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Les missions spatiales

Cassini dans les tumultes de l'atmosphère de Saturne. Document T.Lombry.

Satellites et sondes spatiales, les fleurons de la technologie (I)

L'astronautique c'est avant tout une science appliquée, c'est-à-dire des technologies et des sciences au service des hommes avec des résultats concrets et pourquoi pas des découvertes. En matière d'astronomie, les missions spatiales nous ont permis d'étudier le ciel et d'explorer le système solaire comme jamais auparavant. La moisson de découvertes est inimaginable.

Faisons d'abord un petit récapitalif des différents satellites placés sur orbite.

Exploration de la Terre et du ciel

Depuis 1957, la Russie, les Etats-Unis, l'Europe, le Japon, la Chine, l'Inde et Israël ont procédé à 8593 lancements d'engins spatiaux dont 300 sondes spatiales, soit une moyenne de 143 lancements par an.

Selon l'ESA, en mai 2022 environ 13100 satellites artificiels (12874 selon l'UNOOSA) avaient été lancés depuis 1957. Selon l'UNOOSA, plus de 8837 sont toujours en orbite dont environ 5800 étaient encore opérationnels à cette date soit 2.3 fois plus qu'en 2019.

Ces satellites sont placés en orbite basse (LEO, entre 180-2000 km d'altitude), moyenne (MEO, entre 2000 et 35786 km), haute (HEO, au-dessus de l'orbite géosynchrone), polaire, héliosynchrone (SSO), circulaire, elliptique, synchrone dont l'orbite géosynchrone (GEO) à 35786 km de distance. Pour rappel, sur l'orbite GEO un satellite effectue une révolution autour de la Terre exactement à la même vitesse que celle-ci, soit en 23h 56m 4.1s (c'est la durée du jour sidéral), ou 3074 m/s. Avec l'Internet par satellite, leur nombre devrait décupler dans les prochaines années. S'y ajoute une dizaine de classes d'orbites particulières dont différents types d'orbites synchrones et de transfert.

Une poignée de télescopes sont placés sur les différents points de Lagrange terrestres (sur L1 : LISA Pathfinder, Chang'e 5, SOHO, ACE, WIND, ATHENA, etc; L2 : WMAP, WIND, Herschel, Planck, Gaia, JWST, etc; L4 : OSIRIS-REx et STEREO A le visitèrent; L5 : STEREO B le visita, Spitzer, Hayabusa 2, etc), y compris sur les points de Lagrange Terre-Lune (L2 : THEMIS, Change'e 5-T1 et Queqiao).

Les points de Lagrange. Document Astronomy/Roen Kelly adapté par l'auteur.

Les premières missions confiées aux satellites furent d'assurer les télécommunications à longue distance (TELSTAR, INMARSAT, ASTRA, IRIDIUM, ...) puis d'observer la Terre, notamment dans le cadre des prévisions météorologiques (VANGUARD, TIROS, METEOSAT, GOES, NOAA, EUMETSAT, ...).

Certains satellites assurent des services de navigation (NAVSTAR, GLONASS, GALILEO, BEIDOU, ...), de télédétection (SPOT, IKONOS, ERS, TOPEX/Poseidon, SeaWiFS, GPM, SMAP...) ou sont spécialisés dans l'exploration de l'environnement géomagnétique (Van Allen, Cluster, Swarm, GEOS, ...) ou des relations Terre-Soleil (ISEE, ACE, DSCOVR, ...).

D'autres sont spécialisés en astrophysique (HST, SOHO, Trace, JWST), en astrométrie (HIPPARCOS, TOPEX-POSEIDON, GAIA, ...), des satellites sensibles aux rayons gamma (VELA, CGRO, INTEGRAL, SIGMA, ...), aux rayons X (UHURU, VELA 5B, EINSTEIN, ROSAT, NuSTAR, EXOSAT, CHANDRA, XMM-NEWTON, IXPE, ...), ultraviolet (TD-1A, ANS, ASTRON-1, EUVE, IUE, EIT, HUT, FUSE, GEE, ISAKI, ...), infrarouge (IRAS, ISO, SPITZER, AKARI, HERSCHEL, WISE, ...) et micro-onde (COBE, WMAP, Planck, ...) ou assurent des missions pédagogiques (certains Cubsats), militaires (essentiellement de l'espionnage) mais également des missions scientifiques comme l'étude de la haute atmosphère.

Notons que par mesure d'économie et pour offrir les données les plus complètes possibles, la plupart des observatoires orbitaux embarquent plusieurs instruments. Ainsi le Télescope Spatial Hubble peut fonctionner en optique et en UV (proche et lointain), SOHO fonctionne en optique et en UV, le télescope Herschel alias FIRST fonctionne en lointain infrarouge et en submillimétrique, SWIFT fonctionne en X, UV et optique et GAIA effectue de l'astrométrie mais également de la photométrie et de la spectrométrie.

Enfin, il y a les observatoires spatiaux dédiés à la recherche d'exoplanètes (Kepler, COROT, TESS, ...) parmi d'autres sujets (supernovae, matière noire, etc).

Au total, plus de 61% des satellites sont américains. Environ 60% des satellites sont utilisés pour les communications au sens large (commerciales, gouvernementales et militaires). Leur proportion va grandissant avec le développement d'Internet et des réseaux par satellite (cf. Starlink).

Mais les objets qui passionnent le plus le public font partie d'une classe à part : ce sont les sondes spatiales (parmi lesquelles Viking, Pioneer, Voyager, Giotto, Cassini-Huygens, Kaguya, Clementine et New Horizons) qui nous ont permis d'explorer toutes les planètes du système solaire et beaucoup d'autres objets restés longtemps mystérieux comme nous allons le découvrir.

A voir : WorldView, NASA

Images HD (2 km/pixel à 250 m/pixel) de la Terre prises par MODIS/Suomi

A gauche, l'Europe photographiée par Meteosat Seconde Generation (MSG) le 24 juillet 2019 à 12h00 TU lorsque la température oscillait entre 35 et 40°C. Le record de température fut franchi le lendemain avec plus de 41°C dans de nombreux pays. Voici l'image prise aujourd'hui par Meteosat. Au centre, une partie de l'Europe de l'ouest photographiée le 28 avril 2018 à 11h TU par MODIS. Voir l'image en très haute résolution (250 m/pixel) dans le lien ci-dessus. A droite, photo satellite infrarouge de la situation atmosphérique sur l'Europe le 24 mars 2018 à 00h TU avec la dépression Hugo sur la gauche (un ancien cyclone). Voir l'article sur les cartes météorologiques pour plus d'informations. Document Meteosat, NASA/MODIS et Eumetsat.

Au total, nous avons lancé plus de 300 sondes spatiales explorer le système solaire.

Avant de décrire les missions spatiales, nous devons expliquer une notion fondamentale, la navigation spatiale, sans laquelle ces robots et ces instruments scientifiques seraient inutiles.

Comment s'oriente une sonde spatiale ?

Tout bon navigateur en charge d'un projet de mission spatiale nous dirait que la précision d'une navigation dépend de quatre facteurs :

1. Le système de mesure qui permet de déterminer la position et la vitesse d'un vaisseau spatial

2. L'endroit où la mesure est prise

3. La précision du modèle du système solaire

4. Les modèles des mouvements de la sonde spatiale.

Toutes les sondes et télescopes spatiaux sont suivis par un réseau d'antennes (DSN pour la NASA, Estrack pour l'ESA, VTsDKS en Russie, etc.) qui assure le transfert des données, l'envoi des commandes et réalise les mesures de navigation. Pour obtenir une précision maximale, il faut tenir compte de l'effet Doppler, c'est-à-dire du décalage de fréquence provoqué par la vitesse de la sonde entre le signal émit par l'antenne terrestre et le signal renvoyé par la sonde spatiale et comparer de manière continue ces signaux à très haute fréquence avec une horloge atomique et les corriger en conséquence. De la sorte, les ingénieurs de navigation peuvent calculer la vitesse instantanée d'une sonde spatiale avec une précision dans la ligne de visée qui atteint 0.05 mm/s et une distance de 3 mètres par rapport à l'antenne terrestre.

Parfois ces corrections ne sont pas suffisantes et il faut ajouter des facteurs correctifs, notamment lorsqu'on observe un retard de Shapiro lorsque la sonde est optiquement près du Soleil ou d'un autre corps très massif où le signal électromagnétique subit une déviation suite à un effet relativiste.

Enfin, en cas de perturbations électromagnétiques intenses, le signal d'un satellite orbital (par exemple le réseau GPS) peut accuser un retard de 78 ns maximum équivalent à une imprécision sur site d’environ 20 mètres.

Pour les sondes spatiales, les navigateurs au sol peuvent augmenter la précision lors de l'approche finale d'un astre en complétant leurs mesures télémétriques grâce aux caméras embarquées. Ainsi la caméra de Cassini offre une précision de mesure de 3 microradians soit 3 km à 1 million de kilomètres de Saturne.

Voyager 1 approchant de l'étoile AC+79.3888 située à environ 17 années-lumière dans la Girafe. Document T.Lombry.

La deuxième composante nécessaire pour une navigation spatiale précise est la définition du centre inertiel et l'utilisation d'un système de référence absolu. En effet, les calculs de la trajectoire d'une sonde spatiale exigent l'utilisation d'un système de coordonnée inertiel (système dit galiléen) soit global pour les satellites en orbite circumterrestre (cf. le système GPS) soit astronomique pour les sondes spatiales calibré sur le centre de masse ou barycentre[1] du système solaire. Dans le cas des sondes spatiales, ce système de référence est considéré comme absolu et permet de repérer le système solaire et en particulier les coordonnées des antennes de réception terrestre par rapport aux étoiles considérées comme fixes à l'arrière-plan.

 Concrètement, la sonde spatiale dispose d'accéléromètres (qu'on utilisait déjà sur les V1 et V2) stabilisés par des gyroscopes. Il y en a un sur chaque axe de coordonnée. La précision de ces calculs qu'on appelle des éphémérides est d'environ 0.5 km et la sonde spatiale peut connaître l'emplacement de l'antenne de réception avec une précision inférieure à 5 cm.

Pour le réseau de poursuite, les informations de position (télémétrie) de la sonde permettent aux ingénieurs de convertir ces mesures en éléments orbitaux afin de connaître la position de la sonde spatiale par rapport à cet environnement, c'est-à-dire dans le système de coordonnée inertiel centré sur le centre de masse.

La troisième composante pour la navigation interplanétaire est la précision du modèle planétaire. La gravité est la force la plus impportante agissant sur un vaisseau spatial. Les éphémérides doivent tenir compte des interactions gravitationnellles de la plupart des astres du système solaire (le Soleil et  de toutes les planètes ainsi que des lunes lors d'un survol rapproché) au cours du temps, et résoudre ce qu'on appelle le problème à n corps. Grâce à des calculs très complexes, on peut par exemple connaître à l'avance la position de Saturne à une date précise avec une précision de quelques centaines de kilomètres. Lors de l'approche finale, la planète attirant fortement la sonde spatiale, leur positionnement doit être connu à quelques kilomètres près.

Enfin, la dernière composante prend tous ces éléments dynamiques qui sont entrés dans des modèles qui  tiennent compte des forces agissantes sur la sonde spatiale et de la dynamique orbitale pour estimer sa position exacte. En relevant régulièrement des mesures sur une période de temps, on peut calculer la vitesse et la position d'une sonde avec une précision spatiale inférieure à 1 kilomètre à la distance de Saturne. On peut ensuite évaluer si la sonde spatiale atteindra ou non son objectif sur base des prédictions des éphémérides.

A l'époque de Voyager 2, la précision "sur site" atteignit 30 km, la ponctualité de 10 minutes et l'orientation de son antenne fut précise à 0.05° près ! Pour une sonde spatiale qui se déplaçait à 50000 km/h (14 km/s) voire trois plus vite avec l'assistance gravitationnelle, c'est prodigieux.

Pour bien comprendre l'intérêt des sondes spatiales et des télescopes spatiaux, nous allons décrire deux observatoires orbitaux emblématiques qui intéressent de près les astronomes, le Télescope Spatial Hubble (HST) et le James Webb Space Telescope (JWST). Nous décrirons ensuite quelques missions spatiales qui ont marqué leur époque en nous révélant le visage réel de mondes jusqu'ici inconnus. Enfin, nous évoquerons les principales missions à venir.

Le Télescope Spatial Hubble (HST)

Sommet de l'art technologique à son époque, le HST fut construit conjointement par la NASA et l'ESA. Nous devons ce télescope orbital à une idée géniale de l’astrophysicien américain Lyman Spitzer de l’Université de Princeton qui imagina à la fin des années 1950 de construire un télescope spatial capable de détrôner le télescope de 5 m du Mont Palomar qui venait juste d’être mis en service en Californie. Il doit aussi sa conception à l'astronome Nancy Grace Roman (1925-2018) qui fut également l'une des premières femmes cadres travaillant à la NASA (cf. cette vidéo sur YouTube). Son nom rend hommage au célèbre astronome Edwin Hubble qui sonda l’univers profond et démontra le mouvement d'expansion de l’univers. On y reviendra.

Le coût faramineux  du projet fut difficile à vendre et son financement fut d'abord refusé par le House Appropriations Subcommittee (le sous-comité des crédits de la Chambre) en 1975. La NASA redoubla ses efforts de lobbying et obtint l'adhésion de l'ESA, qui partagea les coûts. Le Congrès américain accorda finalement une partie du financement à la NASA en 1977.

Prêt au début des années 1980, Hubble ne fut mis sur orbite que dix ans plus tard. C'est en fait le manque de responsabilité du Congrès américain, les erreurs de gestion de la NASA, le retard des négociations concernant les retombées européennes, le remplacement des lanceurs puis la catastrophe de la navette spatiale Challenger en 1986 qui postposèrent le lancement du HST.

Le premier télescope spatial au monde fut finalement lancé depuis la navette spatiale Discovery le 24 avril 1990. L'effort coûta 1.5 milliard de dollars rien qu'en coûts de construction, mais il y aura des coûts permanents – à la fois attendus comme les maintenances programmées et inattendus comme le remplacement des éléments endommagés ou tombés en panne (voir plus bas).

Ci-dessus à gauche, le lancement du Télescope Spatial Hubble (HST) de 2.40 m à partir de la navette spatiale Discovery (mission STS-31) le 25 avril 1990. Il fut placé sur une orbite circulaire à ~610 km d'altitude. A droite, aspect du HST en orbite durant la deuxième mission de maintenance en 1997. Ci-dessous, illustration du HST vu de face. Documents NASA/HST/STSCI, NASA et Hubblesite.

Hubble est directement dérivé des satellites espions Keyhole dont le miroir primaire mesurait 2.3 m de diamètre et dont la résolution à 300 km d'altitude est voisine de 10 cm au sol.

Hubble fut placé sur orbite le 24 avril 1990 à ~610 km d'altitude. Il consiste en un télescope Ritchey-Chrétien de 2.40 m de diamètre et d'un rapport focal de f/24. Rappelons que parmi les nombreuses conceptions optiques (télescope de Newton, Schmidt, etc), un télescope Ritchey-Chrétien présente l'une des meilleures corrections des aberrations optiques. Il se paye également au prix fort.

Son miroir primaire fut fabriqué à partir de titanosilicate ULE 7971 par Corning puis taillé et poli par Perkin-Elmer. Ce verre spécial à faible dilatation thermique présente des propriétés très proches du verre de silice ou de quartz et est 50 fois plus stable que le Pyrex.

Hubble fut construit pour sonder les confins de l'univers jusqu'à 15 milliards d'années-lumière et observer les étoiles individuelles dans les autres galaxies. Bourré d'électronique et de capteurs photosensibles, il permet d'observer l'univers dans une gamme de longueurs d'ondes inaccessibles du sol qui s'étendent de 110 à 1700 nm. Le gain en résolution est 5 fois supérieur aux meilleurs télescopes terrestres actuels et ses photocapteurs sont suffisamment sensibles pour détecter des objets célestes jusqu'à la magnitude +30 (entre 200 et 400 nm) lors des plus longs temps d'intégration (temps d'exposition). Le champ photographique théorique est de 28', l'équivalent de la pleine Lune.

Inspection du miroir en titanosilicate ULE 7971 de Corning destiné au Télescope Spatial Hubble par des ingénieurs de Perkin-Elmer en 1981. Document NASA/MSFC.

Hubble reçoit des commandes des ingénieurs au sol via ses antennes à faible gain (LGA) en forme de cône qu'il peut éventuellement utiliser pour transmettre des données en cas d'urgence. Grâce à ses deux antennes paraboliques à haut gain (HGA) situées sur des appendices de part et d'autre du télescope, Hubble transmet chaque jour environ 2.6 GB de données à un satellite-relais qui les envoie à la station au sol de White Sands du Nouveau Mexique qui les transfert au STScI de Baltimore et au centre spatial Goddard de la NASA (GSFC) 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 depuis 1990. Hubble dispose d'une puissance de ~2.1 kW et il débite ses informations à la vitesse de 1 MB/s, aussi vite (ou lentement) qu'une connexion ADSL.

Cette masse de plus de 11.7 tonnes et de 13.2 m de longueur est capable malgré son inertie, de pointer une étoile de 14.5e magnitude avec une précision de 0.07" ou 70 mas.

A l'époque, ces caractéristiques n'avaient jamais été égalées. Son prix non plus : lors de son lancement en 1990, Hubble avait déjà coûté 4.7 milliards de dollars en coûts de fabrication et gestion, pour un budget total qui atteignit 10 milliards de dollars en 2010. En 2022, on estimait son coût à 14.5 milliards de dollars actualisés (certains citent un montant de 16 milliards de dollars), ce qui en fait le télescope le plus cher du monde. Mais c'est le prix à payer pour faire des découvertes scientifiques majeures... Ceci dit, le JWST (voir plus) est tout de même moins cher et plus puissant.

Mais dès sa mise en orbite, le Hubble s'est révélé très déficient. Le jour de sa "première lumière", ce joyau brillait d'un éclat terne, les images étaient floues ou déformées. Les concepteurs n'en crurent par leurs yeux... Mais l'instrument étant à présent mis sur orbite, il n'était pas question de le ramener sur Tere; il fallait l'utiliser tel quel ou plutôt essayer de le réparer sur orbite. Dans le pire des cas, la NASA disposait d'un miroir backup.

On découvrit que le miroir primaire présentait un défaut de courbure; il était trop plat de 2 microns. Mais c'était suffisant pour rendre le télescope inutilisable. Ironiquement, Perkin-Elmer qui assura son polissage avait spécialement fait construire un outil d'analyse pour vérifier la courbure du miroir avec la plus haute précision. Mais il s'avéra que l'analyseur avait été mal réglé et donnait systématiquement des mesures fausses.

Les scientifiques décidèrent alors de remplacer plusieurs instruments. Fin 1993, un module optique fut mis en place pour corriger la "myopie" dont souffrait son miroir primaire mais sacrifia le photomètre. L’une des caméras fut également remplacée ainsi qu'un panneau solaire. Deux nouveaux spectrographes l'équipèrent en 1996, corrigés pour l'aberration de sphéricité et une nouvelle caméra planétaire à grand champ fut installée en 1999. Une quatrième visite de maintenance eut lieu en 2002 (STS-109) qui devait être la dernière. Ensuite, les gestionnaires du HST constatèrent que le télescope et son électronique donnaient des signes de fatigue de plus en plus fréquemment mais la NASA ne souhait plus assurer sa maintenance.

Toutefois, en 2004, le président Bush jr jugea que le Télescope Spatial Hubble n'était plus rentable. La 5e mission de maintenance prévue pour l'année suivante fut annulée. Certains invoquèrent des raisons de sécurité suite aux accidents survenus à deux navettes spatiales, des raisons économiques mais également politiques. En fait les priorités du président Bush Jr étaient ailleurs dans le système solaire (la Lune, Mars, etc) et toute économie était la bienvenue.

A voir : Hubble@NASA - Hubble site - The Hubble Heritage Project - STScI

Comparaison des images du champ stellaire de 30 Doradus dans le Grand Nuage de Magellan, à gauche photographié depuis le sol (résolution de 0.6"), au centre avant la maintenance du Télescope Spatial Hubble et à droite après remplacement de la caméra à grand champ WFC1 par la caméra WFC2. Document NASA/STScI.

Mais face aux milliers d'émails et de vidéos que des fans du Télescope Spatial Hubble envoyèrent au STScI pour demander que l'on sauve Hubble, in extremis, fin 2006 la NASA décida de lui offrir une nouvelle caméra lors de la 5e mission de maintenance qui restait à planifier. Finalement, les scientifiques eurent gain de cause et la NASA organisa la 5e mission de maintenance en mai 2009 (STS-125), juste avant l'arrêt définitif du programme des navettes spatiales américaines en 2011.

Au cours d'une mission qui dura 11 jours, les astronautes remplacèrent trois gyroscopes (RSU), six batteries, un détecteur d'orientation à haute résolution (FGS) et l'alimentation du spectrographe. Ils installèrent une nouvelle caméra CCD grand champ WFC3 (remplaçant la WFC2), un spectrographe (COS), une nouvelle protection externe, une nouvelle plate-forme de capture (SCM), un anneau de dockage à l'arrière du télescope et effectuèrent de menues réparations sur d'autres instruments.

Conçu au départ pour servir les astronomes durant une quinzaine d'années, suite à l'accident de la navette Columbia, la NASA décida que les maintenances d'Hubble ne seraient assurées qu'en cas d'extrême nécessité.

Au total, 16 astronautes se sont relayés dans l'espace pour assurer la maintenance d'Hubble au cours de 23 EVA distribuées sur 5 missions représentant 166 heures de travail, l'équivalent de plus d'un mois de travail à temps plein.

Hubble est aujourd'hui équipé d'une caméra proche infrarouge maintenue à -180°C, d'un spectromètre (NICMOS), d'une caméra de qualité "supérieure" (ACS) à 100 millions de dollars grande comme un frigo qui remplaça la caméra FOC, d'une deuxième caméra grand champ et d'observation planétaire (WFC3 remplaçant la WFPC2) ainsi qu'un système d'imagerie spectrographique (STIS). Plusieurs de ces instruments peuvent également servir de spectromètre. L'ensemble est complété par des détecteurs d'orientation à haute résolution (FGS) pouvant également être utilisés à des fins scientifiques.

Le télescope puise son alimentation électrique dans deux panneaux solaires dont les plaques photovoltaïques sont dérivées du système Comsat d'Iridium qui lui fournissent environ 2.1 kW de puissance.

Hubble représente un défi pour les chercheurs. Les programmes de traitement d'images n'ont jamais été aussi performants et les ingénieurs, opticiens ou électroniciens ont imaginé des solutions dignes des prouesses de Jules Verne.

A voir : L'histoire du HST en 10 chapitres

The Hubble Space Telescope 360° Tour, NASA/GSFC

L'héritage de HUBBLE

A 1500 années-lumière du Soleil, au centre de la nébuleuse M16 du Serpent dans la constellation de l'Aigle, cachée derrière les "Piliers de la Création", une nurserie d'étoiles est en gestation.

Aux confins de l'espace et du temps, dans la constellation du Fourneau, à plus de 10 milliards d'années-lumière se trouvent près de 10000 galaxies de 30e magnitude...

Documents NASA/ESA/STScI/NOAO et NASA/ESA/STScI.

Malgré ses défauts, Hubble laisse déjà loin derrière lui les observatoires au sol. Sa résolution actuelle est voisine de 0.04" d'arc à 500 nm (cf. NASA), largement supérieure à celle des meilleurs télescopes terrestres sans optique adaptative. Ses images planétaires sont comparables à celles prises par les sondes spatiales. Il a déjà permis de distinguer des détails sur la surface de Pluton et de séparer son satellite Charon, résolu l'amas globulaire M15 en étoiles et séparé en étoiles distinctes des amas qui au sol ressemblaient à des nébulosités. Il a déjà obligé les astrophysiciens à réviser certains de leurs modèles.

Ainsi, observé en ultraviolet l'amas globulaire 47 Tucana a révélé des centaines d'étoiles bleues supergéantes que l'on ne pensait pas trouver dans de tels amas; le coeur de la radiosource NGC 1068 a été séparé en 4 ou 5 noyaux; la nébulosité diffuse entourant le système binaire Eta Carinae a été résolue et confirme qu’il y a bien eu libération de matière, la nébuleuse M16 de l’Aigle a révélé de jeunes étoiles et des nuages protostellaires, autant de structures qui n'avaient jamais été observées jusqu'alors; selon toute vraisemblance un trou noir aurait été découvert dans le noyau de la galaxie active NGC 4261; enfin la caméra dédiée à l'observation des objets faiblement lumineux (FOC) a pu confirmer la présence d'hélium dans le jeune univers en analysant la lumière émise par des quasars très éloignés. Et les découvertes se succèdent.

Equipé de détecteurs ultrasensibles et de plusieurs caméras, les nouvelles observations de Hubble effectuées à des longueurs d'ondes inaccessibles à ce jour tant aux stations basées au sol qu'en orbite, en particulier dans le rayonnement UV, permettront aux astronomes de préciser la composition des planètes et des objets du ciel profond. Les résultats déjà spectaculaires ouvriront certainement de nouveaux champs d'investigations qui aboutiront peut-être à quelques découvertes essentielles, ainsi que l'affirme l'ESA : "A la suite des observations de Hubble, il est évident que nous allons devoir revoir notre conception de l'univers".

En 2014, Hubble s'est vu épaulé par le programme "Frontier Fields" dans le but d'étudier le ciel profond en haute résolution du rayonnement infrarouge (grâce au télescope spatial Spitzer) au rayonnement X (grâce au satellite Chandra) en passant par la lumière blanche (grâce à Hubble).

"Frontier Fields" a pour but de permettre aux astronomes d'étudier les amas de galaxies lointains grâce à l'effet d'amplification des lentilles gravitationnelles. Ce programme a déjà permis de découvrir quelques galaxies situées à plus de 13.4 milliards d'années-lumière (z > 11). On y reviendra.

A voir : Servicing Missions to Hubble(NASA)

A gauche, les astronautes Smith et Lee installant l'imageur spectrographique STIS dans le HST fixé dans la baie de la navette Discovery en février 1997 au cours de 2e mission de maintenance (mission STS-82). Voici une autre photo du HST prise au cours de la mission STS-61 le 9 décembre 1993 lors de la 1re mission de maintenance du télescope Hubble par Franklin Story Musgrave et Jeffrey A. Hoffman. Au centre, la salle de contrôle de vol de la navette spatiale (WFCR) située dans les bâtiments du centre de contrôle de mission de Houston (MCC) au JSC de la NASA photographiée le 19 mai 2009, le jour où le HST fut remis sur orbite après sa 5e maintenance (mission STS-125). A droite, le HST fixé dans la baie de la navette d'Atlantis au cours de sa 5e maintenance le 13 mai 2009 (mission STS-125). Documents Hubble Site, NASA, NASA/JSC et Hubble Site.

Le déclassement de Hubble fut prévu en 2019 mais tout compte fait il ne sera finalement désorbité qu'entre 2030 et 2040. Etant équipé d'un anneau de dockage pour le fixer à un module habité, dans les prochaines années la NASA pourrait organiser une dernière mission de maintenance en faisant appel à la capsule Crew Dragon de SpaceX où à l'un de ses concurrents. Ce télescope emblématique que les chercheurs comme le public ont beaucoup apprécié aura alors servi la communauté scientifique pendant 40 ou 50 ans, ce qui est très honorable pour un satellite.

Arrivé en fin de vie, Hubble sera soit désorbité et sera perdu corps et bien soit on jugera qu'il vaut la peine de le récupérer et l'exposer dans un musée, ce qui semble une meilleure solution vu ses excellents états de service et la célébrité qu'il a acquise. Mais pour cela, il faudra disposer d'une navette cargo capable de contenir un tel télescope.

Entre-temps, la NASA lança un projet plus ambitieux encore, le télescope spatial James Webb, JWST pour les intimes.

Le télescope spatial James Webb (JWST)

Le télescope spatial James Webb alias JWST rend hommage à James E. Webb, le deuxième administrateur de la NASA entre 1961 et 1968. Rappelons que ce projet fut initialement baptisé NGST (Next Generation Space Telescope). Le JWST fut construit par Northrop Grumman, une société bien connue pour ses "ailes volantes". La NASA est son principal partenaire avec une participation significative de l'ESA et de l'agence spatiale canadienne, le CSA. Près de 10000 ingénieurs et spécialistes ont participé à sa construction qui prit 10 ans de retard sur son planning initial.

Le JWST est un télescope optique équipé d'un miroir primaire segmenté de 6.5 m constitué de 18 segments hexagonaux en béryllium d'un poids total de 3.6 tonnes. Il est 3 fois plus léger que le HST mais 2.5 fois plus grand et capte 6 fois plus de lumière que le HST pour un coût actualisé 30% supérieur (plus de 10 milliards de dollars pour le JWST - 20% de plus que prévu - soit autant que le HST après 20 ans d'exploitation). Il est capable d'enregistrer des galaxies situées à plus de 13.5 milliards d'années-lumière, présentant un décalage Doppler z entre 20 et 30, soit jusqu'à 200 millions d'années après le Big Bang.

A voir : James Webb Space Telescope Launch (Full HD), SciNews, 25 déc 2021

James Webb Space Telescope Launch, NASA, 25 déc 2021

Le télescope James Webb ou l'après Hubble, ARTE, 28 déc 2021

A lire : NGST response (PDF de 768 KB, 1999)

A gauche, photo du miroir composé de 18 segments hexagonaux de 1.315 m de côté du télescope spatial James Webb (JWST) de 6.5 m de diamètre. Au centre et à droite, illustrations du JWST qui fut lancé le 25 décembre 2021 vers le point de Lagrange L2. Il est opérationnel depuis le 11 juillet 2022. Les astronomes espèrent compter sur lui pendant les 10 prochaines années voire bien plus longtemps s'il résiste aux conditions de l'espace. Documents NASA et JWST adaptés par l'auteur.

Le JWST fut lancé le 25 décembre 2021 par l'ESA et placé sur une orbite de halo autour du point de Lagrange L2 (derrière la Terre sur l'axe Soleil-Terre) pour une mission d'au moins 10 ans (si on en juge par la durée de vie des autres télescopes spatiaux, le JWST pourrait fonctionner 30 ou 40 ans).

Le point L2 est situé à 1.5 million de km de la Terre. Le JWST rejoignit le point L2 au terme d'un voyage de 35 jours à la vitesse d'environ 0.5 km/s. Compte tenu de toutes les vérifications, au total il fallut patienter 6 mois pour que le JWST soit opérationnel (cf. le planning approximatif de la NASA). Etant hors de portée des ravitailleurs spatiaux, une fois sur son orbite il fut abandonné à lui-même, uniquement radiocommandé à partir des antennes du réseau DSN via le bureau du STScI de Baltimore.

Rappelons que c'est également sur le point L2 que sera placé le futur télescope spatial Nancy Grace Roman de 2.40 m de diamètre de la NASA vers 2027.

Le JWST travaille essentiellement en infrarouge entre 0.6-32 µm ou microns de longueur d'onde, un domaine que les astrophysiciens ont beaucoup moins exploré que le domaine visible. Or nous savons aujourd'hui qu'il recèle beaucoup d'objets célestes excessivement massifs ou lumineux ainsi que d'innombrables jeunes galaxies situées à plus de 12 milliards d'années-lumière rayonnant principalement en infrarouge en raison de leur important décalage Doppler.

Le JWST a pour mission d'observer les protogalaxies, les amas de galaxies, l'environnement des trous noirs, les nuages dans lesquels naissent les étoiles et les supernovae notamment dans le but de préciser leur évolution ainsi que celle de l'Univers. Il est capable de détecter directement des exoplanètes proches de la taille de Jupiter et d'analyser leur atmosphère et de mesurer avec plus de précision les effets de la matière sombre intra-amas sur les lentilles gravitationnelles. Indirectement, grâce au pouvoir amplificateur des lentilles gravitationnelles, il devrait également pouvoir détecter des exoplanètes de la taille de la Terre à plus de 30000 années-lumière, mais ce n'est pas sa tâche principale.

Avec un aussi vaste éventail d'activités aussi ambitieuses, on comprend que le JWST représente le vaisseau amiral de l'astronomie infrarouge et sera utilisé par des milliers d'astronomes.

Pour parvenir à photographier et surtout résoudre ces objets célestes parfois excessivement pâles et petits (magnitude +32 et diamètre d'environ 1" d'arc), le JWST dispose d'une caméra au HdCdTe fonctionnant dans le proche infrarouge entre 0.6-5 microns (NIRCam), d'une deuxième caméra au silicium, d'un spectrographe proche infrarouge à haute résolution (NIRSpec) et d'un second spectrographe sensible à l'infrarouge moyen entre 5-28.3 microns (MIRI).

A voir : James Webb Space Telescope Orbit

A gauche, simulation du champ HUDF d'Hubble photographié avec la caméra WFC3/IR dans les trois couleurs de base (en haut) comparée à l'image qu'enregistrera le JWST (en bas). A droite, comparaison de la résolution des images infarouges prises avec les télescopes spatiaux Wise, Spitzer et une simulation du JWST. Documents STScI et NASA/Andras Gaspar adapté par l'auteur.

La technologie CCD est celle de fin 2003 (l'époque des APN Canon EOS 300D de 6.3 Mpixels et Nikon D2H de 4.1 Mpixels). Pour cette raison, les détecteurs CCD présentent une résolution de seulement 4 Mpixels (2048 x 2048 pixels) dans les spectres visible et proche infrarouge et de 1 Mpixel (1024 x 1024 pixels) dans l'infrarouge moyen (à cette époque il existait déjà des capteurs professionnels de 8 Mpixels). Plusieurs capteurs peuvent être combinés pour augmenter le champ photographique.

En raison de son miroir 2.7 fois plus grand que celui du HST, le JWST est 7.3 fois plus lumineux. Alors que Hubble dermande un temps total d'intégration de 16 jours pour observer les régions les plus éloignées de l'Univers, en raison de son plus grand diamètre le JWST obtient le même résultat 64 fois plus vite soit en 6 heures, avec l'avantage de pouvoir pénétrer à travers les nuages de poussière.

La résolution angulaire du JWST est d'environ 0.1" à 2 microns. Le télescope est protégé du rayonnement direct du Soleil ce qui permet de le refroidir jusque 45 K (-228°C). Les instruments fonctionnant dans le proche infrarouge sont refroidis jusque 37 K (-236°C) et ceux dédiés aux infrarouges moyens jusqu'à 6.7 K (-266.4°C) afin de réduire au maximum le bruit électronique (cf. les cryocoolers).

Selon un communiqué de la NASA publié le 8 juin 2022, le JWST subit ses premiers impacts de micrométéorites. Selon Lee Feinberg, responsable des éléments optiques du JWST au centre Goddard de la NASA, le télescope a subi quatre petits impacts ainsi qu'un impact plus important qui toucha l'un des 18 segments du miroir principal. Cependant, la NASA confirma que ces impacts n'allaient pas modifier significativement le calendrier des premières images de qualité scientifique (obtenues le 11 juillet 2022).

Si ces impacts étaient attendus, certains sont tout de même plus importants que prévu et attirent l'attention sur les dangers de l'espace, et sur le fait que la durée de vie utile du JWST pourrait être plus courte que prévue.

Il existe plusieurs façons de minimiser les effets des impacts météoritiques sur les opérations du télescope. Les ingénieurs peuvent ignorer des parties de ses miroirs pour minimiser les effets, ce à quoi ils ont déjà dû recourir pour le segment qui fut frappé la première fois. L'équipe peut également manœuvrer le télescope pour éviter les débris entrants, un peu comme le fait la station ISS.

Premières images

La première image mise en ligne par le Webb Space Telescope le 11 juillet 2022 à 21h TU est présentée ci-dessous. Il s'agit du champ profond de l'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327 (SMACS 0723 en abrégé) situé dans la constellation du Poisson volant (Volans) à z = 0.44 soit ~4.6 milliards d'années-lumière photographié par la caméra proche infrarouge NIRCam du JWST dans la bande de 0.6 à 5.0 microns.

Cet amas de galaxies fut découvert en 2011 dans le cadre du sondage Planck de l'ESA et est également catalogué PLCKESZ G284.99-23.7. C'est actuellement l'image la plus profonde du ciel jamais prise.

A gauche, la première image prise par la caméra NIRCam du JWST publiée par le Webb Space Telescope le 11 juillet 2022. Il s'agit de l'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327. Voici l'image HD (5 MB). Il s'agit d'une image proche infrarouge composite en couleurs arbitraires (filtres F090W, F150W = bleu; F200W, F277W = vert et F356W et F444W = rouge). A sa droite, l'interprétation de l'analyse du champ. Les cercles cyan montrent les positions de plusieurs images identifiées dans le modèle pré-JWST et les cercles verts sont les images multiples nouvellement identifiées avec le JWST. La ligne rouge délimite la ligne critique pour une source à z = 10. Document G.B. Caminha et al. (2022). A droite du centre, trois champs profonds extraits de l'image par Alson Wong comparés à ceux pris à l'époque par le Télescope Spatial Hubble. L'amélioration apportée par le JWST est très significative et révèle des détails sous le seuil de détection et noyés dans le bruit électronique sur l'image du HST. A droite, l'image de SMACS 0723 obtenue par le HST.

C'est une image composite représentant un temps d'intégration total de 12.5 heures réparties sur plusieurs semaines. On distingue clairement les effets d'une puissante lentille gravitationnelle générée par la grande galaxie spirale barrée située au centre de l'image surnommée "Sparkler" (la scintillante, dans le sens qu'elle brille comme un diamant) qui déforme l'image de certaines galaxies et grossit les images des galaxies lointaines situées à l'arrière-plan entre z = 13 et z = 20 qui autrement seraient invisibles (cf. les galaxies les plus lointaines).

Ci-dessous les autres images publiées le même jour de la nébuleuse de la Carène (NGC 3324), le spectre de l'atmosphère de l'exoplanète géante gazeuse WASP 96b, la nébuleuse planétaire NGC 3132 et le Quintette de Stefan. Etant donné que le JWST observe le ciel dans l'infrarouge, les images des nébuleuses et des galaxies révèlent surtout la poussière présente dans ces objets.

A gauche, une photo générale de la nébuleuse de la Carène, NGC 3324, située à 7600 a.l. prise par Harel Boren avec un astrographe Officina Stellare Riccardi-Honders Veloce RH de 200 mm f/3. La vignette au-dessus à droite est une image prise par le télescope de 2.2 m de l'ESO à La Silla. En dessous à droite, la zone photographiée par la caméra NIRCam du JWST, agrandie au centre et à droite. L'image au centre est un composite pris sous six filtres proche infrarouge différents (F090W, F187N, F200W, F335M, F444W et F470N) et couvre un champ de 16 a.l. x 9 a.l. Cliquez sur l'image de droite pour lancer une animation montrant la différence de résolution entre le HST et le JWST (.GIF de 4.1 MB). Documents Webb Space Telescope.

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A gauche, la nébuleuse planétaire NGC 3132 en infrarouge proche (à gauche) et en infrarouge moyen (au centre, révélant le système binaire) photographiée par le JWST. A droite, une image prise par le HST. Documents Webb Space Telescope.

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A gauche, le Quintette de Stefan photographié par la caméra NIRCam du JWST. Voici l'image composite NIRCam+MIRI. A titre de comparaison, voici une image amateur du champ avec la galaxie NGC 7331 prise avec un télescope Schmidt-Cassgerain Meade LX50 de 200 mm de diamètre. Au centre, une photo des anneaux de Neptune prise par le JWST en septembre 2022. Voici l'image sans légendes. A droite, le spectre de l'exoplanète gazeuse géante (0.49 Mj) WASP 96b. Documents Webb Space Telescope.

Controverse sur l'étalonnage

Selon Martha Boyer, astronome au STScI qui dirigea l'étalonnage du JWST, les étalonnages initiaux furent approximatifs : "Nous savions que ce ne serait pas parfait dès le départ." Si la procédure d'alignement des segments hexagonaux du miroir et des instruments qui dura six semaines s'est bien déroulée, les photocapteurs du télescope n'avaient pas été soigneusement calibrés lorsque les premières données furent publiées en juillet 2022. Une grande partie du problème vient du fait que le JWST est un nouveau grand télescope dont les détails sont encore en cours d'évaluation.

Tous les télescopes doivent être calibrés, même les bases de données d'objets célestes d'un télescope amateur selon la monture ou le capteur photosensible utilisé. Dans le cas du JWST, cela se fait généralement en observant une étoile bien connue et brillante comme Véga. Les astronomes examinent les données collectées par les divers instruments du télescope (NIRCam, NIRSpec, NIRISS, MIRI, FGS) telles que la luminosité de l'étoile dans différentes longueurs d'ondes - et les comparent aux mesures de la même étoile provenant d'autres télescopes et aux normes de laboratoire.

Travailler avec les données du JWST implique plusieurs types d'étalonnages, mais la controverse concernait l'un des principaux instruments du télescope, sa caméra proche infrarouge NIRCam. Dans les six mois qui suivirent le lancement du JWST, les chercheurs du STScI ont calibré la NIRCam. Mais compte tenu du planning et des exigences imposées au JWST, ils n'avaient que le temps de le pointer sur une ou deux étoiles d'étalonnage et d'enregistrer des données à l'aide d'un seul des dix photodétecteurs de NIRCam. Ils ont ensuite estimé les étalonnages des neuf autres photodétecteurs. Selon Boyer, "C'est là qu'il y avait un problème. Chaque photodétecteur est un peu différent."

A voir : NASA's Webb Reaches Alignment Milestone, Optics Working Successfully, JWST, 2022

Images de l'étoile 2MASS J17554042+6551277 située à ~2000 années-lumière prise respectivement sous filtre rouge (gauche) et RGB (centre) pour évaluer l'alignement du système optique du JWST. La caméra NIRCam est si sensible qu'elle enregistra également les étoiles et les galaxies situées à l'arrière-plan. Les aigrettes de diffraction sont provoquées par la juxtaposition des 18 segments hexagonaux du miroir du télescope. A droite, le champ de l'image originale. L'image occupe plus de 140 MB sur disque (ici réduits à 222 KB). Document NASA/STScI.

L'étalonnage est particulièrement difficile pour les projets qui nécessitent des mesures précises de la luminosité des objets astronomiques, tels que les galaxies lointaines et faibles.

Pour essayer de normaliser toutes les mesures, le STScI travailla sur un plan détaillé pour pointer le JWST vers plusieurs types d'étoiles bien connues et les observer avec chaque détecteur dans chaque mode pour chaque instrument du télescope. Karl Gordon, astronome au STScI qui participe à cet effort, a déjà averti ses collègues que "cela prendra un certain temps."

Le STScI effectua des mises à jour des étalonnages du JWST entre octobre et décembre 2022. Ces mises à jour réduisirent significativement (un facteur 10) les incertitudes sur les étalonnages du télescope. La précision des données continuera de s'améliorer au fil des mises à jour.

Selon Gabriel Brammer, astronome à l'Université de Copenhague qui développa des étalonnages indépendants pour le JWST, "Nous avons réalisé à quel point ce traitement de données est une situation continue et en développement, simplement parce que l'observatoire est nouveau et si jeune."

Le problème de l'étalonnage du JWST a déjà eu des conséquences sur les publications en cours et créa des frustrations chez les astronomes. En effet, quelques jours après la première publication de données du JWST, des articles non validés par des pairs sont apparus sur le serveur arXiv, signalant notamment plusieurs candidates pour la galaxie la plus éloignée jamais enregistrée (cf. les galaxies les plus lointaines). Ces études reposaient sur la luminosité de galaxies mesurée par le JWST à différentes longueurs d'ondes. Puis, le 29 juillet 2022, le STScI publia un ensemble d'étalonnages mis à jour qui étaient sensiblement différents de ceux avec lesquels les astronomes avaient travaillé ! Cela signifie que toutes les publications scientifiques publiées mi-2022 relatives aux objets du ciel profond fondées sur les données du JWST devaient être révisées. Cela concernait plus de 50 articles.

Faute de mieux, pendant plusieurs mois des astronomes ont bricolé des solutions de contournement pour pouvoir poursuivre leurs analyses et publier leur article académique. Des astronomes ont notamment revu leur article décrivant les galaxies les plus lointaines basées sur les données du JWST. Selon Athan Adams, astronome à l'Université de Manchester au Royaume-Uni et ses collègues qui avaient justement publié un article sur le sujet en juillet 2022, "Tout le monde est revenu et jeta un deuxième coup d'œil. Finalement, ce n'est pas aussi grave que nous le pensions." En effet, beaucoup des candidates de galaxies les plus lointaines semblent toujours être à ou près de la distance initialement estimée. Mais d'autres études préliminaires, telles celles qui tirent des conclusions sur l'Univers primitif en comparant un grand nombre de galaxies peu lumineuses, pourraient ne pas résister à l'épreuve du temps. D'autres domaines de recherche, comme la planétologie est moins touchée car elle dépend moins de ces mesures préliminaires de luminosité.

À long terme, les astronomes sont sûrs de régler l'étalonnage et de proposer des données fiables aux chercheurs. Mais pour l'instant, selon Boyer, "je dirais aux gens de procéder avec prudence - quels que soient les résultats qu'ils pourraient obtenir aujourd'hui, ils pourraient ne pas être tout à fait exacts dans six mois, lorsque nous aurons plus d'informations. C'est juste une sorte de "Procédez à vos risques et périls"."

Visibilité du JWST

Pour les amateurs équipés d'un instrument d'astronomie, bien que le JWST soit situé à 1.5 million de km soit 3000 fois plus loin que le HST, en 2022 on pouvait l'observer telle une faible étoile d'une magnitude apparente variant entre 14 et 16 dans un télescope d'au moins 400 m de diamètre. Mais depuis 2023, sa magnitude est au maximum de +19.5 et n'est accessible que par voie photographique au foyer d'une lunette ou d'un télescope. Vous pouvez localiser le JWST en utilisant les applications Stellarium, The Sky Live ou N2YO. On reviendra sur l'observation des satellites artificiels y compris du JWST.

Avec les télescopes Spitzer, SIM et le JWST, les astronomes disposent de trois fleurons technologiques avec lesquels ils espèrent observer les contrées les plus reculées de l'Univers à la recherche de nos origines y compris détecter les signatures d'une éventuelle vie extraterrestre (cf. le dossier consacré à la bioastronomie).

Xuntian, le télescope spatial chinois

Enfin, en 2024 la Chine placera sur orbite un télescope spatial nommé Xuntian (le croiseur des cieux) ou CSST (Chinese Space Station Telescope) de 2 m de diamètre offrant une résolution similaire au HST mais avec un champ 300 fois plus étendu (1.1° x 1.1°). Il sera placé à 400 km d'altitude, sur la même orbite que la station spatiale chinoise Tiangong (le Palais céleste) qui fut terminée en 2022 afin de pouvoir plus facilement l'alimenter en ergol et assurer sa maintenance. Xuntian devrait servir les astronomes durant 10 ans.

Prochain chapitre

L'exploration du système solaire

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[1] Si sur Terre la position d'un satellite ou d'un télescope spatial ne dépend que de sa localisation géographique (cf. le système GPS), une sonde spatiale doit également tenir compte de la position de la Terre dans l'espace, par rapport au centre de masse du système solaire, ce qu'on appelle le barycentre. Si dans le cas du système Terre-Soleil, le barycentre est presque au centre du Soleil, dans le cas du couple Jupiter-Soleil, étant donné que Jupiter est 318 fois plus massif que la Terre, le barycentre se trouve... au-delà de la surface du Soleil ! Ceci explique pourquoi vu à la verticale, la position du Soleil n'est pas fixe mais gravite autour de son centre de masse (cf. cette animation vue de haut et vue de face). C'est le même effet qui permet de savoir si une étoile est escortée ou non par une exoplanète car elle déplace le centre de masse.


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