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Les Objets Transneptuniens et les KBO Composition des Centaures et TNO (III) Vu leur distance (Plutinos, KBO et SDO sont à plus de 30 UA), leur taille (au maximum 2326 km pour Eris), leur magnitude (20 à 27), connaître la composition superficielle des TNO est un véritable défi. Les méthodes habituelles consistent à réaliser des spectres en lumière blanche et dans le proche infrarouge qui révèlent la composition du substrat de ces petits corps ce qui permet d'établir des comparaisons avec les autres membres du système solaire. Mais il est difficile de réaliser de tels spectres sur d'aussi petits corps, même en utilisant le puissant télescope Keck de 10 m d'Hawaï. Aussi, dans un premier temps, c'est en analysant des clichés couleurs large bande réalisés au moyen de caméras CCD performantes (8 et 12k pixels) que David Jewitt et ses collègues ont pu dresser les profils optiques de plusieurs dizaines de TNO et mettre en évidence des propriétés communes. Optiquement, les TNO présentent une grande variété de couleurs, allant du gris neutre (réfléchissant également toutes les longueurs d'ondes), au rouge profond. En outre, la gamme de couleurs (représentée par la pente des spectres de chaque objet dans le diagramme ci-dessous) est à peu la même que celle qui existe entre le très rouge Centaure "Pholus" et le gris presque neutre "Chiron". La gamme des couleurs optiques suggère donc une diversité de matériaux à la surface des KBO et des Centaures. Mais quelle est cette diversité ? Comme le montra Michael Brown du Caltech dans un articlee publié en 2012, a priori on s'attendrait à ce que la surface des KBO soit grise s'ils sont composés de glace d'eau et de gaz carbonique, ou noire et rouge en raison de l'abondance des composés carbonés. Leur teinte rouge résulte d'un bombardement prolongé du méthanol (CH3OH) présent à leur surface par les rayons cosmiques vecteurs de particules très énergétiques. Des expériences de laboratoire montrent en effet que les protons libèrent sélectivement l'hydrogène des matériaux de surface, favorisant la formation de polymères organiques complexes et notamment de tholines (hydrocarbures légers mélangés à des composés azotés). Une fois irradié, le matériau de surface est carbonisé au sens strict et prend une coloration noire, typique d'une croûte réfractaire telle qu'on l'observe sur le noyau des comètes par exemple.
Ce processus de carbonisation des tholines fut décrit dans un article publié en 2016 dans l'International Journal of Astrobiology. Selon Chaitanya Giri de l'Institut Max Planck et principal auteur de cette étude, étant donné que ces astéroïdes sont à l'origine des comètes, la surface sombre des comètes pourrait avoir la même origine et notamment 67P/Churyumov-Gerasimenko sur laquelle se posa la sonde spatiale Philae de la mission Rosetta en 2014. En comparant cette découverte avec les analyses faites sur Titan, sur l'astéroïde Cérès et sur Pluton, les astronomes espèrent mieux comprendre comment se forment les tholines et leur implication dans les processus prébiotiques. La gamme de couleurs que présentent les KBO peut avoir plusieurs origines. Première hypothèse, ils ont intrinsèquement une composition différente qui se traduit par une coloration particulière comme c'est le cas pour les astéroïdes dont la couleur est fonction du lieu et de leur température au moment de leur formation. Actuellement on pense que les KBO se sont tous formés dans l'espace au-delà de Neptune, dans un milieu porté à une température voisine de 40 à 50 K, qui ne peut donc pas expliquer leur variation prononcées de composition. Une autre interprétation considère que des collisions dans la Ceinture de Kuiper ont pu endommager leur croûte superficielle sombre, révélant le matériau intérieur non infiltré resté "frais". Un tel processus est par exemple visible sur la Lune et sur d'autres satellites révélant autour des cratères d'impacts récents des ensembles de raies brillantes recouvrant des matériaux plus sombres. Des simulations de ce processus semblent confirmer cette hypothèse (malgré la forte incertitude concernant le taux de collisions dans la Ceinture de Kuiper). Seule condition à réunir, l'échelle de temps nécessaire à ce "resurfaçage d'impact" doit être du même ordre de grandeur que l'échelle de temps nécessaire à l'irradiation du manteau de l'objet. En 1997, Robert H. Brown et ses collègues de l'Université d'Arizona ont obtenu un spectre dans le proche infrarouge du KBO 1993 SC. Bien que l'image soit très aplanie, il est pertinent de noter que les raies d'absorptions correspondent approximativement au système de raies identifiées sur Pluton. Cette similitude suggère une composition de surface similaire à celle de Pluton, à savoir CO et CH4 g elés ainsi que d'autres mélanges de glace sales. Dans ce contexte, en 2003 Michael Brown et ses collègues américains ont suggéré que Pluton n'était finalement pas différent des KBO. Officieusement il fait aujourd'hui partie de ces populations de petits corps perdus aux confins du système solaire au même titre que Sedna, Quaoar, Varuna, et consorts. Pluton est en fait le KBO le plus brillant, suivi par 2005 FY9, 2003 EL61 et Eris sur lesquels nous reviendrons. Parmi les KBO imposants il y a Quaoar, alias 2002 LM60. Il fut découvert en juin 2002 grâce au télescope Samuel Oschin de 1.20 m du Mont Palomar. Quaoar orbite à environ 42 UA ou 6.3 milliards de km du Soleil, soit 30% plus loin que Pluton quand il est au plus près du Soleil mais c'est aussi deux fois plus près que Sedna. Si nous devions y aller à pied, il nous faudrait environ 100000 ans pour atteindre Quaoar. A la vitesse de la navette spatiale il faudrait 25 ans. Quant à la lumière il lui faut tout de même plus de 5 heures pour l'atteindre. A cette distance le Soleil ne brille pas beaucoup plus que Vénus vue de la Terre et il gèle par -230°C.
Quaoar gravite sur une orbite quasi circulaire présentant une ellipticité égale à 0.04, inclinée d'environ 8° sur le plan de l'écliptique. Il accomplit sa révolution autour du Soleil en 285 années terrestres. Grâce aux mesures effectuées grâce au Télescope Spatial Hubble, les astronomes ont estimé le diamètre de Quaoar à environ 1280 km. D'autres analyses lui donnent un diamètre d'environ 1110 km. Il est donc moitié plus petit que Pluton (2370 km) et plus grand que Sedna (~1000 km). C'est en janvier 2005 que David Jewitt et Jane Luu ont obtenu le premier spectre en haute résolution de Quaoar grâce au télescope Subaru de 8.2 m installé au sommet du Mauna Kea. Ce spectre indique la présence d'eau glacée cristallisée. Les auteurs estiment qu'elle apparut à la surface de Quaoar voici 10 millions d’années. Grâce à cette signature caractéristique, Jewitt et Luu pensent que certains processus sont toujours actifs aujourd’hui, notamment des remontées de glace enfermées dans le sous-sol de Quaoar depuis 4.5 milliards d’années ou un réchauffement de sa surface qui pourrait expliquer la présence de cette glace d’eau. Bien que cette interprétention reste spéculative, c’est une bonne nouvelle car pour la première fois des astronomes ont pu obtenir un spectre révélant des propriétés inattendues et étranges à la surface de Quaoar. Statistiquement, David Jewitt estime qu'il existe environ 10000 objets de ce type présentant des paramètres orbitaux similaires. Un satellite : Weywot En 2007, sur base de photographies prises un an plus tôt par le Télescope Spatial Hubble, l'équipe de Michael Brown découvrit un satellite en orbite autour de Quaoar (cf. IAUC 8812). Il fut baptisé Weywot. Sur base de sa magnitude (Mph 24.9) et de son diamètre (3.3 mas) apparents, le satellite mesure environ 170 km de diamètre et orbite à 14500 km de Quaoar ou 24 rayons de Quaoar (RQ). Notons qu'à part Sedna, toutes les planètes naines et les plus grands KBO disposent d'au moins un satellite. Un premier anneau A l'occasion de plusieurs occultations survenues entre 2018 et 2021, plusieurs télescopes terrestres et le satellite CHEOPS (CHaracterising ExOPlanet Satellite) lancé par l'ESA fin 2019 ont enregistré la courbe lumineuse de Quaoar et découvert qu'il possède un anneau. Suite à la découverte ultérieure d'un second anneau (voir plus bas), ce premier fut appelé Q1R ou anneau extérieur. Mais à la grande surprise des astronomes, il se situe à 4100 km du centre de l'astre ou 7.4 RQ, bien au-delà de la limite de Roche située à 1780 km, indiquant que cette limite ne détermine pas toujours la distance sous laquelle un anneau se forme (cf. B.Morgado et al., 2023). Auparavant, les chercheurs pensaient que tout astre situé sous la limite de Roche devrait être disloqué par les forces de marée, ce qui signifie qu'un anneau de débris devrait se former. En théorie les corps situés en dehors de la limite de Roche devrait fusionner, formant une lune. Mais Quaoar n'obéit pas à cette règle.
Selon Morgado de l'Observatoire de Valongo de Rio de Janeiro au Brésil, "Nous pensons toujours que [la limite Roche] est simple. D'un côté se trouve une lune en formation, de l'autre côté un anneau stable. Maintenant cette limite n'est plus une limite." Selon les auteurs, "sur base d'expériences faites en laboratoire, les simulations montrent que les collisions élastiques peuvent maintenir un anneau loin de l'astre. De plus, l'anneau de Quaoar orbite près de la résonance 1/3 spin-orbite avec Quaoar, une propriété partagée par les anneaux de Chariklo et de Haumea, suggérant que cette résonance joue un rôle clé dans le confinement des anneaux pour les petits corps." Mais Morgado propose plusieurs explications. L'une est qu'on a découvert l'anneau au bon moment, juste avant qu'il ne se transforme en lune. Mais il avoue que cette probabilité est faible. Il est aussi possible que la petite lune Weywot ou une autre lune invisible joue le rôle de satellite "gardien" et contribue à maintenir par gravité l'anneau en place d'une manière ou d'une autre. Ou peut-être que les particules de l'anneau entrent en collision de telle manière qu'elles évitent de se coller les unes aux autres et de former une lune. Selon David Jewitt, les particules devraient être particulièrement élastiques - comme des balles en caoutchouc - pour que cela fonctionne. Mais l'observation étant confirmée, actuellement il n'y a aucun moyen de savoir laquelle de ces explications est correcte, d'autant moins qu'il n'y a pas de prédictions théoriques pour des anneaux aussi lointains que l'on puisse comparer avec la configuration de Quaoar. Un second anneau Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Chrystian L. Pereira de l'Observatoire National du Brésil annonça en 2023 la découverte d'un deuxième anneau autour de Quaoar alors qu'elle étudiait le premier anneau Q1R (cf. C.L. Pereira et al., 2023). Ce deuxième anneau appelé Q2R ou anneau intérieur se situe sous l'anneau Q1R mais toujours dans la zone tout aussi improbable que le premier, en dehors de la limite de Roche, ce qui contredit les théories décrivant la formation des lunes et des anneaux.
En raison de leur finesse, ces deux anneaux ne sont pas visibles dans les grands télescopes ; ils furent détectés indirectement lorsque Quaoar occulta la lumière d'une étoile. Grâce à cette nouvelle occultation, les chercheurs ont notamment découvert que le second anneau possède un noyau dense qui ne fait que quelques kilomètres de large. Ils prévoient d'étudier ce deuxième anneau lors de futures occultations stellaires. Pour rappel, les astronomes ont découvert des anneaux autour d'autres petits corps comme le TNO Chariklo (2013), l'astéroïde Chiron (2015) et la planète naine Hauméa (2017). Autres TNO et KBO
2012 VP113 Le 5 novembre 2012, les astronomes Chad Trujillo et Scott Sheppard découvrirent grâce aux télescopes Blanco de 4 m du CTIO installé à Cerro Tololo et des deux telescopes Magellan de 6.5 m installés à Las Campanas, un nouveau grand KBO de magnitude 23.4 qui fut dénommé 2012 VP 113 par l'UAI. Après les contrôles d'usage, l'annonce fut publiée en 2014. Sur base de sa magnitude absolue et son albédo, ce KBO mesure entre 350 et 600 km de diamètre et gravite à une distance comprise entre 80 et 446 UA sur une orbite très excentrique (e=0.69) et inclinée de 24° sur le plan de référence. A cette distance, il boucle son année en quelque 4268 ans ! Selon les observations, sa surface pourrait être rose, le résultat de réactions chimiques produites par l'effet du rayonnement solaire sur l'eau glacée, le méthane et le dioxyde de carbone. Cette teinte est compatible avec la formation d'un astre dans la région gazeuse plutôt que dans la Ceinture de Kuiper qui est dominée par des objets rouges foncés. 2012 VP113 se trouvait à 80 UA en 1979 et à 84 UA en 2023. Hauméa 136108 Hauméa, alias 2003 EL61 est un TNO membre de la famille des "objets dispersés du disque" ou SDO qui rejoint Eris et beaucoup d'autres petits corps. Il appartient aussi à la famille des planètes naines. Comme les TNO, son orbite présente une forte excentricité. Sa découverte fut annoncée le 28 juillet 2005 par l'équipe de José Luis Ortiz de l'Institut d'Astrophysique d'Andalousie (IAA) utilisant le Telescopio Sierra Nevada de Grenade en Espagne. Entre-temps, les astronomes américains Michael Brown de Caltech et Chad Trujillo de l'Observatoire Gemini d'Hawaï découvrirent cet objet dans leurs données suite à une revue du ciel réalisée avec le télescope du Mont Palomar le 6 mai 2004. L'annonce fut retardée en raison de nouvelles observations effectuées à titre de confirmation par le télescope spatial Spitzer. Par un excès de prudence, la paternité de cette découverte revient donc aux astronomes espagnols. Hauméa est actuellement le deuxième TNO le plus brillant dans cette région après Pluton, devançant Eris. Hauméa est escorté par deux satellites et en 2017 les astronomes découvrirent qu'il est également entouré d'un anneau, un phénomène très rare autour des petits corps. On y reviendra. A lire : Conversion of Absolute Magnitude to Diameter for Minor Planets, SFAU The H and G magnitudes system for asteroids (PDF), BAA
La Ceinture de Kuiper en 2026 Si nous voulons améliorer les modèles du système solaire et notamment préciser l'origine des perturbations orbitales dans la Ceinture de Kuiper, nous devons patienter encore quelques années, le temps que la sonde spatiale New Horizons qui visita Pluton en 2015 atteigne la Ceinture de Kuiper en 2026. Cette année là nous pourrons enfin photographier ces KBO en haute résolution, en découvrir certainement de nouveaux et éclaircir les mystères qui entourent ces petits corps glacés perdus aux confins du système solaire. Arrokoth Le premier d'entre eux photographié par New Horizons le 1 janvier 2019 fut 2014 MU69 surnommé "Arrokoth", un KBO d'environ 32x16 km découvert grâce au Télescope Spatial Hubble. Lors du rendez-vous, ce KBO se trouvait à 6.46 milliards de kilomètres du Soleil soit 43.2 UA. A cette distance, le signal mit environ 10 heures pour atteindre la Terre et la lumière du Soleil est 1600 fois plus pâle que sur Terre. Ce petit objet dont la magnitude apparente est de 26.8 tourne légèrement sur lui-même avec une période de ~15 heures. Il évolue sur une orbite faiblement excentrique (e~0.05), similaire à celle de Saturne et boucle sa révolution en ~295 ans. La sonde spatiale s'approcha jusqu'à 6700 km d'Arrokoth dont elle prit 900 images révélant comme on le voit ci-dessous un objet alongé en forme de cacahuète résultant de la collision de deux petits corps. Certains l'ont surnommé le "bonhomme de neige" (snowman). Notez sa couleur brune-orangée déjà observée dans d'autres KBO, le faible nombre de cratères et les différences de réflectivité, en particulier la forte brillance à l'endroit de la jonction des deux corps. Comme on le voit sur la modélisation à droite, c'est exactement le type d'aspect qu'on attendrait de la zone de contact entre deux corps principalement constitués d'eau glacée.
Au cours d'une conférence du JHUAPL qui s'est tenue début 2019, les chercheurs ont confirmé que l'astre ne présente aucun signe de collision violente ayant pu le déformer et comme le montre la carte géologique ci-dessus, la surface des deux parties est très similaire. On en déduit que les deux objets se sont probablement formés séparément puis se sont rapprochés et mirent assez longtemps pour se synchroniser en fonction de leurs dimensions puis se sont très lentement touchés, à une vitesse estimée à ~3 m/s. Toutefois, les images peuvent être trompeuses. Ainsi, l'image couleur présentée ci-dessus à gauche suggère que l'astre est constitué de deux sphères de révolution en contact. Or de nouvelles photos prises par New Horizons ont révélé que les deux parties sont apparemment aplaties, ressemblant plus à deux galettes en contact. Comme le dit le proverbe, il ne faut pas se fier aux apparences. Pour plus d'informations Eris (sur ce site) Sedna (sur ce site) Liste des TNO, MCP Position des TNO, SwRI Ephémérides, JPL Kuiper Belt, David Jewitt Conversion of Absolute Magnitude to Diameter for Minor Planets, SFAU The H and G magnitudes system for asteroids (PDF), BAA Growth of asteroids, planetary embryos and Kuiper belt objects by chondrule accretion (PDF), Anders Johansen et al., 2015 Mission New Horizons, NASA CADC's Digital Sky Survey (POSS2) The STScI Digitized Sky Survey (POSS2) Hierarchial Observing Protocal for Asteroids Jet Propulsion Laboratory (JPL) Retour au astéroïdes et autres petits corps
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