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Pluton, le dieu des Enfers

Le rendez-vous historique de la sonde spatiale New Horizons avec Pluton et Charon en juillet 2015. Document T.Lombry.

La mission New Horizons (II)

Et si nous allions cartographier Pluton se demanda un jour de 1992 l'astronome Alan Stern aujourd'hui au SwRI. Malgré le faible budget accordé à l'exploration spatiale par le Congrès américain, une mission de la NASA devait envoyer deux petites sondes vers Pluton en 1999. Il s'agissait de deux vaisseaux "hauts de gamme", ultra-légers, bourrés d'électronique de pointe et moins chers que les célèbres Pioneer et autres Voyager. Mais les censeurs du Congrès en ont jugé autrement et rejetèrent le projet en 1995.

Mais les scientifiques n'abandonnèrent pas un tel défi. Fin 2000, le projet Pluto-Kuiper Express fut réexaminé par les scientifiques de la NASA. Malheureusement le projet était passé de 0.654 à 1.5 milliard de dollars et fut finalement abandonné.

Cette décision survint après que la NASA ait annulé d'autres projets du même ordre qui alarmèrent la communauté scientifique. Contrainte de réagir, les scientifiques prièrent la NASA de définir clairement quelles étaient dorénavant ses priorités. Dans une lettre adressée le 27 novembre 2000 à la NASA, Michael Drake de l'Université d'Arizona, représentant le sous-comité chargé de conseiller la NASA en matière d'exploration du système solaire écrivait, "la mission vers Pluton [doit] logiquement passer en priorité."

Planifier une mission vers Pluton et la Ceinture de Kuiper était urgent car en 2015 la planète naine se trouvait juste à hauteur de l'écliptique, dans le Sagittaire. En profitant de l'effet de fronde gravitationnelle de Jupiter, la sonde spatiale verrait sa vitesse augmenter d'environ 20% et on gagnerait ainsi environ 3 ans sur la durée du vol. Le voyage s'effectuerait alors en un peu plus de 9 ans, la vitesse de la sonde à hauteur de Pluton atteignant 49680 km/h soit 14 km/s par rapport au Soleil (vitesse héliocentrique). En temps normal, avec une grande sonde de la classe Voyager, le voyage aurait duré 20 ans.

Pour Andrew Cheng, chef de projet de la mission "New Horizons", ce projet offrait également l'avantage d'envoyer rapidement la sonde sur sa trajectoire grâce à un tir ballistique et d'être meilleur marché que la solution basée sur une propulsion électrique et nucléaire envisagées par la NASA.

Comme on le voit ci-dessous, si n'arrivions pas près de Pluton vers 2015, nous perdions non seulement son atmosphère mais aussi une grande partie de ce que la géologie pourrait nous apprendre. En effet, après cette date l'ombre de Charon cachera temporairement la surface de Pluton, empêchant toute cartographie.

A voir : New Horizons

ScienceCasts: Visit to Pluto

New Horizons: Passport to Pluto and Beyond

Document Mark Garlick.

Il faut aussi savoir que la prochaine fenêtre ne se présentera pas avant l'an... 2237, époque à laquelle les gaz congelés sur la surface de Pluton se seront à nouveaux sublimés dans son atmosphère. Si on se rappelle que la NASA abandonna les programmes "Grand Tour" et "Mark 2" pour causes de restrictions budgétaires, ce projet d'exploration fut une réelle opportunité de nous dévoiler le dernier objet mystérieux du système solaire.

Cette mission fut également intéressante car non seulement elle permit de visiter Pluton et Charon mais elle devrait également passer au large de la Ceinture de Kuiper vers 2026.

Finalement, en 2002 la NASA approuva le programme "New Frontiers" et alloua une budget de 650 millions de dollars à la nouvelle mission New Horizons à la plus grande joie d'Alan Stern, promoteur du projet initial "Pluto FlyBy" et de tous les passionnés d'astronomie.

La sonde spatiale New Horizons

La sonde spatiale New Horizons est un bijou de haute technologie et d'intégration (cf. ce résumé technique du SwRI). La sonde spatiale pèse 478 kg et consomme moins de 100 watts dont à peine 28.4 watts pour l'ensemble des sept instruments scientifiques, c'est un record. Par comparaison, les sondes Voyager 1 et 2 lancées en 1977 disposaient de 5 instruments, pesaient 825 kg et consommaient 470 watts.

Emplacement des différents systèmes embarqués à bord de la sonde spatiale New Horizons. Doc JHUAPL adapté par l'auteur.

Comme la plupart des sondes d'exploration, New Horizons est alimentée par un générateur thermoélectrique à radioisotope ou RTG. C'est le gros boîtier sombre à ailettes formant la "queue" de la sonde spatiale.

Ce générateur d'énergie exploite la décroissance radioactive d'environ 11 kg de bioxyde de plutonium 238 (PuO2). Sa radioactivité représente 132465 curies de plutonium au départ de la mission dont la demi-vie est de 87.7 ans. La chaleur libérée est convertie en électricité grâce à un thermocouple qui développait au départ de la mission une puissance de 245.7 watts sous 30 volts continus. La puissance du RTG décroît dans le temps à raison d'environ 3.5 watts/an. Il resta donc environ 212 watts lorsque New Horizons survola Pluton.

Bien que l'espace soit glacial, fonctionnant dans un milieu privé d'atmosphère, la chaleur des composants électroniques ne se dissipe pas facilement. Pour y remédier, au lieu d'utiliser des caloducs, les ingénieurs ont exploité le principe des "bouteilles thermos" pour réduire les fuites thermiques et utiliser la chaleur émise par les composants électroniques pour maintenir la température des instruments au niveau de celle d'une pièce de séjour.

La sonde New Horizons tourne uniquement autour de son axe vertical passant par l'axe de l'antenne parabolique. Tous les instruments étant fixés sur la même plate-forme et solidaires, New Horizons ne peut pas photographier et en même temps transmettre ses données à la Terre. Les données sont enregistrées dans deux mémoires flash (SSD) d'une capacité de 8 GB chacune et sont ensuite envoyées sous forme groupée vers la Terre.

Ainsi, les images du rendez-vous proprement dit ne furent transmises que quelques heures plus tard et il fallut près de 5 heures pour les recevoir et les traiter avant de pouvoir les exploiter. Dans l'intervalle, les scientifiques ont dû croiser les doigts en espérant qu'il n'y ait aucune panne, ce qui fut heureusement le cas.

La sonde New Horizons est équipée de trois antennes. L'antenne parabolique à haut gain ou HGA (42 dBi) mesure 2.1 m de diamètre et fonctionne en bande X. Deux antennes backup à gain moyen (MGA) et faible (LGA) situées au foyer de la parabole viennent la seconder en cas de panne (ce qui s'est produit temporairement fin juin 2015). Ce système transmet ses données au réseau DSN, en particulier à l'antenne DSS 43 de 70 m de diamètre installée à Canberra.

Le signal descendant (downlink) de New Horizons est émis sur 8.44 GHz avec une puissance de 12 W. Alors que le débit des transmissions était de 38 kbps lors du rendez-vous avec Jupiter, à la distance de Pluton le taux est tombé à 2.11 kbps soit 263 bytes/s (mais il reste 13 fois plus rapide que celui des sondes Voyager). Le signal est reçu 4h25 mn plus tard par le réseau DSN avec une puissance de 3.45x10-22 W, ce qui explique la taille des antennes de réception.

Le complexe du DSN à Canberra en Australie et ses antennes de 34 et 70 m de diamètre.

Le réseau DSN envoie ses instructions à la sonde spatiale (uplink) sur la fréquence de 7.18 GHz avec une puissance de 20.01 kW.

Précisons qu'étant donné la lenteur relative avec laquelle New Horizons transmet ses données à la Terre, il faut plus de 10 heures pour que la sonde transmettre une image de 10 MB. Etant donné que la Terre tourne sur elle-même et que toutes les antennes du DSN ne sont pas disponibles pour cette mission, à chaque connexion la sonde New Horizons ne peut transmettre que 58 mégabits/s soit 7.25 MB/s et 156 MB/jour.

Bref, l'ensemble des photos prises durant cette mission ne furent disponibles qu'en novembre 2016, ce qui laissa tout le temps aux scientifiques et au public de se préparer à recevoir les plus belles images couleurs en haute résolution dont quelques-uns illustrent cet article.

La sonde spatiale New Horizons a été conçue pour étudier la géologie globale de Pluton, sa composition et sa température en surface, sa météorologie (température, pression et composition de son atmosphère), le taux de déperdition calorifique et chimique dans l'espace ainsi que ses satellites naturels dont Charon.

Dans ce but, New Horizons dispose de 7 instruments d'analyses en plus de son antenne et des systèmes de contrôles (propulseur, système de guidage, système informatique, régulateur thermique, RTG, télécom).

Il y a tout d'abord LORRI, un imageur, c'est-à-dire un télescope qui prend des images CCD noir et blanc en haute résolution. Il est de conception Ritchey-Chrétien comme le Télescope Spatial Hubble et de nombreux satellites espions. Sa résolution est d'environ 50 m/pixel au plus près de Pluton, c'est-à-dire largement supérieure à celle de beaucoup de satellites de télédétection terrestres. Ainsi, à titre de comparaison ce télescope peut observer des détails à 16000 km d'altitude avec la même résolution qu'un satellite de télédétection en orbite à 600 km d'altitude. De plus il dispose d'un correcteur et aplanisseur de champ et les images sont améliorées par les équipes au sol par la technique de déconvolution. Les astronomes comptent donc beaucoup sur LORRI pour obtenir des images très détaillées de la surface de Pluton.

Pour éviter toute déformation du miroir suite aux écarts de température pouvant générer des images floues, son miroir de 208 mm de diamètre a été fabriqué en carbure de silicium. Ce système pèse 8.8 kg et consomme 5.8 watts.

Ce télescope est complété par "Ralph", un imageur multispectral visible et infrarouge à basse résolution qui permet par exemple de connaître la distribution spectrale et la couleur de Pluton. Cet instrument pèse 10.3 kg et consomme 6.3 watts.

Il y a également "Alice" un spectromètre UV qui permet notamment d'analyser la diffusion de la lumière dans l'atmosphère de Pluton pour estimer sa densité et indirectement sa température, PEPSSI, un spectromètre qui permet de détecter les molécules s'échappant de l'atmosphère, complétés par un radiomètre (REX) pour mesurer la composition et la température de l'atmosphère, un détecteur de vent solaire (SWAP) et un compteur de poussière (SDC) fabriqué par des étudiants de l'Université d'Hawaï.

New Horizons fut installée à bord d'une fusée Atlas V qui décolla de KSC le 19 janvier 2006, fournissant l'impulsion nécessaire à la sonde spatiale pour rejoindre Pluton qu'elle atteignit le 14 juillet 2015 au terme d'un voyage de 9.5 ans et avoir parcouru 4.77 milliards de kilomètres.

Le 14 juillet 2015, 11:49 UT (13h49 à Paris) au Mission Operations Center (MOC) du JHUAPL au cours de la mission New Horizons. "We are in lock with carrier", annonça Alice Bowman, mission operations manager. "Stand by for telemetry... We are in lock with the telemetry with the spacecraft !" La NASA (DSN) venait d'établir la connexion avec New Horizons et recevait la télémétrie. Ensuite, elle reçut les images en haute résolution, confirmant le succès de la mission ! A cet instant Pluton se trouvait à 4.92 milliards de kilomètre du Soleil soit 32.9 UA et à 4.77 milliards de kilomètres de la Terre. New Horizons s'est rapprochée jusqu'à 13718 km de Pluton, montrant des détails inférieurs à 1 km ! Aussitôt des cris de joie et des applaudissements retentirent dans la salle de contrôle. Quelques instants plus tard la NASA annonça que la sonde spatiale New Horizons avait réussi comme prévu son rendez-vous avec Pluton ! L'évènement était historique ! Documents JHUAPL et NASA/Bill Ingalls rectifié par l'auteur.

La gestion du projet fut confiée au Laboratoire de Physique Appliquée de l'Université Hopkins (APL), au SwRI et au JPL (JHUAPL). Les données brutes transmises par le réseau DSN sont d'abord traitées au Centre des Missions Opérationnelles (MOC) de l'APL installé à Laurel au Maryland dont voici une vue aérienne des installations, puis mises à disposition des chercheurs avant d'être archivées, quelle soient brutes ou calibrées, dans les bases de données du système PDS du JPL.

Voyons à présent les résultats préliminaires de la mission New Horizons.

L'atmosphère de Pluton

Les premiers indices suggérant que Pluton pouvait avoir une atmosphère apparurent en 1976. Des relevés photométriques en infrarouge réalisés par l'astronome Dale Cruikshank et son équipe grâce au télescope Mayall de 4 m de diamètre du Kitt Peak indiquèrent la présence de glace de méthane sur Pluton. Mais par -200°C, sachant que le méthane entre en ébullition à -161°C, une partie devait s'évaporer dans l'atmosphère. Sa présence fut confirmée à l'occasion de deux occultations d'étoiles. la première fut réalisée le 19 août 1985 par Noah Brosch et Haim Mendelson de l'Observatoire Wise en Israël. Toutefois, les données étaient de mauvaises qualité mais pire, la description détaillée ne fut publiée que 10 ans plus tard !

Etendue de l'atmosphère de Pluton comparée à celle de la Terre. Document JHUAPL adapté par l'auteur.

Aussi entre-temps, le 9 juin 1988, la présence d'une atmosphère autour de Pluton fut confirmée par 8 observatoires dont les mesures les plus précises furent obtenues par les astronomes utilisant l'Observatoire Embarqué Kuiper (KAO) de la NASA (il s'agit d'un C-141 Starlifter volant à 41000' ou 12500 m d'altitude, c'est-à-dire au-dessus des 98% de la troposphère contenant la vapeur d'eau qui absorbe le rayonnement infrarouge). Ils parvinrent également à estimer l'épaisseur de l'atmosphère et le rapport entre la température et la masse moyenne des molécules.

Il fallut toutefois attendre 1992 et l'obtention de spectres infrarouges (1.4-2.4 microns) de Pluton par Tobias Owen et ses collègues grâce au télescope de 3.8 m UKIRT installé à Mauna Kea à Hawaii pour découvrir que la surface de Pluton était recouverte de glace d'azote en quantité 50 fois plus importante que les autres types de glaces. Étant plus volatil (point d'ébullition à -195.8°C) que le méthane, ce gaz devait également être présent dans son atmosphère.

Une nouvelle preuve de l'existence d'une atmosphère autour de Pluton apparut en juillet 2011 au cours d'une nouvelle occultation stellaire observée par les chercheurs du programme SOFIA du Centre Ames de la NASA.

A cette époque, les meilleures estimations basées sur l'émission thermique de Pluton indiquaient que la température de son atmosphère était de l'ordre de 42 K soit -231°C mais pouvait varier entre 30 et 60 K soit -243 et -213°C. Les analyses en restèrent là jusqu'en 2015 et le survol de New Horizons.

Eloignée à plus de 5 milliards de kilomètres du Soleil, une grande partie du gaz contenu dans l'atmosphère de Pluton se condense et tombe en neige sur le sol. Dans ces conditions il devient impossible de déceler quoi ce soit dans son atmosphère. Il faut donc absolument observer Pluton lorsqu'il est au plus près de la Terre, dans l'orbite de Neptune ou à peu de distance de lui, où la faible chaleur du Soleil réchauffe le sol et permet aux gaz cristallisés de s'évaporer ou de se sublimer dans l'atmosphère. Les planétologues peuvent en profiter jusqu'en 2020 environ après quoi Pluton sera vraiment perdu dans les régions reculées et glacées du système solaire.

En raison de sa faible gravité, l'atmosphère de Pluton est très ténue et très étendue comme on le voit ci-dessus à droite. Elle n'est détectable que par des instruments (spectromètre, spectrographe, etc) et par le truchement d'occulations stellaires.

En profitant d'une occultation du Soleil, l'instrument Alice de New Horizons détecta l'atmosphère de Pluton jusqu'à 270 km d'altitude. Le profil correspond à peu près à un modèle dit "stagnant", non turbulent, dans lequel les composés hydrocarbonés sont abondants dans la basse atmosphère et absorbent fortement la lumière du Soleil. Mais cela ne représente que la partie "visible" et la plus dense de l'atmosphère de Pluton.

A gauche, schéma proposé en 2002 par John Spencer alors à l'Observatoire Lowell montrant les interactions entre les hémisphères éclairée et obscure de Pluton et la migration des substances volatiles qui s'en suit ainsi que sa structure géologique interne probable. A droite, le 15 juillet 2015 la sonde New Horizons en route vers la Ceinture de Kuiper se retourna pour photographier Pluton à contre-jour à 2 millions de km de distance, révélant son atmosphère. Sa nature est similaire à celle de Titan. Elle contient de l'azote et du méthane qui réagissent chimiquement sous l'effet du Soleil pour former des tholines, des petites particules brunâtres ressemblant à de la suie qui précipitent sur le sol. On distingue deux couches distinctes de brume, l'une à environ 50 km l'autre à environ 80 km d'altitude. La photo combine les informations des couleurs bleue, rouge et proche infrarouge telle que l'oeil humain devrait les percevoir. Documents J.Spencer adapté par l'auteur et JHUAPL.

Sur Terre, 50% de l'atmosphère se concentre dans les 10 km d'épaisseur de la troposphère (cela varie de 6 à 18 km) et 90% de cette masse se situe dans une couche de 5 km d'épaisseur. Elle représente 0.17% du rayon de la Terre. La limite extérieure ou exobase se situe à 600 km et l'exosphère commence à 800 km d'altitude. Dans le cas de Pluton, l'équivalent de la troposphère présente une épaisseur de 40 km soit un peu plus de 3% du rayon de Pluton. En revanche, la limite extérieure est difficile à définir bien que nous sachions qu'elle s'étend très loin de la surface. Si nous la comparons à l'exobase de l'atmosphère terrestre, celle de Pluton se situe à au moins 8 fois son rayon (1185 km) au-dessus de la surface soit à plus 9600 km d'altitude.

Les études spectrales, de spectrométrie infrarouge et de polarisation de la lumière indiquent que son atmosphère est composée de 99.5% d'azote et de 0.5% de méthane. Elle contient également des traces d'ammoniac, de monoxyde et de dioxyde de carbone, d'argon et de l'oxygène. De l'acide cyanhydrique (HCN) a également été détecté ainsi que de l'hydrogène libre.

Les mesures des occultations stellaires par Pluton observées par l'instrument Alice corrobent les mesures des observatoires terrestres et ont permis aux planétologues de confirmer que l'atmosphère était 25% plus froide et donc plus dense que les valeurs prédites avant la mission de New Horizons. Elles confirment également que le taux d'échappement de l'azote est ~1000 fois inférieur aux valeurs prédites par les modèles avant le survol de Pluton. Selon les modèles étudiés par Darrell Strobel du JHU, le taux d'échappement des molécules d'azote atteindrait 3.5x1027 molécules par seconde au niveau de l'exobase.

A gauche, profils des températures de l'atmosphère de Pluton en fonction de l'altitude selon deux modèles établis en 2013. Rétrospectivement, la courbe bleue est plus proche de la réalité mais encore imparfaite. A droite, un modèle plus précis établi en 2017 tenant compte de la brume d'altitude et des données observationnelles. La densité est exprimée en nombre de molécules par cm³. Documents D.Strobel (2013) et D.Strobel et al. (2017) adaptés par l'auteur. Lire aussi G. Randall Gladstone et al., Science, 2016.

La température de l'atmosphère augmente rapidement avec l'altitude en raison de l'effet de serre induit par le méthane qui absorbe le rayonnement infrarouge du Soleil. Le changement de température varie entre 3 et 15° par kilomètre (contre 6.5°C/km sur Terre dans l'atmosphère standard).

La température remonte jusque -173°C en haute altitude où le gradient de pression est également 7 fois plus élevé qu'au sol et atteint 30 μbars (30 microbars ou 3 Pa).

La pression atmosphérique

Le 14 juillet 2015, l'instrument REX de la sonde spatiale New Horizons releva une pression atmosphérique au sol de 5 μbars (~10-3 mbar ou 0.5 Pa), soit un million de fois inférieure à celle que nous connaissons à la surface de la Terre (1013 HPa ou 1 bar). Or, des mesures réalisées au cours d'une occultation stellaire observée depuis la Terre le 29 juin 2015 par l'équipe de Eliot Young du SwRI indiquait une pression de 22 μbars (cf. A.Witze, 2015). Une partie de cette différence pouvait s'expliquer par la méthode utilisée car cette dernière mesure correspondait à la pression atmosphérique régnant entre 50-75 km d'altitude, ce qui permit par ailleurs aux planétologues de préciser la structure de l'atmosphère de Pluton. En revanche, l'instrument REX mesura la pression au sol à partir de la réfraction (la courbure) des ondes radio réfléchies vers l'antenne de New Horizons située au-dessus de la face obscure de Pluton.

Pluton passa à l'équinoxe en 1988 et atteignit son périhélie (à 29.7 UA) en 1989. Depuis lors, la planète naine s'est éloignée du Soleil pour atteindre 32 UA en 2016 (cf. cette simulation de ses paramètres actuels), ce qui s'est traduit par une perte de 25% de son insolation moyenne. On aurait pu croire que ce changement provoquerait une forte chute de la pression atmosphérique du fait que l'équilibre gaz-glace de l'azote impose que pour chaque degré Kelvin perdu en surface, la pression doit diminuer d'un facteur deux. Or c'est exactement l'opposé qui s'est produit. La preuve fut apportée par l'équipe de Eli Meza de l'Observatoire de Paris et ses collègues dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2019 (en PDF sur arXiv) qui dresse le bilan d'une douzaine d'occultations stellaires observées en près de 30 ans, durant le printemps dans l'hémisphère Nord de Pluton.

A gauche, évolution de la pression atmosphérique à la surface de Pluton entre 1988 et 2238. Les carrés noirs représentent les pressions mesurées lors d’occultations stellaires entre 1988 et 2016. Les courbes continues représentent les pressions calculées par les modèles. La courbe verte est celle du modèle théorique prévalent dont les paramètres ont été contraints par les observations au sol (occultations) et spatiales (New Horizons). A droite, les occultations stellaires par Pluton permettent de calculer la densité et indirectement la température de son atmosphère. Mais on constate qu'il est pratiquement impossible de cette manière de mesurer la température au sol. Documents E.Maze et al. (2019) adapté par l'auteur et NASA/JHUAPL/SwRI.

Comme on le voit dans le graphique présenté ci-dessus à gauche, les chercheurs ont découvert que la pression atmosphérique au sol augmenta d'un facteur trois entre 1988 et 2016 pour atteindre 14 μbars ou 1.4 Pa en 2016. D'ici quelques années la pression au sol va diminuer et devrait atteindre à peine ~0.5 μbar ou 0.05 Pa durant l'hiver boréal, c'est-dire... au tournant du XXIIe siècle !

Selon les chercheurs, ces occultations ont permis de contraindre l'inertie thermique du sous-sol du modèle de Pluton et d'expliquer le déphasage de 30 ans entre le passage au périhélie et l'augmentation de la pression encore observée aujourd’hui, le sous-sol ayant stocké la chaleur et la restituant très doucement. Les occultations ont également permis de contraindre la fraction de l’énergie solaire renvoyée dans l'espace (l'albédo de Bond ou albédo bolométrique) de la glace d'azote et son émissivité (sa capacité à absorber l'énergie et à l'émettre). Enfin, ces observations éliminent l'existence d’un réservoir d'azote dans l'hémisphère Sud qui induirait un maximum de pression beaucoup plus tôt que ce qui fut observé (la courbe magenta dans le schéma ci-dessus à droite).

Régime des vents

Sur Pluton, l'interaction entre l'air chaud et l'air froid ainsi que les variations entre les hautes et basses pressions génèrent des vents dont la force augmente durant le passage au périhélie. A l'inverse de ce que nous connaissons sur Terre, il n'y a pas de gradient vertical de température et de pression mais plutôt des gradients horizontaux.

Deux phénomènes peuvent engendrer des vents : d'une part un gradient de pression horizontal généré par la distribution inégale des molécules glacées d'azote et d'autre part un gradient de température horizontal engendré par la distribution  inégale de la chaleur du Soleil. En contrepartie, ces vents permettent de redistribuer la glace sur la surface de Pluton.

Angela Zalucha de l'Institut SETI a estimé la force des vents sur Pluton à 37 km/h. Toutefois, certains modèles climatiques exploitant les mêmes algorithmes que ceux utilisés pour Mars suggèrent qu'ils pourraient atteindre 360 km/h. Mais vu l'extrême faible pression, ces vents tempétueux ressemblent à une brise. Ces vents se développeraient vers 100 km d'altitude où il n'y a plus de friction entre l'air et la surface. A ces altitudes il n'y a plus de nuages et à des altitudes supérieures, la vitesse de libération devient supersonique et permet aux gaz atmosphériques de s'échapper dans l'espace. Ces conditions sont similaires à celles régnant dans la haute atmosphère terrestre.

Même à plus de 5 milliards de kilomètres du Soleil, le vent solaire atteint encore l'orbite de Pluton. Bien qu'il soit presque 1000 fois moins dense qu'au niveau de l'orbite terrestre, ce vent véhicule des protons et des électrons ainsi que de l'hélium et de l'oxygène ionisés à une vitesse de 300 à 500 km/s.

Le vent solaire

Le vent solaire et le rayonnement UV interagissent avec l'atmosphère supérieure (l'exosphère) de Pluton. Cela signifie que lorsque ces molécules sont ionisées, elles sont électriquement chargées et deviennent sensibles au champ magnétique (solaire) interplanétaire; elles peuvent alors être entraînées par le champ de force du vent solaire. En vertu de la conservation de la quantité de mouvement (le moment en physique), le vent solaire correspondant s'alourdit et sa vitesse à tendance à décroître.

C'est dans le but d'étudier ce vent solaire que la sonde New Horizons embarqua les instruments SWAP (Solar Wind Around Pluto) et PEPSSI (Pluto Energetic Particle Spectrometer Science Investigation).

Les premières images à contre-jour de Pluton révèlent deux couches de brume distinctes : l'une à environ 50 km de la surface, l'autre à environ 80 km d'altitude. Selon Michael Summers de l'Université George Mason à Fairfax en Virginie, les couches de brumes sont un élément clé dans la formation des composés hydrocarbonés complexes qui donnent sa couleur brune-rougeâtre à la surface de Pluton.

Brumes et aérosols d'hydrocarbures

Les modèles suggèrent que les brumes d'altitude se forment lorsque le rayonnement UV solaire sépare les molécules de méthane en hydrocarbures simples dans l'atmosphère de Pluton. La séparation du méthane (CH4) initie la formation de gaz d'hydrocarbures plus complexes comme l'acétylène (C2H2) et l'éthylène (C2H4) qu'on a également détectés dans son atmosphère.

A mesure que ces composés tombent dans les basses couches plus froides de l'atmosphère, ces hydrocarbures se condensent sous forme de particules glacées, formant des brumes d'altitude. Comme sur le satellite Titan de Saturne, par action chimique, la lumière ultraviolette du Soleil convertit ces brumes d'hydrocarbures en tholines dont les particules ont une taille et une consistance similaire à celle de la suie qui précipitent sur le sol en formant des taches brunâtres à la surface de Pluton.

Comme nous l'avons évoqué, avec les nuages viennent la pluie où, étant donné la distance de Pluton au Soleil, la neige. Mais ce n'est pas la même neige que sur Terre, non seulement par sa composition mais également en raison de la faible densité de l'atmosphère.

Deux étonnantes photographies de Pluton  prises à contre-jour par la sonde spatiale New Horizons le 14 juillet 2015, 15 minutes après le périastre. L'image de gauche couvre un champ large de 1250 km. On constate que l'atmosphère est stratifiée. Il s'agit de couches de brume s'élèvant jusqu'à 100 km d'altitude. Les zones blanches dans le secteur droit sont les champs glacés de Sputnik Planitia (la partie gauche du motif en "coeur" de Pluton) dans lesquels se déversent des coulées de glace provenant des zones montagneuses. Documents JHUAPL.

Contrairement à la Terre où l'épaisse atmosphère permet facilement à la vapeur d'eau de se condenser, sur Pluton les particules condensées doivent être très petites - de l'ordre du micron - et ne forment probablement pas de flocons de neige. Mais ils pourraient malgré tout être réguliers avec une symétrie hexagonale comme nos plus petits flocons de neige.

Enfin, d'après les analyses spectrométriques et l'interprétation des photographies en fausses couleurs, il semble que Pluton perde une partie de son atmosphère au profit de son satellite Charon et vice versa, le pôle de ce dernier présentant une teinte en tout point identique à celle des régions situées aux latitudes moyennes de Pluton.

Si la découverte de l'atmosphère brumeuse et stratifiée de Pluton fut révélatrice et inattendue, les images de sa surface furent encore plus spectaculaires et ont fortement marqué les esprits. Il faut dire qu'on les attendait depuis 1930 ! C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Géologie

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