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La structure de l'Univers L'Univers est-il homogène ? (I) Les photographies du ciel profond nous montrent que la plupart des galaxies se rassemblent pour former des couples, des quartettes et autres quintettes. Certaines se rassemblent dans de gigantesques amas pouvant contenir plusieurs dizaines de milliers d'individus maintenus par la gravité. En 1761, à l'époque d la compilation du catalogue de Messier, Lambert fut le premier à considérer que les "nébuleuses" de Herschel formaient des structures hiérarchisées. Un siècle plus tard John Dreyer, directeur de l'observatoire irlandais d'Armagh publia son fameux catalogue NGC, complétant celui de Messier de plusieurs milliers de nébuleuses, d'amas stellaires et de galaxies. Grâce à ce recensement méticuleux, en 1908 l'astronome suédois Carl Charlier posa l'hypothèse que ces "nébuleuses" - les galaxies - se situaient bien au-delà de notre Voie Lactée. Il soupçonnait également que ces galaxies se groupaient en couple, amas, amas d'amas et ce jusqu'à l'infini[1]. Toutefois, en raison de la puissance limitée des télescopes de l'époque et en l'absence d'une théorie cosmologique faisant consensus et conforme aux observations, les astronomes mettront plus de 20 ans pour le démontrer, notamment grâce aux découvertes d'Edwin Hubble. Finalement ce n'est que dans les années 1950 et les premières campagnes de sondages du ciel profond que les astronomes se rendirent compte de la structure très particulière et tout à fait inattendue de l'univers à grande échelle. Les sondages à grande échelle : POSS - SDSS - BOSS - eBOSS - LSST - COSMOS DESI - DEEP - CFHTLS - PFS - Frontier Fields - Coma Cluster Treasury Survey Européens : VDSS - VIPERS - 4MOST - eROSITA Résultats des sondages du POSS Grâce aux photographies très détaillées réalisées avec la chambre de Schmidt de 1.20 m du Mont Palomar - qui constitueront le "National Geographic-Palomar Observatory Sky Survey" (POSS), aujourd'hui accessible en ligne via le Centre de Données de Strasbourg (SIMBAD) - on découvrit dans les années 1950 que le ciel était parsemé de millions de galaxies. En analysant méticuleusement les milliers de plaques photographiques, dans certaines régions du ciel telle La Chevelure de Bérénice (Coma Berenices), Persée ou les Poissons, sur quelques degrés carrés on pouvait décompter jusqu’à 50000 galaxies ! Lorsqu'en 1953 Gérard de Vaucouleurs sonda l'espace sur des distances de l'ordre de 10 à 50 millions d'années-lumière, il nota que les galaxies se rassemblaient dans des amas, confirmant les observations d'Abell. Chaque amas regroupait entre une dizaine et quelques milliers de galaxies. Le ciel en était maculé. A plus grande échelle, les amas s'agglutinaient sous forme de gigantesques entités qui englobaient chacune une dizaine d'amas. Gérard de Vaucouleurs dénomma ces structures des "superamas". Plus tard, il découvrit que ces formations s'étendaient sur plus de 260 millions d'années-lumière et pouvaient contenir jusqu'à un milliard de galaxies. L'intuition de Lambert et Charlier semblait confirmée, mais en vertu du "principe cosmologique" évoqué par l'astrophysicien anglais Edward Milne selon lequel l'Univers est homogène et isotrope dans toutes les directions (voir page 4), les astronomes étaient réticents à admettre que l'Univers ait put être hétérogène. A
voir : Carte 3D de l'Univers
et version
3D,
SDSS DR9/CfA,
2012
Encouragés par les travaux de G.de Vaucouleurs, les astronomes portèrent leurs regards à une plus grande échelle. En 1976, Marc Davis alors à l’Université d’Harvard entreprit une analyse systématique du décalage spectral des galaxies situées dans un rayon de 100 millions d'années-lumière. Equipé d’une "z-machine" qui sera perfectionnée au fil des ans, en une dizaine d’années les astrophysiciens finirent par avoir une surprenante révélation. Après avoir traité sur ordinateur les positions de deux millions de galaxies réparties en profondeur sur 2 milliards d'années-lumière, soit 10% du ciel dans ce volume, les astronomes de l'Université d'Oxford ont remarqué que le nombre d'amas était bien plus élevé que ne le prédisait le modèle de la matière sombre et froide. Les clichés de Seldner[2] et Peebles révèlent que les galaxies ont tendance à s'agglomérer pour former une sorte de tapisserie sidérale à très fines mailles le long desquelles elles se regroupent. En fait, on retrouve les superamas de G.de Vaucouleurs; l'univers prend une consistance grumeleuse. Le satellite infrarouge IRAS observa que les vides étaient beaucoup plus fréquents qu'on ne le pensait. En 1981, l'astronome Robert Kirshner de l’Université du Michigan découvrit par exemple "le trou du Bouvier", une zone sphérique alors estimée à 50 Mpc de diamètre (on l'estime aujourd'hui à 76 Mpc) exempte de galaxies spirales et elliptiques. Cette zone remarquait Kirshner "est une région typique de l'Univers. [Elle ne représente pas] sa structure à grande échelle". Le volume occupé par cette région et bien d'autres représente 1% de l'Univers accessible et correspond à celui d'un superamas de 200 millions d'années-lumière. Depuis cette observation, il est à présent évident que les 100 milliards de galaxies que l'on estime visibles entourent des régions virtuellement vides[3]. Voyons en détails comment les galaxies s'organisent à grande échelle dans ces immenses superstructures formant la grande tapisserie cosmique en nous focalisant sur quelques membres connus, relativement proches et brillants. Nous verrons ensuite comment la théorie explique ses grandes structures et jusqu'à quelles dimensions. Les superamas de galaxies Le Superamas Local (Virgo) Nous avons expliqué à propos des amas de galaxies, que c'est Gérard de Vaucouleurs en 1960 qui découvrit que l'Amas Local formait le "Superamas Local" ou superamas de la Vierge (Virgo) dont le centre se situe à environ 65 millions d'années-lumière de la Voie Lactée. L'Amas Local se trouve en périphérie de ce superamas dans lequel il évolue à 400 km/s. Vu son étendue (~13 milliards d'années-lumière de circonférence), il lui faudrait 10000 milliards d'années pour en faire le tour. Cela nous donne déjà une idée de la dimension astronomique du superamas dans lequel nous sommes plongés qui, ainsi que nous le verrons, paraît presque minuscule à l'échelle du milliard d'années-lumière. Au fil des études, il s'est avéré que le Superamas
Local contenait beaucoup plus de membres. D'abord réévalué à 2000
galaxies, selon les dernières études il contient environ
10000 galaxies regroupées dans une centaine d'amas et représente une
masse d'environ 1015
M
En 1982, Brent Tully de l'Institut d'Astronomie de l'Université d'Hawaï (IfA) découvrit que le Superamas Local avait la forme d'un halo sphéroïde géant comprenant un disque central contenant les 2/3 des galaxies brillantes, tandis que le halo regroupait le tiers restant. Le disque est très fin (1 Mpc), aplati et elliptique avec un rapport grand axe/petit axe de 6:1 pour une épaisseur dans un rapport 9:1. Des études réalisées en 2003 dans le cadre du sondage 2dF ont montré que le Superamas Local est typique d'un superamas pauvre et est relativement petit. Une étude publiée en 2007 par Maret Einasto de l'Observatoire Tartu d'Estonie et son équipe indiqua que le coeur du Superamas Local est peu dense bien que contenant un amas riche et est entouré de "filaments" de galaxies et d'amas pauvres. Depuis, grâce aux données des sondages Cosmicflows, une série d'études conduites entre 2011 et 2016 a permis de calculer la distance et la vitesse des galaxies proches. La combinaison de ces relevés avec d'autres estimations de distance et de champ de gravité a finalement permis de construire une représentation spatiale de l'écoulement des flux au sein du Supermas Virgo. À partir de là, Brent Tully et ses collègues ont pu créer des modèles informatiques et cartographier les mouvements de près de 1400 galaxies dans un rayon de 100 millions d'années-lumière et sur une période de 13 milliards d'années. Depuis, ils ont étendu le sondage dans un rayon beaucoup plus étendu (voir plus bas). Les superamas de Coma, de l'Hydre, du Centaure, de Persée-Poisson et de la Couronne Boréale Parmi les autres superamas
relativement proches et brillants, citons le superamas de Coma contenant quelque
36000 galaxies, chacune ayant une masse équivalente à celle de la Voie Lactée. Il
est dominé par deux amas brillants, l'amas de Coma (Abell 1656) et l'amas du Lion (Abell 1367).
Sa masse équivaut à environ 4x1014
M
Vient
ensuite le superamas de la Couronne Boréale abritant 76000 galaxies. Sa
masse équivaut à environ 2 millions de milliards de masses solaires (2x1015
M On comprend aisément pourquoi ces deux superamas de galaxies sont qualifiés de superamas massifs. Le superamas de l'Hydre contient un seul amas riche, l'amas de l'Hydre (Abell 1060) qui contient autant de galaxies que l'amas de la Vierge, et quelques plus petits amas, le plus riche d'entre eux étant l'amas Antlia. Puis il y a le superamas du Centaure contenant des centaines de galaxies qui est traversé par le plan de la Voie Lactée d'où l'avant-plan parsemé d'étoiles sur les photos. Ce superamas est dominé par l'amas du Centaure alias Abell 3526 dont NGC 4696 illustrée à gauche donna son nom au groupe d'Abell. Il comprend 79 galaxies. NGC 4696 est une galaxie elliptique de magnitude 10.4 qui se situe à ~124 millions d'années-lumière. Son aspect est très particulier. C'est une galaxie LINER (son noyau présente un spectre d'émission à larges raies d'atomes faiblement ionisés) entourée de filaments d'hydrogène qui s'enroulent en spirale sur un trou noir supermassif. Cette galaxie se situe non loin des galaxies NGC 4709 et NGC 4706 (cf. cette photo prise par Michael Sidonio). Ensuite il y a le superamas de Persée-Poisson composé de nombreux amas de galaxies qui forment un grand mur qui s'étend sur près de 300 millions d'années-lumière. A une extrémité du superamas se trouve l'amas de Persée (Abell 426) qui est l'un des amas de galaxies les plus massifs dans un rayon de 500 millions d'années-lumière autour de la Voie Lactée. Les premiers amas ou galaxies isolées du superamas Persée-Poisson se situent à environ 210 millions d'années-lumière tandis que les plus éloignées se situent à plus de 400 millions d'années-lumière, parmi lesquelles la galaxie spirale UGC 12591 de type S0/Sa. On reviendra sur cette galaxie étonnante à propos du calcul de sa vitesse de rotation et la question de la matière sombre. En raison de sa structure, le superamas de Persée-Poissons est le plus apparent dans le ciel. Il réside par ailleurs près du "Trou du Taureau" (voir plus bas). Le superamas d'Hercule Le superamas d'Hercule présente un diamètre d'environ 100 Mpc soit quelque 330 millions d'années-lumière. Il comprend les amas Abell 2147, évidemment celui d'Hercule alias Abell 2151, Abell 2152 et Abell 2162 situé près de la Couronne Boréale. Il est par ailleurs relié aux deux amas Abell 2197 et Abell A2199. Le superamas d'Hercule jouxte le superamas de Coma qui font tous deux parties du "Grand Mur CfA2" (Mur Local) ou "Mur du Sculpteur" sur lequel nous reviendrons. Enfin, le superamas d'Hercule se trouve en bordure du "Supervide Local Boréal" (voir plus bas). Le superamas Laniakea Le superamas Laniakea fut découvert en 2014 (voir également cet article et cet autre article de "Nature"). Son nom signifie "univers immense" en hawaien. Rappelons que la dénomination traditionnelle de certaines découvertes astronomiques faites à l'Observatoire d'Hawaï fait partie du programme 'Imiloa, A Hua He Inoa, créé pour démontrer comment la langue hawaïenne ou 'ōlelo Hawai'i fusionne avec les connaissances scientifiques. C'est aussi et surtout une manière pour les Américains du continent de se dédommager pour tous les abus commis envers le peuple hawaïen dont le fait d'avoir transformé sans leur consentement plusieurs de leurs sites sacrés et en particulier le sommet du Mauna Kea en observatoire astronomique (il abrite les télescopes CFHT, Gemini, Keck I et II, Subaru et le futur TMT de 30 m qui sera le dernier télescope construit sur ce sommet). Le
superamas Laniakea rassemble tous les amas attirés vers le Grand
Attracteur. Le superamas Laniakea mesure 500 millions d’années-lumière de diamètre et
représente ~1017
M La représentation ci-dessous à gauche obtenue grâce au logiciel SDvision de visualisation 3D développé au SEDI/LILAS, montre une tranche du superamas Laniakea vu dans le plan équatorial supergalactique. Les galaxies individuelles sont indiquées par les minuscules points blancs. On observe en blanc des courants de galaxies se déversant dans le bassin d’attraction gravitationnel de Laniakea tandis que des courants en bleu foncé s’éloignent de ce bassin local, créant une séparation entre notre "continent" et nos voisins. La ligne de contour orange définit les limites extérieures de ces courants. A voir : Laniakea,
our home supercluster, Nature, 2014 Laniakea Supercluster, B.Tully et al., 2014 Galaxy orbits within 8000 km/s - Interactive Maps, IRFA/CEA, 2022
Mais tous les astronomes ne s'accordent pas sur la définition de "superamas". Ainsi, pour l'astronome Gayoung Chon de l'Institut Max Planck de Physique Extraterrestre, le "superamas" Laniakea qui est attiré vers le Grand Attracteur porte improprement son titre. Selon Chon, "la définition de superamas dépend de la question que vous posez". S'il s'agit d'un groupement de structures s'effondrant vers un seul objet, alors "cette dernière méthode est une très bonne manière de cartographier les grandes structures de l'Univers, mais elle ne répond pas à la question de savoir ce que deviennent finalement ces superamas." Ceci dit, les sondages n'ont pas permis de découvrir des amas de superamas de galaxies. Il semble que la force de la gravité soit limitée à l'échelle des superamas et ne soit plus capable de construire de structures hiérachiques plus vastes. Le bassin d'attraction d'Arrowhead Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023, Daniel Pomarede du CEA et ses collègues comprenant Brent Tully précité de l'IfA d'Hawaï ont annoncé la découverte d'une nouvelle mini structure cosmique. Les chercheurs ont relevé le défi de mieux comprendre l'architecture des superamas de galaxies. A partir des données du catalogue "Cosmicflows-2" de 8000 galaxies publié en 2013, les chercheurs de l'Université de Lyon/IPNL ont mesuré patiemment les vitesses des galaxies sur la base desquelles furent reconstruits les courants cosmiques. Grâce au logiciel SDvision précité, les chercheurs ont réussi à identifier une nouvelle mini structure extragalactique située au point précis où les zones d'influence de trois grands superamas de galaxies, Laniakea, Perseus-Pisces et Coma sont en contact. Ils ont appelé ce bassin d'attraction "Arrowhead" (la pointe de flèche) en raison de la forme en pointe de flèche de la surface reconstruite de son bassin d'attraction comme illustré ci-dessous sur les deux cartes de visualisation 3D.
Selon les chercheurs, ce bassin d'attraction est le résultat de l'équilibre des forces gravitationnelles excercées par les trois superamas proches. La structure Arrowhead s'étend sur 25 mégaparsecs soit plus de 80 millions d'années-lumière. Pour rappel, Laniakea est situé à proximité du superamas de Persée-Poissons distant de 230 millions d’années lumière ainsi que du Grand Mur CfA2 ou Mur de Coma. Le Mur de Coma est situé à 250 millons d’années lumière et comprend le superamas de Coma en son centre et le superamas d'Hercule à son extrémité. Il mesure environ 500 millions d’années lumière de longueur. Plus loin, entre 150 et 800 millions d’années lumière de la Voie Lactée se trouve le Mur Sud ou Mur du Sculpteur qui comprend principalement le superamas du Sculpteur-Phoenix. On y reviendra. Les bulles d'Hubble ou les trous vides de galaxies En vertu du principe cosmologique, a priori l'Univers est homogène et il ne peut pas y avoir de vide entre les amas ou les superamas de galaxies. Or les observations contredisent ce principe. On peut même affirmer aujourd'hui que s'il existe des amas et des superamas de galaxies le plus souvent concentrés dans des espaces filamenteux réduits, à l'image d'une mousse, cela implique qu'ils doivent laisser des espaces vides autour d'eux. Et c'est exactement ce que les astronomes ont découvert. Depuis 1981, les astronomes ont identifié au moins 29 zones vides ou ZOA (Zone of Avoidance), des "trous" dans la tapisserie cosmique, jouxtant plus d'une centaine de superamas de galaxies dans un cube de 2.4 milliards d'années-lumière de côté (cf. le sondage EEDTA de 1994 recensant 27 ZOA et celui de B&B Abell de 1985 recensant 29 ZOA). En fait, l'Univers est rempli de bulles vides de galaxies et les découvertes se succèdent. En l'honneur d'Edwin Hubble, pionnier de l'exploration de l'Univers, ces "vides" ou ces "trous" ont été nommés les "bulles d'Hubble" (Hubble Bubble). Le trou du Bouvier La première "bulle vide" est le "trou du Bouvier" (A.D.: 14h50m, Décl.:+46°) découvert par Robert Kirshner et son équipe en 1981. Située à environ 700 millions d'années-lumière de la Voie Lactée, cette zone mesure 250 millions d'années-lumière de diamètre ce qui représente un volume de 8 millions de Mpc3 pratiquement vide ! Selon les astronomes de l'Université du Michigan, un tel volume devrait contenir 10000 galaxies. Au cours des sondages successifs, les astronomes ont fini par découvrir en 1997 que le "trou du Bouvier" contenait 60 galaxies. Le superamas d'Hercule est situé près du bord de ce vide comme on le voit sur la carte ci-dessous à gauche.
Le Vide Local et le Supervide Local Boréal En 1987, Brent Tully et Rich Fisher découvrirent aux coordonnées équatoriales A.D.: 18h28m, Décl.: +18° le "Vide Local" (Local Void) présenté ci-dessus à droite, une région dépourvue de galaxies de 195 millions d'années-lumière de diamètre, adjacente à l'Amas Local. Des études réalisées en 2007 par Brent Tully et son équipe ont montré que cette structure est composée de trois secteurs spatialement bien distincts et placés fortuitement de manière orthogonale et séparés par des ponts de "filaments épars" de galaxies. En étudiant la répartition des amas riches de galaxies ainsi que la distribution des trous exempts de galaxies, les astronomes ont également mis en évidence le "Supervide Local Boréal" (Northern Local Supervoid). Il s'agit d'un immense volume vide de 339 millions d'années-lumière de diamètre dépourvu d'amas riches de galaxies dont le centre se situe à 199 millions d'années-lumière de la Voie Lactée. Il se situe entre le Superamas Local (Virgo) et celui d'Hercule. Il se place sur la voûte céleste entre les constellations du Bouvier, de la Vierge et la tête du Serpent, approximativement aux coordonnées équatoriales A.D.: 15h, Décl.: +15°. Le trou du Taureau
Pour mémoire citons également le "trou du Taureau" situé à proximité du superamas de Persée-Poisson. C'est le trou vide le plus apparent du ciel. Il mesure 100 millions d'années-lumière de diamètre, il est circulaire et est recouvert de "murs" de galaxies. Il contient toutefois deux galaxies, UGC2627 et UGC2629 situées à 185 millions d'années-lumière. L'existence de ces vastes volumes quasiment vides de galaxies est en accord avec les prédictions du modèle cosmologique ΛCDM. Des simulations réalisées par Erwin Platen en 2004 telle celle présentée à droite ont déjà montré que des bulles vides pouvaient se former à partir d'un creux (un "trough") dans le champ de densité. Il est donc envisageable que ces espaces vides soient remplis de matière ou d'énergie sombre qui n'auraient pas formé de galaxies. On suppose que ces trous résultent de la fusion de plusieurs espaces vides plus petits comme les bulles fusionnent pour en former de plus grandes, ce qui expliquerait le faible nombre de galaxies qu'on y trouve. Quelques études montrent également qu'il est possible que ces "galaxies de vide" représentent une population différente des galaxies des amas. C'est une hypothèse que les astronomes étudient actuellement. Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023, Brent Tully de l'IfA d'Hawaï et ses collègues du CEA ont annoncé la découverte d'une immense bulle située à 820 millions d'années-lumière de la Voie Lactée qui serait un vestige fossile remontant à la naissance de l'Univers. Ils l'ont découverte de manière inattendue en étudiant les superamas de galaxies. La bulle a reçu le nom de "Ho'oleilana". Il est né des discussions entre Tully et le professeur de langue hawaïenne Larry Kimura et le directeur exécutif du Centre d'astronomie d'Imiloa, Ka'iu Kimura. Le nom de cette bulle vient du chant Kumulipo, "Ho'olei ka lana a ka Po uliuli" signifiant "de l'obscurité profonde sont venus des murmures d'éveil". Cette immense bulle n'est pas un trou vide comme les ZOA. Au contraire. Grâce aux données du catalogue Cosmicflows-4, les chercheurs ont pu observer la bulle sphérique complète de galaxies, identifier son centre et montrer qu'il existe une augmentation statistique de la densité des galaxies dans toutes les directions à partir du centre.
Comme illustré à gauche, Ho'oleilana (en brun) englobe de nombreuses grandes structures cosmiques bien connues découvertes précédemment, telles que le Grand Mur Harvard/Smithsonian contenant l'amas de Coma, l'amas d'Hercule et le Grand Mur Sloan. Le superamas du Bouvier réside en son centre. Le trou historique du Bouvier précité, se trouve à l'intérieur de la bulle d'Ho'oleilana. Le superamas Laniakea (en vert) s'étend jusqu'au bord le plus proche de la bulle. Les minuscules points blancs représentent les galaxies individuelles. Les astronomes ont localisé la bulle d'Ho'oleilana grâce aux données de Cosmicflows-4 publié en 2022 et qui constitue à ce jour (2023) la plus grande compilation de distances précises des galaxies. Rappelons que c'est la même équipe de chercheurs qui identifia le superamas Laniakea en 2014 décrit plus haut. Cette structure est petite comparée à cette bulle. S'étendant sur un diamètre d'environ 500 millions d'années-lumière, Laniakea s'étend jusqu'au bord le plus proche de la bulle d'Ho'oleilana. Cette bulle est prédite par la théorie du Big Bang comme le résultat d'oscillations spatiales (3D) de la matière (baryons) datant de l'Univers primitif, les fameuses oscillations acoustiques baryoniques ou BAO (voir plus bas). Selon Tully, "Nous ne la cherchions pas. Elle est si énorme qu’elle s'étend jusqu'aux limites du secteur du ciel que nous analysions. C’est une caractéristique beaucoup plus importante que prévu. Son très grand diamètre d’un milliard d'années-lumière dépasse les prédictions. Si sa formation et son évolution sont conformes à la théorie, cette BAO est plus proche que prévu, ce qui implique une valeur élevée pour le taux d’expansion de l’univers." L'équipe de Tully a découvert que Ho'oleilana est mentionnée dans une étude de 2016 comme étant la plus importante parmi plusieurs structures en forme de bulle observées dans le sondage SDSS. Cependant, les travaux antérieurs n'ont pas révélé toute l’étendue de la structure et cette équipe n'a pas réalisé qu'elle avait découvert la trace d'une BAO. Selon Tully et ses collègues, c'est peut-être la première fois que les astronomes identifient une structure individuelle associée à une BAO. Cette découverte pourrait contribuer à renforcer les connaissances des scientifiques sur les effets de l’évolution des galaxies. Origine de la bulle d'Ho'oleilana Comment expliquer l'existence de la bulle d'Ho'oleilana ? Comme nous l'avons évoqué, ces bulles sont prédites par la théorie du Big Bang. Au cours des quelque 400000 premières années, avant l'époque l'époque de la recombinaison, l'Univers était un plasma (les électrons étaient séparés des noyaux atomiques) excessivement chaud (plus de 3000 K) couplé aux photons (des rayons gamma). Des régions de densité légèrement plus élevée ont commencé à s'effondrer sous l'effet de la gravité, alors même que l’intense rayonnement tentait de séparer la matière. Cette lutte entre deux forces antagonistes faisait osciller le plasma comme des ondes sonores tout en se propageant vers l'extérieur en vertu de l'expansion de l'Univers. Ces oscillations tridimensionnelles de la matière sont connues sous le nom d'oscillations acoustiques baryoniques ou BAO (cf. la matière sombre pour les détails). Ce mélange de matière baryonique et de rayonnement génère un "son", une signature cosmologique typique que les scientifiques ont pu notamment extraire des données de la mission Planck. On y reviendra. Dans cet Univers primitif, les plus grandes oscillations dépendaient de la distance qu'une onde sonore pouvait parcourir. Déterminée par la vitesse du son dans le plasma, vers 400000 ans après le Big Bang, cette distance était de près de 500 millions d'années-lumière et n'a plus varié une fois que l'Univers s'est refroidi et cessa d'être un plasma à l'époque de la recombinaison où la température chuta sous ~3000 K, laissant de vastes ondulations tridimensionnelles, c'est-à-dire des bulles. Tout au long des éons, les galaxies se sont formées aux endroits de plus forte densité, dans d'énormes structures en périphérie de ce qui ressemble encore de nos jours à ces bulles. Les modèles de distribution des galaxies pourraient révéler les propriétés de ces bulles et indirectement des BAO. Nature et origine du gaz chaud intra-amas et intergalactique En étudiant les galaxies et les amas dans le rayonnement X, les astronomes ont découvert un nouveau phénomène : ils sont enveloppés d'un halo de gaz chaud. Si on comprend aisément qu'une galaxie soit composée de nuages de gaz froid à partir duquel se forment les étoiles, l'origine du gaz chaud intergalactique ou WHIM (Warm-Hot Intermediate Medium) est plus mystérieuse et le devient plus encore quand on apprend que la matière sous toutes ses formes représente à peine 27 ±4% de la masse totale d'une galaxie (le reste étant représenté à raison de 67 ±4% par l'énergie sombre, 4.9 ±0.6% par les baryons, 0.5% par les neutrinos et seulement 0.5% par les étoiles et la matière visible) et que la moitié des baryons qui devraient être présents dans l'univers manque à l'appel ! On reviendra sur ce sujet très important dans un autre article. La découverte de ces halos dilués très chauds soulève plusieurs questions : que représente et d'où vient ce gaz intra-amas ou intergalactique omniprésent et qu'est devenue cette matière baryonique "manquante" ou en tout cas indétectable ? Au début des années 2000, la réponse n'était pas encore définitive mais les astronomes estimaient que ce gaz chaud remontait à l'époque de la formation des amas de galaxies qui débuta quelques milliards d'années après le Big Bang, vers z = 2 ou 3. Selon les modèles galactiques, les jeunes galaxies du champ et celles rassemblées en amas seraient entrées mutuellement en collision. On suppose que ces galaxies en interactions ont subi l'effet d'un balayage violent (stripping) qui expulsa le gaz interstellaire sous forme d'un vent intense. Au contact de cette onde de choc, les nuages de gaz ont été comprimés et réchauffés, donnant localement naissance à de nouvelles étoiles. Les galaxies ayant perdu la majorité de leur gaz se sont transformées en elliptiques ou en lenticulaires. Ce processus a certainement duré plusieurs milliards d'années jusqu'à ce que les galaxies situées en périphérie des amas y participent. Finalement, ce gaz chaud intra-amas arracha le gaz interstellaire des rares galaxies spirales existantes encore au coeur des amas riches.
Ces évènements ce sont produits il y a plus de 7 milliards d'années, vers z = 0.5 et antérieurement. Après son éjection des galaxies, ce gaz s'est répandu dans l'amas où il est resté piégé en raison des forces gravitationnelles, y compris celles plus discrètes de l'énergie sombre. Etant trop diffus, ce gaz ne s'est pas refroidi efficacement et est resté chaud. Etant encore sous le choc, ce gaz émet d'intenses rayons X. Ce sont ces émissions que les astrophysiciens ont enregistrées notamment grâce aux satelllites ROSAT, XMM-Newton et Chandra. L'analyse spectrale de ce gaz intra-amas révèle une forte métallicité et la présence des raies du fer, les signatures typiques d'un processus de nucléosynthèse et donc d'une origine stellaire. Grâce à des télescopes optique et rayons X, Irina Zhuravleva de l'Université de Chicago et son équipe ont étudié l'amas de Coma alias Abell 1656 situé à 320 millions d'années-lumière dont une image composite est présentée à droite. Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2019 (en PDF sur arXiv), les chercheurs ont montré que ce gaz qui est porté à plusieurs millions de degrés (~8 keV) représente une masse ~6 fois plus importante que la masse stellaire. Le gaz chaud est si peu dense que les particules doivent parcourir environ 100000 années-lumière en moyenne pour interagir les unes avec les autres. Les chercheurs en ont déduit que ce gaz présente une très faible viscosité et donc que des turbulences peuvent facilement se développer à petites échelles (plus la viscosité est faible plus le fluide s'écoule facilement et plus l'énergie se dissipe facilement). Pourquoi la viscosité du gaz chaud est-elle si faible dans l'amas de Coma ? Une explication est la présence d'irrégularités à petite échelle dans le faible champ magnétique (quelques μG) de cet amas. Ces irrégularités peuvent dévier les particules chargées présentes dans le gaz chaud, principalement les électrons et les protons. Ces déviations réduisent la distance qu'une particule peut parcourir librement et, par extension, la viscosité du gaz. Connaître la viscosité du gaz dans un amas de galaxies et l'échelle à laquelle se développe la turbulence sont des données utiles qui peuvent aider les astronomes à comprendre les effets de phénomènes importants tels que les collisions et les fusions entre galaxies ou entre amas de galaxies. Ainsi, la turbulence générée par ces évènements de grande ampleur peut servir de source de chaleur, empêchant le gaz chaud des amas de se refroidir et former des milliards de nouvelles étoiles.
Notons que le gaz chaud de l'amas de Coma est plus chaud que celui des autres amas de galaxies les plus brillants situés à proximité et présente aussi une densité relativement faible, contrairement aux coeurs froids et denses des autres amas de galaxies lumineux, notamment ceux de Persée et de la Vierge. Sachant qu'il est impossible de reproduire en laboratoire des conditions de vide et de température aussi élevées que celles régnantes dans un amas de galaxies, cela offre également aux astronomes une opportunité d'utiliser l'amas de Coma comme "laboratoire d'étude" de la physique des plasmas. Si le gaz chaud est présent au sein des amas de galaxies, il est évidemment également présent entre les amas de galaxies. Ainsi, comme on le voit à gauche, les amas Abell 399 et Abell 401 situés à environ un milliard d'années-lumière sont reliés par un pont de gaz chaud porté à 80 millions de Kelvins mesurant ~10 millions d'années-lumière. L'image combine la photo optique et celle de l'effet Sunyaev-Zel’dovich sur le rayonnement à 2.7 K (en orange) prise par le satellite Planck. Cet effet sur le rayonnement à 2.7 K se produit lorsque le rayonnement cosmologique passe à travers un gaz chaud. Une partie du rayonnement excite les électrons du gaz, laissant une faible trace dans le rayonnement micro-onde sous forme de ce halo colorisé en orange. Etant donné son étendue et sa structure, l'origine de ce gaz chaud est encore inconnue bien que l'effet d'un balayage (stripping) soit probable. Les astronomes ont également suggéré que ce gaz chaud ferait partie des filaments formant la structure de l'Univers à grande échelle et pourrait représenter une partie de ces fameux baryons "manquants" à l'inventaire cosmologique. Mais jusqu'en 2015 il fut impossible de confirmer cette théorie par l'observation et ce n'est qu'en 2017 que les astronomes en apportèrent la preuve. On y reviendra dans l'article Le mystère des baryons manquants résolu. Rappelons que la future mission d'imagerie par rayons X et de spectroscopie XPRISM de la JAXA en collaboration avec la NASA prévue au début des années 2020 effectuera des mesures directes de la vitesse du gaz dans plusieurs amas de galaxies proches. Ces données fourniront plus de détails sur la dynamique des amas, permettant ainsi aux astronomes de mener des études plus approfondies afin de mieux connaître la nature, les propriétés et l'origine de ce gaz. Si les amas et les superamas de galaxies sont des structures qui défient l'entendement, la structure de l'Univers est encore plus étonnante dans l'espace très profond, au-delà d'un milliard d'années-lumière, où les astronomes ont découvert de véritables murs de galaxies et même de quasars. C'est l'histoire de ces découvertes que nous allons à présent décrire. Prochain chapitre Résultats des sondages à grande échelle
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