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La pollution lumineuse

Les méfaits du passage des satellites (III)

Depuis 2019, les astronomes subissent un nouveau type de pollution lumineuse qui touche principalement les astrophotographes, qu'ils soient amateurs ou professionnels : les constellations de satellites artificiels.

La photo présentée ci-dessous à droite montre ce qui arrive quand des astronomes professionnels essayent de photograhier une supernova dans une galaxie lointaine (SN2019ein au SE de NGC 5353) juste au moment où monsieur Elon Musk lança sa constellation de satellites Starlink le 24 mai 2019, sans dommage prétendait-il dans un tweet pour l'astronomie professionnelle car leur éclat allait diminuer avec le temps... Si c'est exact, avec des temps d'intégration CCD de plusieurs heures, ces constellations de satellites laisseront toujours des traces sur les photographies du ciel profond et peuvent également perturber les sondes de guidage des télescopes.

A voir : The 60 satellites of Starlink-6 filmed over Paris, 23 April 2020, T. Legault

60 Starlink satellites passing over Paris, 31 Dec 2019, T. Legault

SpaceX Starlink satellite train at dusk, 26 mai 2019

SpaceX Starlink Satellites Spotted Over Netherlands, 24 mai 2019

57000 satellites en 2030, Analytical Graphics

A gauche, compositage de 300 photos exposées 13 secondes soit 65 minutes durant les Perséides le 12 août 2018 entre 22h57 et 0h07 TU. Photos prises depuis Waldenburg en Allemagne. Le champ couvre 84°x62°. La plupart des lignes sont provoquées par des satellites éclairés par la lumière du Soleil. C'était avant le lancement des Starlink. Ca présageait le pire...  A droite, une photographie du groupe de galaxies NGC 5353/4 réalisée avec le télescope de l'Observatoire Lowell en Arizona dans la nuit du samedi 25 mai 2019. Les lignes diagonales qui traversent l'image sont des traînées lumineuses laissées par le passage de plus de 25 des 60 satellites Starlink lancés la veille par SpaceX en orbite basse (LEO) alors qu’ils passaient dans le champ de vision du télescope. Bien que cette image illustre l’impact des constellations de satellites, il faut noter que la densité de ces satellites est nettement plus élevée dans les jours qui suivent leur lancement (comme on peut l e voir ici) et que la luminosité des satellites diminuera à mesure qu’ils atteindront leur orbite opérationnelle. Document Eckhard Slawik/UAI et Victoria Girgis/Lowell Obs./UAI.

L'UAI a rapidement relayé les inquiétudes des astronomes dans ses actualités du 3 juin 2019 et a repris les photos présentées ci-dessous. Elle a notamment déclaré : "L'Union astronomique internationale (AIU) est préoccupée par ces constellations de satellites. L'organisation, en général, embrasse le principe d'un ciel sombre et radio-silencieux qui est non seulement essentiel pour faire progresser notre compréhension de l'Univers dont nous faisons partie, mais aussi comme une ressource pour toute l'humanité et pour la protection de la faune nocturne. Nous ne comprenons pas encore l'impact de milliers de ces satellites visibles dispersés dans le ciel nocturne et malgré leurs bonnes intentions, ces constellations de satellites peuvent menacer les deux.[...] Nous exhortons également les agences appropriées à définir un cadre réglementaire pour atténuer ou éliminer les impacts négatifs sur l'exploration scientifique dès que possible."

Jusqu'aux années 2000, aux latitudes moyennes, on disposait encore de quelques heures pour prendre des photos du ciel à grand champ avant de voir un satellite traverser le ciel. Aujourd'hui, sans parler des avions, il y a en permanence entre 1 et 40 satellites visibles à tout moment dans le ciel à la latitude de 50° et leur nombre sera dix fois supérieur dans quelques années (cf. cette simulation du ciel lorsque les 65000 satellites de Starlink, Amazon, OneWeb et StarNet/GW seront opérationnels).

Désormais, les astrophotographes professionnels comme amateurs devront vérifier les heures de passages des satellites artificiels pour s'assurer qu'ils ne traverseront pas le champ de leurs photographies. Heureusement, plus le champ est réduit plus ils ont de chances de les éviter (par exemple en utilisant un téléobjectif ou en réalisant des photographies au foyer d'un télescope). Mais on comme on le voit ci-dessous, même dans un champ de quelques degrés, il reste toujours assez de place pour gâcher les photos !

A gauche, une photo de la nébuleuse d'Orion M42-M43 prise en décembre 2019 zébrée par le passage des satellites dont ceux de Starlink après une exposition totale de 203 minutes. Document Amir H. Abolfath. Au centre, des satellites, des avions, des rayons cosmiques et même des pixels défectueux ont laissé leur trace sur cette photo de la galaxie d'Andromède M31. Il s'agit de l'empilement de 223 images, chacune exposée 300 secondes. Heureusement, grâce à la technique de l'empilement, lors du pré-traitement d'image il est possible de ne retenir que celles dépourvues de traces, ce qui permet de nettoyer l'image de toute trace parasite. Document Kees Scherer/Flickr. A droite, traces spectaculaires de la constellation de satellites Starlink dans le champ de l'étoile double Albiréo du Cygne le 26 décembre 2019. Il s'agit de l'empilement de 10 images exposées chacune 150 secondes. Document Rafael Schmall. Il va sans dire qu'il est impossible de réaliser des photographies du ciel profond dans ces conditions.

À ce jour, la Commission Fédérale des Communications américaine (FCC) a déjà approuvé la mise en opération de plus de... 40000 satellites de SpaceX en orbite basse jusqu'en 2027. La constellation qui coûtera 10 milliards de dollars générera plus de 30 milliards de revenus annuels en souscriptions et ventes de hardware (antenne, etc).

Aussitôt que ces satellites furent lancés, l'IDA s'est inquiétée des conséquences de la poursuite du développement et de l'approbation fédérale du lancement de ces satellites quand on sait que l'association lutte depuis 1988 pour préserver le ciel nocturne. Comme l'UAI, elle a donc exhorté toutes les parties à prendre des mesures de précaution pour protéger l'environnement nocturne avant le déploiement de nouveaux groupes de satellites à grande échelle. Manquait plus que cette pollution ci ! :-(

Mais ce n'est pas tout car les satellites destinés au réseau 5G (communications à très haut débit entre 30-300 GHz) et à Internet risquent à terme de perturber les communications des satellites météorologiques qui recueillent des données cruciales sur le climat (cf. A.Wize, "Nature", 2019). Ainsi OneWeb (UK), Telesat (Ca), Kuiper (Amazon), StarNet/GW (Chine) et Roscosmos (Russie) envisagent de placer sur orbite plus de 65000 petits satellites de télécommunication, principalement pour Internet. Ce déploiement signifierait qu'à moyen terme l'espace proche serait encombré de près de 125000 satellites opérationnels contre ~4000 satellites en 2021 !

Face à ces perturbations potentielles, l'OMM a d'ailleurs exprimé sa préoccupation à l'UIT lors de la conférence WRC-19. En général, ces préoccupations sont suivies d'effets.

Début 2020, une pétition internationale fut lancée dans le but d'interdire ou tout le moins suspendre le déploiement de ces satellites qui nuisent au travail des astronomes jusqu'à ce qu'une évaluation approfondie de leur impact soit conduite. La pétition fut signée par environ 2050 astronomes. C'est très peu quand on sait que l'UAI rassemble près de 14000 astronomes. Qu'ils ne viennent pas ensuite se plaindre qu'ils ne sont pas écoutés et perdent leur fenêtre sur le ciel...

En juillet 2020 et en juillet 2022, des astronomes ont rencontré des représentants d'entreprises privées, des avocats spécialistes en droit de l'espace ainsi que des représentants du gouvernement américain, pour élaborer des compromis et des stratégies pour réduire ces nuisances. Les entreprises ont testé des moyens de réduire la réflectivité des satellites, comme par exemple ombrager le satellite avec une "visière" ou le peindre en noir mat. D'autres stratégies proposées consistent à limiter les satellites aux orbites basses où ils se déplacent plus rapidement dans le ciel et laissent une traînée plus faible dans les images télescopiques. En effet, contre-intuitivement les satellites en orbite LEO créent moins de soucis pour les astronomes car ils s'éloignent rapidement.

Mais actuellement tout cela est à l'état d'étude et il n'existe aucune loi pour réglementer le lancement et les orbites des satellites.

A lire : L'observation des satellites artificiels

Les impacts en astronomie

Une étude de l'ESO publiée le 5 mars 2020 a montré que les futures observations au VLT et ELT seront ""modérément impactés" par les constellations en cours de développement. L'effet sur les longues expositions (de quelque 1000 s) sera plus prononcé en revanche : 3% de ces observations effectuées à l’aube ou durant le crépuscule pourraient être inexploitables. Les expositions de plus courte durée seraient moins impactées – moins de 0.5% d’entre elles seraient affectées. [...] L'étude révèle également que les sondages étendus, effectués au moyen des grands télescopes notamment, seraient les plus impactés. A titre d’exemple, 30 à 50% des expositions effectuées grâce à l’Observatoire Vera C. Rubin (ex-LSST) seraient “sévèrement impactées” selon l’époque de l’année, l’heure de la nuit et les hypothèses simplificatrices utilisées dans le cadre de cette étude."

Cette image combine 515 photos exposées chacune 20 s entre 1600 et 6400 ISO et d'une durée totale de 3h15 réalisées avec un APN Canon EOS R5 muni d'un fish-eye TTArtisan de 11 mm f/2.8 fixé sur une monture Star Adventurer Mini. Le champ couvre 120°. Elle montre tous les satellites (et quelques avions mais probablement aucun Starlink) enregistrés entre 23h23 et 2h38 locale, la nuit du 1er au 2 juin 2022 à la latitude 51°N, où les satellites sont illuminés toute la nuit. Document Alan Dyer/Flickr.

L'étude révèle également que "quelque 1600 satellites des constellations Starlink peupleront le ciel de tout observatoire situé aux latitudes moyennes. La plupart d'entre eux se situeront à moins de 30 degrés au-dessus de l’horizon local. Au-delà, soit dans cette portion du ciel faisant l’objet de la plupart des observations astronomiques, se trouveront quelque 250 satellites des constellations à tout instant. [...] Une centaine de satellites sera suffisamment brillant pour être aperçu à l’oeil nu durant l’aube ou le crépuscule, et 10 d'entre eux se situeront à plus de 30 degrés au-dessus de l’horizon. [...] Dans l’ensemble, ces nouvelles constellations de satellite devraient doubler le nombre de satellites visibles à l'oeil nu dans le ciel nocturne à 30 degrés ou plus au-dessus de l’horizon".

Plus récemment, dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2022, Przemek Mróz de l'Observatoire Astronomique de l'Université de Varsovie et ses collègues comprenant des représentants de l'ESO, du Caltech, de l'Université de Berkeley, du LBNL et de Weights & Biases, Inc., ont évalué l'impact des satellites Starlink sur les programmes d'astronomie.

Selon les chercheurs, l'installation photographique Zwicky Transient Facility (ZTF) installée au Mont Palomar est déjà affectée, alors même que seul 1/40e de la constellation finale des satellites est en orbite. En 2021, alors que seulement quelque 1000 satellites Starlink avaient été lancés, près de 20% des images crépusculaires prises par le télescope présentaient des traînées. C'est également le cas pour les astronomes amateurs.

La situation est encore plus pénalisante pour les télescopes plus sensibles, comme le télescope Simonyi Survey de 8.4 m de l'observatoire Vera C. Rubin (LSST), actuellement en construction au Chili. Sa caméra CCD de 3.2 gigapixels capturera environ 1000 images du ciel de 9.6 degrés carrés chaque nuit pendant 10 ans. Chaque image peut détecter des objets jusqu'à la magnitude photographie d'environ 24.

Les chercheurs estiment que jusqu'à 30% des images contiendront au moins une traînée d'un satellite Starlink de deuxième génération (Gen-2). De plus, un seul satellite Starlink d'une magnitude de 5 corromprait non seulement directement les pixels, mais produirait également une bande parallèle de pixels saturés d'au moins 100 pixels de large de chaque côté de la traînée. Chaque photo de 30 secondes prise au crépuscule présentera au moins une trace d'un satellite Gen-2, de sorte que jusqu'à 3% de la zone d'image devra être ignorée même si les satellites sont atténués à la magnitude 7, ce qui équivaut à perdre plusieurs mois d'observation.

S'ajoute le risque de collision. A terme, plus de 20000 satellites Gen-2 seront placés vers 547 km d'altitude et seront séparés horizontalement de 120 km. La plupart orbiteront sous l'orbite de la station ISS et représenteront un risque non négligeable d'impact pour tous les satellites en orbite basse (LEO).

Pour suivre l'évolution à long terme de la "pollution" créée par ces milliers de satellites, un forum public "Satellite Streak Watcher" a été ouvert où chacun peut déposer ses photos de traînées de satellites. Des chercheurs s'en serviront pour évaluer les nuisances et leur impact sur les sessions d'observations du ciel par les astronomes professionnels notamment.

L'avenir de l'astrophotoghraphie ne s'annonce pas sous un ciel clément...

Pour plus d'informations

L'observation des satellites artificiels (sur ce site)

Les filtres colorés et sélectifs (sur ce site)

Choisir un site d'observation astronomique (sur ce site)

Spectre de l'éclairage public (feuille Excel, .xls)

Astronomical filters spectral transmission, Christian Buil

Formats et types de filtres, Pierre Astro

Fabricants de filtres LPR et CLS : Astronomik, Baader Planetarium, Lumicon, Omega Filters, Optolong, Thousand Oaks Optical

Dealers : Astro-Shop.eu, La Maison de l'Astronomie, Médas Instruments, Optique Unterlinden, Teleskop Express

A guide to spectra, A.Riedel/GSU

Pollution lumineuse ou photopollution, Notre Planète

Sky Quality Meter (appareil de mesure de la qualité du ciel Unihedron)

Mesure de la qualité du ciel nocturne avec un APN (PDF), ASCEN

Roadpollution (logiciel)

Suomi NPP, NASA (mission du satellite et cartes "black marble")

International Dark-Sky Association (IDA, USA)

Artificial Light at Night: State of the Science 2022 Report, IDA, 2022

NamibRand Nature Reserve: first Dark Sky Reserve (sur le blog)

Light Pollution Map (cartes de la pollution lumineuse)

Google Earthbuilder (cartes de la pollution lumineuse)

Site web de Pierantonio Cinzano

Mesure de la brillance du ciel pour amateurs (P.Cinzano)

Association pour la Sauvegarde du Ciel et de l'Environnement Nocturnes (ASCEN, Belgique)

Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l'Environnement Nocturne (ANPCEN, France)

In Chile, world's astronomy hub, scientists fear loss of dark skies, Daily Mail, 2015

Shedding Light on Dark Skies: Build a "Dark Meter" and New Dark-Sky Rating Scale, John E. Bortle, Sky and Telescope, Feb 2001

Visual Estimations of Night Sky Brightness, Chadwick A. Moore, The George Wright Forum (PDF)

Light Pollution Awareness

Campaign for Dark Skies (BAA)

Astronomical Society of the Pacific - Light Pollution

NASA Global City Light catalog

Pollution, The vanishing Universe, D.McNally, Cambridge University Press, 1994.

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