Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Le supervolcan de Yellowstone

La source d'eau chaude du Grand Prismatic et ses fameuses cyanobactéries thermophiles. Doc NPS.

Tu es poussière et tu retourneras à la poussière (I)

Cette célèbre expression lourde de sens extraite du livre de la Genèse (Gen. 3:19) confond à bon escient cendre (efer) et poussière (afar). La cendre évoque les résidus d'une combustion totale mais également les restes calcinés d'un corps. La poussière exprime un résidu, un ensemble de particules sans importance, leur comparaison exprimant la précarité de notre existence.

Cette expression biblique s'applique très bien à notre sujet. Dans les années 1990, les paléontologues et les géologues ont découvert qu'il existe encore sur Terre au moins un supervolcan en sommeil de la dimension de ceux qui ont conduit à plusieurs extinctions massives... Cette découverte donna des sueurs froides à bien des scientifiques.

En 1999, dans le cadre de l'émission "Horizon", la BBC diffusa un documentaire sur les supervolcans du réalisateur anglais Marc Hedgecoe. Dans ce film, Hedgecoe posait la question de savoir si le fameux parc naturel de Yellowstone aux Etats-Unis n'était pas en réalité un supervolcan en sommeil similaire à ceux qui conduisirent à plusieurs extinctions de masse. Ses conclusions furent sans appel : le Yellowstone est bien un supervolcan et il devrait "bientôt" exploser, conduisant à... l'extinction de l'humanité ! Bon peut-être pas tout à fait car nous serons tout de même au moins 10 milliards d'habitants répartis sur toutes les terres. Son explosion peut malgré tout tuer une centaine de millions d'habitants et avoir des conséquences régionales voire mondiales (sur le trafic aérien et la disponibilté de certains produits notamment) durant plusieurs années. Le risque est donc bien présent et couve à deux pas de chez nous !

Le documentaire était tellement convaincant que plus d'un chercheur ont redouté l'impact de cette histoire et l'ont jugée irréaliste sans même étudié le sujet. Mais les faits parlent d'eux-mêmes et donnent en grande partie raison à Hedgecoe. En 2005, la BBC romança ce documentaire (Supervolcano), mais cette fois-ci le supervolcan explosa, le rendant plus réaliste encore... Voyons de quelles manières les scientifiques aboutirent à cette funeste conclusion.

Des cendres sans volcan

Le parc national de Yellowstone s'étend dans le Wyoming sur près d'un million d'hectares (88 km x 95 km). En 1971, de violentes pluies se sont abattues à 500 km du parc, dans la région est du Nébraska, l'État situé juste à l'est du Wyoming. A cette occasion le paléontologue américain Mike Voorhies de l'Université de Nébraska explora la région située à l'ouest de la ville d'Orchard et découvrit environ 200 fossiles de rhinocéros et d'animaux préhistoriques parmi lesquels des chameaux, des lézards, des chevaux et des tortues. Tous moururent brutalement il y a 10 millions d'années, la plupart alors qu'ils étaient encore jeunes et les femelles encore grosses.

Puisqu'ils ne sont ni morts de vieillesse, ni dans des combats ou noyés, seule une catastrophe majeure pouvait expliquer cette hécatombe. Des fragments d'os furent envoyés au Prof. Karl Reinhard de l'Université de Nébraska pour analyse. Les squelettes étaient couverts d'un élément organique lié à la maladie de Marie, une maladie que les animaux peuvent contracter au contact de l'air et qui attaque les poumons un peu comme la pneumonie. Tous les animaux, sans exception, avaient été contaminés. Dans le détail, on constata que leurs poumons n'étaient pas remplis de fluide comme dans le cas d'une pneumonie mais ils avaient été lacérés et remplis de cendres. Ces animaux avaient succombés sous un nuage épais de cendres volcaniques, crachant tout leur sang et se désséchant lentement dans d'atroces souffrances. Ce phénomène se rapproche des nuées ardentes sans toutefois en avoir les effets thermiques.

Aspect actuel (2002) du supervolcan Bruneau Jarbridge, nom composé à partir des deux rivières qui le traverse en Idaho : c'est un canyon qui sert de terrain de jeu aux kayakistes, aux canyoners ainsi qu'aux pêcheurs épris de nature sauvage. Documents Wendy & Andy.

Problème, l'État du Nébraska est formé de grandes plaines et n'abrite aucun volcan. Le plus proche, Bruneau Jarbridge, est éteint et se situe en Idaho à 1600 km plus à l'ouest. Aujourd'hui on y pratique le kayak et le canyoning dans des rapides qui atteignent localement la classe III et IV.

Quant au Mont St.Helens, il est encore un peu plus éloigné, dans l'État de Washington, près de la côte Pacifique. Aussi loin que remontent les archives, le Nébraska n'a jamais été volcanique. Or la moitié du nord des Etats-Unis fut recouvert à cette époque d'une couche de 2 mètres de cendres. Le ou les volcans devaient être des centaines de fois plus puissants que les volcans ordinaires. D'où ces cendres pouvaient-elles bien provenir ?

Les terres jaunes de Yellowstone.

Nous savons que les cendres sont relativement lourdes par rapport aux poussières mais elles peuvent être transportées par le vent à quelques centaines ou milliers de kilomètres d'un volcan.

En comparant les cendres d'Orchad à celle de Bruneau Jarbridge, le géologue Bill Bonnichsen de l'Idaho Geological Survey découvrit que les compositions minéralogiques des deux groupes de roches étaient similaires, comme si elles provenaient du même gisement.

Et de fait, le canyon de Bruneau Jarbridge est principalement constitué de rhyolite et de lave, la même que celle que l'on trouve dans les roches jaunes de Yellowstone d'où le parc tire son nom. Bonnichsen en vint à la conclusion logique que Bruneau Jarbridge était donc responsable de la catastrophe survenue à Orchad. Il s'agissait d'un supervolcan.

Jusqu'à présent les chercheurs s'étaient très peu intéressés à cette classe de volcan. Et pour cause. Tous pensaient que les supervolcans tels ceux qui ont conduit à la formation des trapps du Deccan ou les trapps de Sibérie avaient disparu ou étaient en tous cas dans un profond sommeil et sans la moindre activité. On s'est longtemps demandé à quoi ils ressemblaient et s'il n'en restait pas quelques-uns cachés sous la végétation ou noyés sous plusieurs mètres d'eau. Quant au public, c'est grâce au documentaire de la BBC qu'il entendit parler pour la première fois des supervolcans.

Les supervolcans

En deux mots, on peut dire qu'un supervolcan produit des éruptions et des explosions d'une ampleur catastrophique, pour ne pas dire apocalyptique. C'est un évènement majeur qui décime en général toute la population d'une région, sa superficie pouvant dans notre exemple couvrir les 2/3 des Etats-Unis et tuer des dizaines de millions de personnes en quelques minutes ! Personne ne peut concevoir une telle éruption car depuis que l'homme écrit ses mémoires, personne n'en a été témoin.

Statistiquement un volcan comme le St.Helens (à gauche et au centre), d'indice d'explosivitité VEI 5, entre en éruption une fois par siècle et libère 1 km3 de cendres et de magma dans l'atmosphère. A droite, la caldera partiellement effondrée et noyée du volcan de Santorin dans la mer Egée qui explosa en l'an 1650 avant notre nère. D'indice VEI 5, il produisit 30 km3 de matière volcanique et forma une colonne plinienne qui s'éleva à 36 km d'altitude et perturba le climat dans toute l'Europe ! En détruisant toute la ville et les alentours dans un rayon de 100 km, on pense qu'il marqua le déclin de la civilisation Minoenne et la naissance d'un mythe, l'Atlantide. En 1950, le petit volcan qui s'est reformé au centre entra à nouveau en éruption. Document Kid's Cosmos, NASA/ARC/GEO et NASA/ASTER Science Team.

Le professeur Bill McGuire, volcanologue et géophysicien au Centre Benfield Greig de l'UCL aux Etats-Unis, nous rappelle que les superéruptions sont souvent appelées VEI 8 ce qui représente le degré 8 sur l'échelle d'indice d'explosivité volcanique, l'indice VEI variant entre 0 et 8. Chaque degré représente une éruption 10 fois plus puissante que la précédente. Le mont St.Helens par exemple fut classé VEI 5, paroxysmal. Pour vous donner une idée de sa puissance, il libéra une énergie équivalente à au moins 27000 fois celle de la bombe d'Hiroshima (~15 kT) soit 600 MT de TNT ! Il propulsa 470 millions de tonnes de cendres, de terre et de cailloux dans un rayon de 30 km et fit malheureusement 57 morts.

Si on représente la quantité de matériel éjecté par un cube, l'éruption du St.Helens représentait un petit dé de 1 cm3. Quand vous voyez les dégâts qu'il provoqua en pulvérisant tout un versant de la montagne, son énergie fut purement phénoménale. Si nous passons à la classe juste supérieure, une VEI 6 comme l'explosion de Santorin, cela représente déjà 125 cm3, soit un cube de 5 cm de côté. Son éruption fut qualifiée de colossale. La poussière qu'il dégagea que l'on appelle la colonne plinienne s'éleva jusqu'à la stratosphère, à 36 km d'altitude, le niveau de la couche d'ozone !

A consulter en ligne : Les volcans actuellement en éruption

L'éruption du St.Helens du 18 mai 1980

Fichier AVI de 222 KB.

Maintenant asseyez-vous bien. Si on représente une éruption VEI 8 nous parlons d'une toute autre échelle. Il s'agit d'une éruption dite "méga-colossale" équivalente à celle de 1000 volcans comme le St.Helens simultanément. L'énergie libérée correspond à 22 fois la puissance libérée par la bombe H américaine la plus puissante, Castel Romeo qui explosa le 26 mars 1954 à Bikini ! Dans notre modèle réduit, la quantité d'éjecta représente... un mètre cube ! Nous pouvons placer un million de petits dés de VEI 5 dans le volume qu'il occupe !

Aujourd'hui il existe environ 1500 volcans actifs dans le monde. Chaque année nous assistons à 50 ou 60 éruptions volcaniques. Ce sont essentiellement des VEI entre 0 et 3. Quasiment tous les volcans émettent des gaz nocifs comme le gaz carbonique et le dioxyde de souffre et parfois uniquement des cendres. La plupart éjectent de la lave relativement fluide contenant du gaz qui peut facilement s'échapper sans provoquer d'explosion. D'autres explosent en libérant des coulées pyroclastiques (gaz, vapeur d'eau et débris solides portés à environ 750°C s'écoulant à plusieurs centaines de km/h à hauteur du sol), mais les supervolcans sont tout différents.

Evolution du Yellowstone. Formation d'un point chaud sous l'écorce suivi de la formation d'un dôme. Des fractures se formèrent ensuite, suivies d'une éruption qui vida partiellement la chambre magmatique. La caledras'affaissa et fut comblée par de la lave qui fournit la source de chaleur aux formations hydrothermales actuelles. Document Russ Finley adapté par l'auteur.

Tout d'abord ils ne forment pas de dômes montagneux, mais des dépressions dans le sol. Bien que nous n'en ayons jamais observé en éruption, en étudiant les roches qui les entourent, les scientifiques sont parvenus à déterminer de quelle manière ils se formaient.

Ainsi que l'explique le schéma présenté à droite, comme tous les volcans, tout commence par une colonne de magma qui monte des entrailles de la Terre.

Ce magma peut stagner quelques millénaires dans le manteau à quelques centaines de kilomètres sous la surface, formant un point chaud. Sous certaines conditions, plutôt que de percer la surface, le magma s'accumule dans un lac souterrain et finit par faire fondre localement l'écorce terrestre, transformant la roche elle-même en un magma épais.

On ignore exactement pourquoi, mais sous les supervolcans se forme un vaste réservoir de roche fondue. C'est ce qu'on appelle la caldera active. Le magma est si épais et si visqueux qu'il emprisonne les gaz, conduisant à une augmentation colossale de la pression en quelques milliers d'années.

Lorsque la chambre magmatique n'est plus en mesure de contenir cette pression on assiste à une éruption explosive des centaines de fois plus puissante que l'écoulement normal du réservoir à travers les fissures de la roche. Cet effet détruit le plafond de la chambre formant un énorme cratère qui peut atteindre une centaine de kilomètres de diamètre. Le volcan s'effondre et se transforme en caldera.

La caldera du supervolcan Toba qui explosa à Sumatra il y a environ 73000 ans. Document NASA/GSFC/ASTER.

Si la catastrophe se produit en mer, il se crée un mégatsunami et ce qui reste du supervolcan risque d'être englouti sous les eaux. C'est ce qui s'est produit à Santorin et à Toba et certainement dans d'autres supervolcans aujourd'hui éteints et invisibles.

Le principal facteur qui détermine la taille des éruptions d'un supervolcan est la quantité de magma disponible. Si un énorme volume de magma s'accumule sous l'écorce, nous avons potentiellement une chance d'assister à une très très grande éruption.

Il existe à travers le monde quelques endroits qui réunissent les conditions géologiques pour créer des chambres magmatiques aussi vastes. On les compte sur les doigts d'une main et les chercheurs ne sont même pas sûr de pouvoir trouver tous les supervolcans qui existent encore. Nous en connaissons au moins deux. Il existe au nord de Sumatra un supervolcan aujourd'hui situé au centre d'un lac et nommé Toba. Personne ne fut témoin de son éruption qui se produisit voici environ 73000 ans.

Le second est plus étonnant, c'est le parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis. On le connaît essentiellement pour ses paysages "d'enfer" : le lac arc-en-ciel de Grand Prismatic Spring qui doit ses couleurs à des cyanobactéries, les sources chaudes de Mammoth Hot Spring couvertes localement de slimes et son geyser Old Faithful, le Vieux Fidèle qui jaillit toutes les 65 à 92 minutes jusqu'à 55 mètres de hauteur. Mais de temps en temps, certains sentiers sont fermés au public en raison de l'activité thermale trop intense, preuve s'il en est que s'il peut se présenter sous des aspects attrayants, il n'en demeure pas moins capricieux. Restait à savoir pourquoi.

Prochain chapitre

Etude géologique de Yellowstone

Page 1 - 2 - 3 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ