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L'eau, l'or bleu

Les chutes du Niagara. Document A.Morris

L'eau, source de vie (I)

Banale au point d'être méprisée dans nos sociétés et de servir aux meilleurs comme aux pires usages, l'eau reste pourtant une substance extraordinaire. On ne se rend pas toujours compte de l'importance que revête l'eau jusqu'au jour où elle vient à manquer, que ce soit pour nos besoins quotidiens, l'exploitation industrielle où en des lieux où la sécheresse sévit. Alors qu'on la gaspille dans les pays occidentaux, ailleurs elle peut s'avérer plus précieuse que l'or ou le pétrole.

Pour beaucoup de peuples, l'eau est le symbole de la vie et de la fécondité. Les Samburu du Kenya par exemple confient la prospection et la manipulation de l'eau aux femmes. Chez les Dogon du Mali, les statuettes du dieu Amma ont les bras tendus vers le ciel, invoquant la pluie. A Nazca au Pérou, les conches Pututu (des Strombus), les puits et d'autres traces en spirale font allusions au pouvoir de l'eau et à la fertilité qu'elle apporte.

Et de fait, nous verrons quand nous aborderons la question de son exploitation que l'eau est indispensable au développement ou à la survie de tous les êtres vivants. Ainsi que nous l'avons expliqué en bioatronomie, mis à part une poignée de créatures extrêmophiles, aucun organisme vivant aujourd'hui sur Terre ne pourrait s'adapter à un environnement privé d'eau liquide où il passera assez rapidement soit dans une phase de stase ou d'hibernation soit de vie à trépas.

L'homme en tout cas, s'il peut se priver de nourriture durant environ 40 jours (avec des séquelles) il ne peut survivre plus de 2 ou 3 jours sans s'hydrater. Pourquoi l'eau est-elle si importante ?

L'eau présente plusieurs particularités qui la rendent unique parmi toutes les substances minérales. En phase liquide l'eau offre l'avantage d'être le support des formes de vie, dissolvant les composants, transportant les molécules clés et activant les réactions chimiques. Ce milieu est également plus stable et présente moins de risques qu'un milieu gazeux.

Nous verrons plus loin dans ce dossier que l'eau est un solvant universel. C'est une molécule polaire, disposant de terminaisons positive (hydrogène) et négative (oxygène). Ses atomes d'hydrogène peuvent tendre des liaisons faibles avec d'autres molécules. Beaucoup d'autres molécules "liquides" sont polaires mais aucune autre n'est capable d'établir autant de liaisons hydrogène que l'eau. Aucun autre liquide ne peut donc former un réseau aussi souple et résistant au point de servir de solvant à autant de substances acides ou basiques.

Les mangroves du parc des Everglades à 56 km de Miami, dans le sud de la Floride. L'eau des Everglades est un mélange d'eau salée et d'eau douce qui offre une source de nourriture très riche à toute la biocénose. Les nombreux méandres et criques sont autant de refuges pour les organismes marins juvéniles. Les prédateurs adultes, tant d'eau douce que salée, ne les explorent pas. Ce milieu est toutefois très fragile. Document Yann Arthus-Bertrand.

Par sa structure polaire, l'eau permet la construction des enzymes, des macromolécules d'acides aminés qui catalysent les réactions chimiques. Sans eau ni enzymes, les cellules ne pourraient réaliser leurs réactions métaboliques et se serait la mort immédiate de l'organisme.

Nous verrons également en météorologie qu'à température ambiante l'eau peut présenter trois phases : solide (glace, neige), liquide (lac, pluie) et gazeuse (vapeur, geyser) qui peuvent même se confondre au point triple.

Parmi ses nombreuses particularités, à part le mercure, l'eau offre la plus grande tension superficielle parmi tous les liquides. L'eau est également l'une des rares substances connues dont l'état solide peut flotter sur son état liquide, et contrairement à presque toutes les autres substances, l'eau se dilate lorsqu'elle gèle. Son point d'ébullition est également bizarre. Alors que les points d'ébullition d'autres hydrures comme le tellurure d'hydrogène (H2Te) et le sulfure d'hydrogène (H2S) dimininue lorsque la taille de leurs molécules diminue, la molécule d'eau présente un point d'ébullition étonnamment élevé pour son poids moléculaire, un phénomène que personne ne comprend vraiment comme l'expliqua le journaliste scientifique Philip Ball dans un essai publié dans la revue "Nature" en 2008 et auteur du livre "H2O : A Biography of Water" (2000).

Enfin, l'eau offre la caractéristique d'avoir l'une des chaleurs spécifiques les plus élevées parmi les substances connues. Nécessitant beaucoup de chaleur pour augmenter légèrement sa température, l'eau se présente comme un excellent régulateur thermique capable de modérer l'influence du climat sur Terre.

Sans parti pris mais en nous fondant évidemment sur la biologie terrestre, nous pouvons donc dire avec certitude que la vie telle que nous la connaissons a besoin d'un solvant pour casser les protéines et en extraire les acides aminés et que sur la plupart des astres il s'agira nécessairement de l'eau. Mais dans les mondes beaucoup plus froids, l'ammoniac peut jouer ce rôle. Il présente certaines de ces caractéristiques mais comme la plupart des autres substances, sa glace ne flotte pas et altère le goût des boissons !

L'eau possédant autant de particularités et des avantages indéniables, c'est pour ainsi dire une matière magique et nous devons absolument préserver ses ressources. La disparition de l'eau entraînerait tout simplement avec elle tout espoir de vivre sur Terre.

Nous allons décrire en détail les propriétés et les usages de cette substance si particulière. Nous verrons quelles sont les propriétés physiques de l'eau, ce qu'il en est de son existence éventuelle ailleurs dans l'univers, le cycle de l'eau, ses usages, sa préservation et l'état des réserves d'eau douces dans le monde. Des liens complèteront cette revue.

Les propriétés physico-chimiques de l'eau

Son un aspect anodin et une simplicité apparente, les propriétés de l'eau sont très complexes et nous manquons encore de théorie pour expliquer précisément ses propriétés. Nous devons distinguer plusieurs caractéristiques qui rendent cette substance si extraordinaire. Nous allons passer en revue quatre particularités, allant du plus simple au plus complexe :

- La molécule d'eau

- La configuration spatiale

- Les liaisons hydrogène

- Les affinités chimiques

- La découverte des deux états de l'eau liquide

Nous discuterons également de quelques phénomènes annexes plus concrets :

- Pourquoi l'eau joue-t-elle un rôle thermorégulateur ?

- Pourquoi l'eau dissout-elle les substances ?

- Pourquoi l'eau érode-t-elle la matière ?

- Pourquoi l'eau est-elle transparente ?

- Pourquoi l'eau est-elle liquide ?

En partant de ces explications, nous comprendrons beaucoup mieux pourquoi elle réagit de certaines manières et se présentent sous certains aspects.

Les mouvements chaotiques et organisés de l'eau. Cliquez sur les images pour lancer les animations (GIF de 2.9 et 9 MB). Documents ACEGIF.

La molécule d'eau

Tout enfant apprend sur les bancs d'école que l'eau est une substance chimique composée d'une molécule formée de deux atomes d'hydrogène et d'un atome d'oxygène, H2O. L'hydrogène est constitué d'un seul proton autour duquel gravite un électron (numéro atomique Z=1 dans le tableau de Mendeleïev) tandis que l'oxygène est constitué d'un noyau contenant 8 protons et 8 neutrons autour duquel gravite 6 électrons (numéro atomique Z =8).

Le poids des électrons étant négligeable comparé au poids du noyau, l'oxygène est donc 16 fois plus lourd que l'hydrogène (15.999 g/mole contre 1 g/mole pour l'hydrogène). Comme la plupart des molécules, la charge électrique de l'eau est globalement neutre car la charge positive des noyaux est équilibrée par la charge négative des électrons.

Malgré leur faible poids absolu, c'est la charge électrique des électrons qui confère ses propriétés à la matière. En effet, une molécule se maintient grâce à l'attraction mutuelle de ses atomes, ce qu'on appelle les liaisons chimiques.

Ces liaisons peuvent être de deux types : ioniques avec un gain ou une perte d'électron au profit de la molécule résultante, c'est le cas de la molécule d'eau (H++O--) ou covalentes, mettant en commun les électrons des couches externes des deux atomes (CH4). Cette liaison qui solidarise les atomes et les molécules est due à la force électrostatique de Van der Waals et suit la loi coulombienne dans le même rapport que la force d'attraction de Newton.

Paramètre

Hydrogène

Oxygène

Numéro atomique

1

8

Masse atomique

1.007825 g/mole

15.999 g/mole

Electronégativité de Pauling

2.1

3.5

Densité à 20°C

0.0899x10-3 1.43x10-3

Température de fusion

- 259.34°C

-218.79°C

Température d'ébullition

- 252.87°C

-182.95°C

Rayon atomique (Van der Waals)

0.12 nm

0.074 nm

Rayon ionique

0.208 nm

0.14 nm

Isotopes

1H, 2H, 3 H 16O, 17O, 18O

Configuration électronique

1s1 [He] 2s2 2p4

Energie de première ionisation

1312.06 kJ/mole

1313.95 kJ/mole

Découverte

1766 (Cavendish)

1774 (Priestley)

Abondance (dans l'air)

0.53 ppm

209500 ppm

C'est cette force de Van der Waals qui explique par exemple l'adhérence d'une goutte d'eau sur un support ou de la bille d'acier sur un plan incliné en caoutchouc. Cette force est limitée à l'échelle des molécules et peut-être neutralisée par une charge de signe opposé - ou quelques poussières sur notre plan incliné. Etant donné qu'une certaine énergie est utilisée pour assurer cette liaison, l'énergie de la molécule est inférieure à celle des deux atomes séparés; c'est le défaut de masse. On retrouve ce concept en thermodynamique à propos du phénomène d'entropie et de la source d'énergie du Soleil.

La force de Van der Waals : une loi en 1/r7

Nous venons de dire que la force des liaisons chimiques suit une loi en carré inverse. En fait ce n'est valable qu'en théorie et si l'atome ou la molécule est électriquement neutre. Ainsi, un cation chargé positivement s'approchant d'un anion chargé négativement vont chacun interagir selon la loi en carré inverse, 1/r2 (et tant qu'une autre substance éventuelle ne perturbe pas les interactions entre les deux charges).

Deux modèles de la distribution du potentiel électrostatique autour de la molécule d'eau. Ce sont les charges électriques des électrons qui génèrent les forces de Van der Waals, créant ce champ directionnel (polaire). Son intensité suit une loi en puissance mais dont l'exposant est supérieur à la loi de coulomb. A droite, la même image simplifiée vue selon deux axes différents (le schéma de droite correspond à l'image 3D de gauche). La limite extérieure représente le rayon des forces de Van der Waals (le champ de force expliquant les interactions dipolaires de la molécule d'eau). Son diamètre moyen est de 2.82 Å, identique à celui du modèle isoélectronique du néon. On constate que la molécule d'eau n'est pas sphérique mais plutôt tétrahédrique. Documents Martin Chaplin/LSBU.

Dans le cas de l'eau, la charge globale de la molécule est neutre : deux molécules d'eau peuvent donc s'approcher l'une de l'autre sans subir la moindre interaction électrostatique, du moins en théorie...

Car si la molécule d'eau est globalement neutre, les deux schémas présentés ci-dessus nous la présentent entourée d'un champ directionnel : les électrons ne sont pas uniformément répartis dans la molécule, si bien que globalement il y a une fragment de charge négative qui se déplace vers l'oxygène et un fragment de charge positive qui se déplace vers les deux atomes d'hydrogène. On dit que la molécule présente un dipôle. La molécule d'eau se présente comme deux charges de valeurs opposées très proches l'une de l'autre et polarisée.

Distribution des potentiels positifs et négatifs et aspect du champ de force entre une charge négative et 2 charges positives en interaction. Document U.Maine.

Si nous appliquons les lois de l'électrostatique sur l'interaction entre deux dipôles, on utilise bien entendu la loi en carré inverse mais pratiquement le résultat équivant à une loi en 1/r7. La force de Van der Waals augmente donc très fort quand la distance est très courte.

Ce phénomène qui peut sembler bizarre demande quelques explications. Pourquoi la force augmenterait-elle plus vite quand la distance diminue ou inversement ?

Imaginons que nous ayons la taille d'un électron et explorons le champ qui entoure un dipôle constitué par une molécule polaire. A grande distance, le dipôle n'est pas sensible car nous sommes à la même distance des charges positive et négative. Qu'il y ait deux charges opposées très proches l'une de l'autre ou une charge nulle, l'effet serait pratiquement identique car à grande distance les interactions entre les charges vont se compenser. En revanche, si on se rapproche du dipôle, on peut très bien différencier les deux charges. A courte distance, pour peu que l'on se déplace dans le champ de force des particules, on va ressentir une différence d'attraction entre les deux charges et les interactions ne vont donc plus tout à fait se compenser. Si on mesure l'intensité du champ de chaque charge, on constatera qu'il suit une loi en 1/r7.

Dans le cas de la force de répulsion des nuages électroniques, l'intensité varie même comme 1/r13, ce qui signifie qu'elle est très intense à très courte distance mais diminue également très vite pour peu qu'on s'éloigne des charges. Dans ce cas on ne parle plus de dipôle mais d'interactions entre molécules (donc globalement neutres et sans charge partielle).

Le sujet est assez complexe à décrire aussi nous nous contenterons de dire que les calculs sont fondés sur le concept de dipôle instantané et non plus permanent. S'il n'y a pas de dipôle permanent, en moyenne dans le temps, il peut se manifester un dipôle transitoire dans les molécules en interaction : un dipôle instantané peut apparaître dans une molécule qui va induire un dipôle dans l'autre molécule. Par conséquent, il faut que les molécules soient encore plus proches pour que l'effet existe, d'où cette loi avec une exposant encore plus élevé.

Si le sujet vous intéresse, vous trouverez les détails mathématiques dans tout bon cours d'électrodynamisme dont celui proposé en ligne sur Sciences.ch.

L'eau lourde

Il existe une autre forme d'eau. Si on ajoute un neutron à un atome d’hydrogène, on obtient du deutérium (D) et combiné à un atome d'oxygène on obtient ce qu'on appelle de l'eau lourde, HDO. La masse de cette molécule est environ 5% supérieure à celle de l'eau ordinaire. Ce petit changement entraîne des différences isotopiques qui ont un impact direct sur la vitesse d'évaporation de l'eau mais également dans la formation des astres (planète, lune et comète).

Le rapport D/H est une empreinte chimique des conditions de formation qui dépendent de la température et de l'évolution temporelle du phénomène. Ainsi, l'eau lourde évaporée enrichit le deutérium dans la surface restante. En théorie on s'attend à ce que les molécules et les astres formés dans les contrées froides soient plus abondants en deutérium que ceux formés dans des régions plus chaudes. Mais ce n'est pas toujours le cas et c'est un signe indicateur de l'origine de cette eau. On y reviendra à propos de la glace d'eau enrobant les grains de poussière des anneaux de Saturne.

L'eau lourde est utilisée depuis 1933 dans différents secteurs industriels et notamment comme modérateur de neutrons dans les réactions de fission nucléaire. On l'utilise également en spectroscopie RMN pour éviter de perturber les mesures (la fréquence du deutérium étant différente de celle du proton). Plus récemment on l'a utilisée pour remplir la cuve de détection de l'Observatoire de neutrinos de Sudbury en Ontario (SNO), les neutrinos interagissant (faiblement) avec l'eau lourde.

Deuxième partie

Configuration spatiale

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