deux problèmes faisaient obstacle aux chercheurs. D'une part, les disques d'accrétion s'approchent tellement du trou noir qu'ils se déplacent dans un espace-temps déformé qui précipite la matière dans le trou noir à une vitesse astronomique. De plus, comme nous l'avons expliqué, la rotation du trou noir force l'espace-temps à tourner autour de lui. La prise en compte correcte de ces deux effets doit tenir compte des lois de la relativité générale qui prédisent comment les objets affectent la géométrie de l'espace-temps qui les entoure.
D'autre part, les astrophysiciens ne disposaient pas de la puissance de calcul nécessaire pour rendre compte de la turbulence magnétique ou de l'agitation à l'intérieur du disque d'accrétion (pour rappel, c'est cette agitation ou turbulence qui maintient les particules du disque ensemble dans une forme circulaire et qui fait que le gaz finit par tomber dans le trou noir). En effet, ce n'est que depuis les années 2010 que les grands centres de calculs disposent de superordinateurs dépassant le PFLOPS, bien que NEC avait déjà développé un tel système en 1983. Quand on sait combien les prévisions météos sont parfois difficiles à établir, on comprendra qu'en ajoutant des effets GRMHD, prédire le comportement de la matière dans ces conditons représente un problème vraiment difficile à résoudre. C'est pourquoi les programmeurs n'ont pas été en mesure de simuler des trous noirs réalistes jusqu'aux années ~2015. Selon cette simulation, le disque présente une région interne dominée par la pression magnétique de basse densité et haute viscosité sous 25 rg qui est rapidement accrétée par le trou noir. En réalité, en raison du découplage thermique des ions et des électrons, cette région interne peut s'évaporer en un flux d'accrétion radiativement inefficace à condition, comme le pensent les chercheurs, que le temps de refroidissement soit supérieur au temps d'accrétion défini par l'ordre de viscosité effective ((αeff ~1.0). De plus, outre le fait qu'un disque très mince peut supporter un flux magnétique vertical à grande échelle tombant sur le trou noir, la simulation montre qu'il peut aussi générer de puissants jets relativistes transportant 20 à 50% de la puissance d'accrétion de la partie externe du disque incliné, ce qui pourrait expliquer l'origine des jets des quasars bruyants (radi-loud quasars). On reviendra page suivante la simulation des jets de Sgr A* par l'équipe de Tchekhovskoy. Les chercheurs furent surpris de découvrir que même avec ces disques d'accrétion excessivement minces, le trou noir émettait toujours de puissants jets de particules et de rayonnements. Selon Tchekhovskoy, "personne ne s'attend à ce que ces disques produisent des jets à une aussi faible épaisseur. On s'attendait à ce que les champs magnétiques qui produisent ces jets détruisent ces disques très minces. Mais ils sont là. Et cela nous aide en fait à résoudre les mystères en suspens." Selon Tchekhovskoy, "ces détails autour du trou noir peuvent sembler minimes, mais ils ont un impact considérable sur ce qui se passe dans la galaxie dans son ensemble. Ils contrôlent la vitesse de rotation des trous noirs et, par conséquent, quel effet ont les trous noirs sur l'entiereté de leur galaxie." A
voir : Ultraluminous X-ray sources - our window onto super-Eddington,
M.Middleton, 2023 Matthew Liska de l'Université d'Amsterdam et coauteur de cette étude précise que "ces simulations ont également démontré que contrairement à ce que l'on pense habituellement, il est possible de simuler les disques d'accrétion les plus lumineux sur base de la relativité générale. Cela ouvre la voie à une nouvelle génération de simulations qui, je l'espère, résoudront des problèmes encore plus importants liés aux disques d'accrétion lumineux." Il en effet essentiel de comprendre la nature des disques d'accrétion pour comprendre comment les trous noirs évoluent et fonctionnent. L'alignement du disque affecte la manière dont les disques d'accrétion "serrent" leur trou noir. Cela a donc une incidence sur l'évolution du spin d'un trou noir au fil du temps et sur les jets qui ont un impact sur l'évolution des galaxies hôtes. Des QPO sur l'ISCO Le 22 novembre 2014, les astronomes ont détecté au coeur de la source ASASSN-14li située dans la galaxie PGC 043234 à près de 300 millions d'années-lumière du Soleil de remarquables émissions rayons X quasi périodiques ou QPO. Ils découvrirent qu'elles étaient produites par le disque d'accrétion interne d'un trou noir supermassif en train d'absorber les débris d'une étoile. L'évènement fut décrit par l'équipe du postdoctorant Dheeraj R. Pasham du MIT dans un article publié dans la revue "Science" en 2019 (en PDF sur arXiv). Depuis, de nombreux astronomes se sont penchés sur cet évènement relativement rare pour comprendre l'origine de cette émission et mieux comprendre comment s'alimentent les trous noirs. L'émission de rayons X pulsée était extrêmement intense - environ 40% supérieure à la luminosité moyenne d'uu trou noir en rayons X - et présentait une période de 131 secondes et persista pendant au moins 450 jours. Selon les modèles, tout ce qui émet un signal périodique doit orbiter autour du trou noir. Les résultats des analyses confirment que cette émission X fut émise par une TDE située sur l'ISCO ou dernière orbite circulaire stable avant l'horizon des évènements. Compte tenu de ces paramètres, les chercheurs estiment que ce trou noir supermassif représente environ 1 million de masses solaires et tourne à environ 50% de la vitesse de la lumière (ce n'est pas très rapide car il existe des trous noirs tournant à 99% de la vitesse de la lumière). C'est la première fois qu'une éruption X permit d'estimer le spin d'un trou noir.
Les chercheurs ont ensuite tenté d'identifier la source de cette émission. Plusieurs scénarii furent proposés, mais celui qui semblait le plus susceptible de générer une émission X aussi puissante et régulière n’impliquait pas seulement un trou noir déchiquetant une étoile proche, mais également une étoile naine gravitant tout près de ce trou noir. Mais selon Pasham, une étoile naine blanche gravitant à proximité d'un trou noir supermassif relativement inactif n'aurait pas suffit pour générer le moindre signal détectable. De plus, à cette distance la naine blanche aurait été invisible aux télescopes. Il a donc fallut qu'un autre phénomène se manifeste pour produire cette émission X durant plus d'un an. Voici ce qui s'est vraisemblablement produit. Vers le 22 novembre 2014, une deuxième étoile passa suffisamment près du trou noir pour générer une TDE qui émit une quantité importante de rayons X suite à l'intense énergie libérée par le gaz chauffé à blanc. Certains débris stellaires sont tombés dans le trou noir, tandis que d’autres sont restés juste à l’extérieur, sur l'ISCO, la même orbite que celle sur laquelle se trouvait la naine blanche. Lorsque celle-ci est entrée en contact avec ce gaz chaud, elle fut littéralement enflammée et s'est déchiquetée, libérant un intense flux de rayons X à chaque fois qu'elle accomplissait une rotation autour du trou noir, soit toutes les 131 secondes. Finalement, au bout de 450 jours, elle disparut sous l'horizon des évènements et fut absorbée par la singularité. Les scientifiques admettent qu'un tel scénario est extrêmement rare et ne dure jamais plus de quelques centaines d'années au maximum. Les chances de détecter un tel phénomène sont donc extrêmement minces. Selon Pasham, "le problème avec ce scénario est que pour un trou noir d'au moins 1 million de masses solaires autour duquel gravite une naine blanche, à un moment donné, sur une période de quelques centaines d'années seulement, la naine blanche sera engloutie dans le trou noir. Nous aurions donc été extrêmement chanceux de découvrir un tel système. Mais au moins en ce qui concerne ses propriétés, ce scénario semble fonctionner." Le principal résultat de cette observation est qu'elle montre qu'il est possible qu'une TDE limite le taux de rotation d’un trou noir. À l'avenir, les astronomes espèrent identifier d'autres QPO similaires dans des trous noirs situés plus loin dans le temps et l'espace. Cela permettra d'estimer les taux de rotation de plusieurs trous noirs à différentes époques de l'évolution de l'Univers afin de déterminer s'il existe ou non une relation entre la vitesse de rotation et l'âge des trous noirs. Les éruptions quasi-périodiques ou QPE sont des sursauts de rayons X rapides et récurrents provenant de trous noirs supermassifs, supposés résulter de l'interaction entre le disque d'accrétion et la matière environnante. La galaxie SDSS1335+0728 située 300 millions d'années-lumière de la Terre, dans la constellation de la Vierge, était stable depuis deux décennies puis présenta une augmentation de sa luminosité optique à partir de décembre 2019 (cf. les alertes ZTF19acnskyy), suivie d'une variabilité persistante. Elle abrite désormais un AGN qui fut surnommé "Ansky". Cette activité inhabituelle suggère que son trou noir d'environ 1 million de masses solaires s'est réactivé (cf. L.Hernández-García et al., 2025).
Depuis février 2024, des émissions de rayons X ont été détectées par le satellite Swift et vérifiées dans des données archivées du satellite eROSITA, révélant des QPE extrêmes d'une période d'environ 4.5 jours avec des flux et des amplitudes élevés, de longues échelles de temps, des énergies intégrées importantes et une superpériode d'environ 25 jours. Des variations UV de faible amplitude ont également été détectées. La superpériode des QPE pourrait être dûe soit à une orbite excentrique ou inclinée d'un compagnon compact perturbant périodiquement le disque d'accrétion soit une précession du disque interne (ou d'une structure secondaire dans le disque). Cela donne lieu à une modulation observable sur une échelle de temps plus grande que celle des QPE elles-mêmes. C'est la première fois que des chercheurs observent un tel évènement dans un trou noir qui semble se réactiver. Selon les chercheurs, "Cette découverte élargit les canaux de formation possibles des QPE, suggérant qu'ils sont liés non seulement à des évènements de perturbation de marée (TDE) mais plus généralement à des flux d'accrétion nouvellement formés dans un candidat AGN en phase d'activation." Les caractéristiques extraordinaires des QPE d'Ansky ont incité les chercheurs à envisager d'autres scénarii. Le disque d'accrétion pourrait être formé par du gaz capturé dans le voisinage du trou noir et non par une étoile désintégrée. Dans ce scénario, les sursauts de rayons X proviendraient de chocs très énergétiques dans le disque, provoqués par un petit astre traversant et perturbant à plusieurs reprises la matière en orbite. Selon Joheen Chakraborty, doctorant en physique au MIT et coauteur de cet article, "Les sursauts de rayons X d'Ansky sont dix fois plus longs et dix fois plus lumineux que ceux observés lors d'un QPE classique. Chacune de ces éruptions libère cent fois plus d'énergie que ce que nous avons observés ailleurs. Les éruptions d'Ansky présentent également la cadence la plus longue jamais observée, d'environ 4.5 jours. Cela repousse les limites de nos modèles et remet en question nos hypothèses actuelles sur la génération de ces flashs de rayons X." Malheureusement si les chercheurs ont beaucoup d'idées et divers modèles pour expliquer ces évènements, ils manquent de données pour comprendre ce qui se passe. Si les QPE résultaient de la capture de petits objets et de leur accrétion en spirale vers le trou noir, les éruptions d'Ansky semblent révéler une tout autre histoire. Ces sursauts répétitifs sont probablement associés à des ondes gravitationnelles que la future mission LISA de l'ESA pourrait détecter. Il est donc crucial de disposer de nouvelles observations en rayons X, qui compléteront les données sur les ondes gravitationnelles et aideront les chercheurs à comprendre le comportement mystérieux des trous noirs supemassifs. Luminosité d'Eddington et taux d'accrétion de super-Eddington A mesure qu'il accrète de la matière, un trou noir devient de plus en plus massif et grossit démesurément (le rayon de son horizon croît proportionnellement à sa masse) mais il y a tout de même une limite au-dessus de laquelle il ne peut plus accumuler de matière : c'est la limite d'Eddington. Pour rappel, cette limite déjà entrevue à propos des étoiles géantes et des étoiles à neutrons définit dans le cas d'un trou noir le seuil au-delà duquel l'énergie dégagée par la matière tombant vers la singularité est capable de freiner la quantité de matière tombant vers le trou noir. En d'autres termes, la luminosité d'Eddington représente la valeur maximale au-dessus de laquelle la pression de radiation est capable de compenser la force de la gravitation. Passé ce niveau, la luminosité est tellement élevée qu'elle empêche l'accrétion de matière vers le trou noir; il a atteint sa masse maximale. La luminosité d'Eddington La luminosité d'Eddington(λEdd ou LEdd) est proportionnelle à la masse du trou noir. Elle équivaut au point où la force de radiation, due à l'intense rayonnement émis par le disque d'accrétion, équilibre la force gravitationnelle qui attire la matière vers le trou noir. Dans le cas où, par exemple, la force de radiation est dominée par l'interaction entre photons et électrons libres dans un plasma ionisé (ce qui est valable dans beaucoup de cas astrophysiques, notamment dans les étoiles à neutrons et les trous noirs), et l'opacité est calculée ou estimée dans des situations complexes, on peut utiliser la formule générale suivante : LEdd = (4 π G M c) / κ avec G, la constante de la gravitation (6.6742 x 10-11 Nm2·kg-2) M, la masse du trou noir c, la vitesse de la lumière κ, l'opacité du milieu environnant exprimée en cm2/g (elle dépend de la densité des protons et de la section efficace de Thomson), κ = σT / mp Dans un autre contexte, si on veut calculer la luminosité sur base de l'hypothèse d'une accrétion isotrope et d'une interaction radiative classique, c'est-à-dire des environnements ionisés typiques, comme des étoiles ou des disques d'accrétion où le plasma chaud est fortement ionisé et dominé par la diffusion Thomson (la diffusion élastique des photons par des électrons libres), on peut utiliser la formule suivante qui est plus précise et standard : LEdd = (4 π G M mpc) / σT avec G, la constante de la gravitation universelle (6.6742 x 10-11 Nm2·kg-2) M, la masse du trou noir mp, la masse du proton c, la vitesse de la lumière σT, la section efficace de diffusion de Thomson (l'aire représentative de la probabilité de diffusion, 6.652 x 10-25 cm2). Dans le cas du Soleil, la luminosité d'Eddington vaut 33000 fois sa luminosité actuelle. La formule approchée est la suivante : LEdd
= 3.3 x 104
(M / M Si
la masse du trou noir galactique est comprise entre 1 et 100 millions de fois celle du Soleil,
LEdd
atteint des valeurs supérieures à 100 milliards, comprises entre
1011-1013
L En 2015, l'astronome Andrew King de l'Université de Leicester confirma que cette masse maximale est de l'ordre de 50 milliards de masses solaires mais peut atteindre 270 milliards de masses solaires dans les cas extrêmes, par exemple lorsque le trou noir est animé d'une vitesse de rotation maximale et prograde (dans le sens anti-horloger, comme c'est le cas de la plupart des planètes du système solaire). A ce jour le trou noir le plus massif "pèse" environ 66 milliards de masses solaires (celui situé au coeur du quasar TON 618) et présente une luminosité d'Eddington de l'ordre de 1050 erg/s, très proche de la luminosité maximale bolométrique (mesurée sur l'ensemble du spectre) mesurée dans les AGN les plus brillants et les plus vastes. On trouve le taux d'accrétion maximum ou taux d'accrétion d'Eddington dans les trous noirs (peu importe leur masse) présentant un moment cinétique et donc en rotation (trou noir de Kerr) où l'efficacité d'accrétion (η, la fraction de la masse-énergie de la matière accrété convertie en rayonnement) peut atteindre η = 42% sur l'ISCO d'un trou de Kerr en rotation maximale prograde (contre ~3.8% dans un trou noir de Kerr en rotation rétrograde, ~5.7% dans un trou noir de Schwarschild (non rotatif) et 0.7% dans une étoile, cf. cet article). En théorie, un trou noir peut grossir au-delà de la luminosité d'Eddington par des mécanismes "non-lumineux" comme par exemple un merge ou fusion (coalescence) avec un autre trou noir mais il ne pourra plus devenir un accréteur lumineux. En revanche, on pourra le détecter par d'autres méthodes comme son rayonnement X ou par l'effet de lentille gravitationnelle. En théorie, les trous noirs peuvent outrepasser le taux d'accrétion définit par la luminosité d'Eddington. On parle alors de régime de super-Eddington. La luminosité de super-Eddington Le
taux d'accrétion d'Eddington (
L'accrétion de super-Eddington est un régime critique où Dans le régime de super-Eddington, on observe plusieurs effets : - Effets anisotropes du rayonnement : le rayonnement peut être éjecté de manière directionnelle (comme dans des jets), ce qui réduit l'impact de la pression de radiation sur le matériau accrété. - Accrétion par des flux denses : si la densité de matière autour du trou noir est très élevée, la matière peut continuer à tomber malgré la pression de radiation. - Disques épais ou supercritique : les disques d'accrétion de super-Eddington (régime de disques de Shakura-Sunyaev) peuvent devenir géométriquement épais et produire des vents massifs, laissant néanmoins une fraction significative de matière atteindre le trou noir.
- Opacités complexes : dans certaines conditions, la capacité du milieu à absorber ou diffuser le rayonnement dépend de mécanismes physiques et locaux autres que le classique effet Thomson précité, ce qui modifie la dynamique. Effet sur la couronne Un taux d'accrétion super-Eddington peut avoir des effets significatifs sur la couronne du trou noir supermassif. La couronne, une région de plasma chaud (~109 K) située au-dessus et en dessous du disque d'accrétion, est influencée par les mécanismes liés au régime d'accrétion (effets de pression de radiation, éjection de matière (vents) et augmentation de l'énergie thermique) qui peuvent modifier son apparence et ses propriétés : - Taille et géométrie : la couronne peut devenir plus grande et plus diffuse, ou, au contraire, être comprimée par des processus d'interaction complexes. La géométrie anisotrope des disques supercritiques (souvent épais) peut influencer l'étendue verticale et la forme de la couronne. - Modification de la température : les disques super-Eddington injectent une grande quantité d'énergie, qui peut augmenter la température du plasma couronnal. Cependant, l'interaction entre les vents et la couronne peut également refroidir certaines régions via des mécanismes de dissipation d'énergie. - Impact sur les émissions de rayons X : les émissions de rayons X de la couronne, principalement produites par des processus de diffusion Compton inverse (interaction entre des photons UV/optique du disque et les électrons énergétiques de la couronne), peuvent être amplifiées ou modifier la distribution spectrale d'énergie (cut-off vers 100-300 keV et raies de fluorescence comme Kα du fer vers 6.4 keV dues à des réverbérations de rayons X sur le disque). En régime supercritique, des émissions anisotropes dues à l'interaction couronne-disque peuvent apparaître. La luminosité d'accrétion et le rapport d'Eddington La luminosité d'accrétion (Lacc) est la luminosité produite par la matière qui tombe sur un objet compact via un disque d'accrétion. L'énergie rayonnée provient de la conversion de l'énergie gravitationnelle de la matière en énergie radiative lors de l'accrétion. Lacc
= η avec η, l'efficacité de conversion
c, la vitesse de la lumière. Le rapport d'Eddington (ƒEdd) est le rapport entre la luminosité réelle de l'objet (souvent Lacc) et la luminosité d'Eddington (LEdd ) : ƒEdd = Lacc / L Edd Par exemple, le trou noir supermassif caché au coeur de la galaxie M104 présente un rapport d'Eddington ƒEdd = 10-5 (cf. Y.Yang et al., 2024). Cela signifie que sa luminosité d'accrétion est très faible par rapport à la limite d'Eddington (Lacc = 10-5 LEdd). Si on peut mesurer certaines grandeurs, toute la difficulté est de valider cette théorie car la plupart des trous noirs découverts à ce jour n'ont pas atteint la limite critique d'Eddington. Mais nos moyens sont aussi à la limite de pouvoir les observer. Mais il y a de l'espoir. Nous verrons à propos des trous noirs supermassifs, qu'en 2024 des chercheurs ont découvert plusieurs trous noirs supermassifs dans l'Univers primitif qui ont dépassé la limite d'accrétion de matière et atteint la luminosité de super-Eddington, la preuve que les astronomes attendaient depuis des décennies. Le disque non radiatif Faisons une expérience de pensée pour nous familiariser avec l'énergie et l'activité des trous noirs. Question : est-il possible que le disque d'accrétion d'un trou noir en rotation ait une efficacité de conversion η = 0 ? Que signifie une efficacité de conversion η = 0 ? Cela signifie que la luminosité d'accrétion Lacc = 0 et le rapport d'Eddington ƒEdd = 0. Aucune énergie n'est émise par le disque d'accrétion lorsque la matière est chauffée et accélérée près de l'horizon du trou noir. Aucune énergie disponible dans le disque n'est convertie en émission électromagnétique (ni lumière, ni chaleur, ni rayons X, UV, etc). Dans ce cas il s'agit d'un disque "non radiatif". Avant de répondre à la question, précisons que l'efficacité de conversion η varie selon le taux d'accrétion, la rotation du trou noir et les propriétés du disque. Elle est significativement plus faible pour un disque optiquement épais (plus compacts, plus denses, avec une épaisseur importante par rapport à leur rayon), car une grande partie de l'énergie gravitationnelle est advectée dans le trou noir ou perdue sous forme de jets et de vents. Pour un disque mince, η ~ 0.1 mais pour un trou noir de Kerr en rotation maximale (paramètre de spin a* = 0.998, voir page 3), η ~ 0.32 (valeur standard) et même η ~ 0.42 (valeur typique) dans les modèles tenant compte d'effets supplémentaires. Pour un disque épais (également appelé disque advectif ou super-Eddington) standard, typique des trous noirs supermassifs des AGN ayant un taux d'accrétion élevé (super-Eddington), η est compris entre 0.01-0.1 mais est souvent vers la limite inférieure (η ~0.01-0.03) dans les disques très épais. Pour les disques extrêmement advectifs ou chaotiques, η < 0.01. Pour les trous noirs stellaires ayant un taux de rotation très élevé, η ~ 0.05-0.1. A ce jour, nous n'avons pas découvert de disque d'accrétion où η = 0. Concrètement, que représente η en terme de pourcentage de masse d'un disque d'accrétion ? Selon la relation de conversion de masse-énergie : ΔE
= η si η = 0.1 ou 10%, cela signifie que 10% de la masse accrétée est convertie en rayonnement, le reste soit 90% étant absorbé par le trou noir ou transporté par des vents/jets. Pour
un trou noir de 1 M Une efficacité de conversion η = 0.1 est loin d'être faible et est considérée comme modérée. En pratique, une efficacité de conversion η = 0.01 soit 1% peut produire une luminosité observable et notable, surtout dans des environnements énergétiques comme les trous noirs. Répondons à présent à notre question. En théorie, un disque non radiatif pourrait exister. Mais ce scénario est peu probable car il est difficile d'avoir une efficacité de conversion exactement nulle dans un disque d'accrétion. Ce scénario peut se produire si la matière tombant dans le trou noir ne subit pas de chauffage suffisant ou si d'autres mécanismes sont plus dominants, ce qui peut empêcher la libération d'énergie sous forme de rayonnements. Cela pourrait survenir dans les cas extrêmes suivants : - l'accrétion est lente et la matière ne chauffe pas - toute l'accrétion passe par un jet relativiste - la friction est faible ou les processus thermiques sont très faibles (la matière suit une trajectoire adiabatique et donc à température constante) - le disque est fortement ionisé ou le trou noir est chargé électriquement, empêchant la conversion d'énergie (il n'a pas de conversion des énergies cinétique ni gravitationnelle en rayonnement thermique). En revanche, il y aura toujours des effets gravitationnels, y compris des ondes gravitationnelles si le trou noir est en interaction avec un autre object compact massif, éventuellement des jets relativistes, mais aucune émission directe provenant du disque d'accrétion. Prochain chapitre |