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La théorie de la Relativité

Le cadre historique

Le cadre historique (I)

La plus ancienne trace historique qui traite de la relativité remonte aux Grecs, à un âge où la philosophie occupait une place importante dans l'érudition des penseurs[1]. Les textes les plus anciens remontent à l'école de Pythagore et de son élève Philolaos, au Ve siècle avant notre ère.

Les philosophes grecs en particulier, ne pouvaient pas s'expliquer le mouvement des corps. Où suis-je ? Est-ce la Terre où le Soleil qui se déplace ? Comment le mouvement s'imprime-t-il dans la matière ? Et si la pomme tombe de l'arbre, pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la terre ? Face à des questions de prime abord naïves, les réponses paraissent forts simples puis finalement... elles s'avèrent très compliquées. Dans les pages qui suivent nous allons essayer de formaliser ces concepts.

Aristarque puis Ptolémée[2] avaient déjà remarqué que si la Terre tournait autour du Soleil, tous les astres continueraient de se lever à l'Est et de se coucher à l'Ouest. Par rapport au système géocentrique, le système héliocentrique apportait un nouveau point de vue, mais il ne permettait pas de clarifier les phénomènes. Dans ces conditions, beaucoup de savants ont continué à supporter le système géocentrique, quitte à "sauver les phénomènes" par des explications ad hoc, quand cela était possible.

L'Histoire rapporte qu'au XVIIe siècle Galilée fut jugé par l'Inquisition pour avoir soutenu la célèbre phrase "Eppur si muove !" (Et pourtant elle tourne !) aujourd’hui gravée sur son mausolée. Mais ses détracteurs lui répondirent illico que si la Terre était bien en mouvement, pourquoi ne ressentions-nous pas son déplacement ? Objection difficile à prouver.

Même aujourd'hui, avec la meilleure volonté du monde, sans référence aux étoiles nous avons du mal à croire que la Terre se déplace. Cette affirmation a toujours été en contradiction avec le bon sens et Ptolémée rapporte cette impression dans son Almageste : "Ce mouvement [devrait être] extrêmement violent et d'une vitesse insurpassable [...]. Les corps tombant en ligne droite ne descendraient pas en perpendiculaire jusqu'au lieu qui leur fut destiné, lieu qui, entre-temps se serait retiré du fait d'un mouvement si rapide". Ces tentatives d'explications mettaient le doigt sur un principe élémentaire de relativité, qui sera énoncé d'une façon beaucoup plus riche... en 1904 par le mathématicien et philosophe français Henri Poincaré.

Les progrès scientifiques furent si lents qu'il fallut attendre la Renaissance pour que prévale enfin la trajectoire parabolique sur les mouvements "naturels", rectilignes ou circulaires qui dominaient la pensée aristotélicienne. Il fallut encore patienter pour que la mécanique céleste dévoile les lois qui régissent la Nature pour affirmer que nous étions bien en mouvement, en rotation sur nous-même ainsi qu'autour du Soleil. 

Au XVIIe siècle, les sciences ont franchi une étape cruciale de leur développement, en insistant sur l'expérimentation comme préalable à la connaissance et sur le fait que toute théorie devait être justifiée par l'ultime fait observé. On y reviendra à propos de l'objectif de la Science. Aujourd'hui encore cette méthode scientifique prévaut, signe d'une saine intelligence. Voyons en détail comment tout cela a débuté.

La philosophie naturelle d'Aristote

Dans la Grèce Antique, Aristote (384-322 avant notre ère) fut l'initiateur de la philosophie naturelle, une discipline philosophique qui cherchait à expliquer le monde sensible. Ses successeurs l'appelleront la métaphysique[3]. Elle s'opposait aux mathématiques, incluant l'astronomie (alors mêlée à l'astrologie), qui s'attachaient à prédire le cours des phénomènes célestes. 

Aristote considérait que la Nature est déterminée par une finalité systémique. Reconnu comme le "père" de nombreux philosophes, il concevait l'Univers comme une hiérarchie d'êtres que l'on pouvait classer, entre lesquels on pouvait définir des analogies pour découvrir des lois générales.

Pour tenter d'expliquer le monde sensible, Aristote[4] imaginait que tout changement était l'effet d'une cause. Il suivait en cela la philosophie de Platon décrite dans le Phédon. L'existence d'un objet, que ce soit une planète ou une sculpture répondait à 4 causes :

- Matérielle : l'objet existe parce qu'il est constitué d'une matière bien précise

- Efficiente : la force exercée par l'outil ou le milieu ambiant (poussée ou traction)

- Formelle : ce en quoi l'objet est changé, l'objet achevé

- Finale : l'idée que le sculpteur a de la statue, la beauté de l'objet, le lieu où doit se rendre l'objet.

Mais tous les phénomènes n'obéissaient pas aux quatre causes. Seule la physique les utilisait toutes quatre, quoique bien souvent les aristotéliciens expliquaient les phénomènes physiques à partir des seules causes formelles et finales. Mais la plupart des phénomènes fugitifs restaient inexpliqués. Aristote parlait alors de cause efficiente, de changement "violent". Si le phénomène restait réticent à toute explication, Aristote considérait l'ordre naturel comme l'ultime recours : les causes formelles expliquaient tant l'existence de l'eau, du feu ou la trajectoire des planètes. Entre d'autres termes, l'objet présentait ses caractéristiques parce que c'était la seule forme d'équilibre à l'endroit où il se trouvait. Mais cela prouve aussi qu'Aristote n'a jamais considéré que l'état statique.

En corollaire, aux yeux d'Aristote l'ordre naturel présentait trois vérités fondamentales :

- La Terre est au centre du Monde. Cet ordre naturel dépend de la seule cause formelle car la forme de la Terre ne peut être définie que dans cette position. Le système géocentrique est une conclusion hâtive intimement liée à notre perception du monde. A sa décharge il faut bien reconnaître que le sens commun est en sa faveur : tout indique en effet que la Terre est fixe et que le Soleil tourne autour de nous... Cette tautologie est tellement vraie qu'elle n'en deviendra ridicule... qu'au XVIIe siècle avec l'invention de la lunette de Galilée[5]. Ce sentiment d'une faute logique sera dénoncé, notamment grâce aux travaux de Copernic, Galilée et de Kepler. Que le public les entende !

Pour Aristote tout changement était l'effet d'une cause, matérielle, efficiente, formelle ou finale. Repos et mouvement étaient deux notions antagonistes, le repos étant une finalité du mouvement.

- Les corps lourds tombent plus rapidement que les corps légers. Ici également, il paraît évident que la chute des corps soit fonction de leur "poids". Cette explication naturelle prouve aussi que la personne qui émet cette idée n'a jamais fait sérieusement l'expérience, à l'instar d'Aristote. 

Au VIe siècle après Jésus-Christ, Jean Philopon, un platonicien vivant à Alexandrie avait déjà dit dans une critique de la physique d’Aristote que deux corps lâchés d'une même hauteur, dont l'un était beaucoup plus lourd que l'autre tombaient pratiquement dans le même temps (nous savons que les différences sont imputables aux frottements dans l'air). On traduirait aujourd'hui cette idée par le principe d'équivalence (entre gravitation et inertie), nous y reviendrons, film à l'appui.

- Enfin, tous les corps de l'univers ont une place définie par nature, vers laquelle ils tentent de revenir naturellement s'ils s'en éloignent. Ce "lieu propre" dont parle Aristote est synonyme de repos. D'autres phénomènes sont en rupture avec cet ordre naturel, ils sont dès lors animés d'un "mouvement violent". Mais aucun objet ne peut présenter les deux mouvements à la fois[6]. Selon Aristote, le mouvement est une propriété de la matière; un corps est soit au repos, soit en mouvement, tout comme l'eau est soit liquide soit solide. Le mouvement est donc une modification de la structure interne des corps. Etant donné qu'il n'existe pas de mouvement sans cause, ce changement contre nature doit être induit par un "moteur". Cette cause exerce une action sur le mouvement, une poussée (pression) ou une traction. 

La physique d'Aristote stipule que tous les corps du ciel tournent autour du centre du Monde, la Terre. Quant aux corps terrestres, altérables par essence, ils sont soumis au changement, au mouvement. Cette altération physique permet de les "translater" d'un endroit à un autre, jusqu'à ce qu'ils soient à l'état de repos. Repos et mouvement sont donc deux notions antagonistes, le repos étant une finalité du mouvement.

Mais Philopon de nouveau s’insurgea en faux. Il estimait déjà que les projectiles se déplaçaient dans l’air, non pas en vertu des mouvements de l’air, mais parce qu’ils avaient reçu initialement une certaine impulsion.

Les événements du quotidien suscitaient également la curiosité des philosophes. Les disciples de Leucippe et surtout de Démocrite (Ve siècle avant notre ère) se demandaient notamment quel phénomène cachait la transformation de l'eau en glace ? Les deux substances ayant pratiquement les mêmes propriétés, n'y avait-il pas sous ces phénomènes apparemment sans liens, une essence invariable, des particules insécables qui ne changeaient que spatialement de position ? Cette conception atomiste est déjà toute différente de celle enseignée par Aristote. Selon eux les atomes étaient lisses ou crochus - question d’affinité, le terme nous est resté - et séparés par le vide.

L'archer d'Aristote souleva lui aussi une profonde réflexion. Comment la flèche une fois lancée se maintenait-elle dans l'air ? Le mouvement une fois enclenché, quel "moteur" la soutenait-elle? La doctrine atomiste ne se contentait pas d'observer ou de poser ses théories. Elle cherchait déjà une explication. L'origine du monde était une nécessité régie par des lois.

Ces quelques remarques prémonitoires anticipaient les idées de Galilée et rompirent définitivement avec la physique d’Aristote qui distinguait le monde supralunaire d’essence divine du monde terrestre et qui postulait l’éternité du mouvement.

La nature du vide

Selon les philosophes grecs, le monde supralunaire ne participant pas aux mouvements verticaux des corps terrestres[7], les espaces situés au-delà de l'atmosphère et de l'orbite de la Lune devaient être rempli d'un fluide subtil qu'Aristote dénomma l'éther. Il s'agissait d'une substance impondérable et élastique. Notons en passant que Philopon n’était pas de cet avis et considéra que les étoiles n’étaient pas constituées d’éther mais bien de matière ordinaire. Mais comment pouvait-il le prouver ? 

A défaut de preuve probante et puisque de mémoire d'homme aucun changement ne s'y était jamais produit[8], ce fluide devait être inaltérable et éternel. Il était dynamique, constitué de particules capables de réactions mécaniques (dynamiques et élastiques) pouvant modifier le cours des astres qui s'y trouvaient. 

Les savants d'alors s'efforçaient de relier tous les événements de la nature à des forces instantanées qui s'exerçaient en lignes droites entre des masses invariables. Les points étaient matériels et cet aspect fini, discontinu de la matière imposait une "action à distance". Cela ne posait pas trop de difficultés dans une conception mystique de la nature. Une force "occulte" ou quelque autre dieu pouvait très bien expliquer cette action.

Que cela ne nous émeuve pas à outre mesure. Rappelons qu'il faudra attendre Descartes pour récuser cette idée tandis que Newton se permettait encore de faire intervenir Dieu quand sa mécanique céleste grippait. 

Pour les esprits de cette époque cette conception n'était pas si difficile à accepter, d'autant que la physique était encore à ses balbutiements. Mais ne cessant d'affirmer que l'éther était une réalité "en soi" - Aristote n’avait-il pas dit “la Nature a horreur du vide” - les physiciens durent concevoir des théories très sophistiquées pour qu'elles se plient aux exigences de dame Nature. C'est ainsi qu'au XVIIe siècle, le Hollandais Christian Huygens, contemporain de Galilée regardait ce fluide impondérable comme le support de la lumière. Il eut été contradictoire de penser que l'espace put être vide. Dans ces conditions, la lumière n'aurait "mécaniquement" pas pu se propager. Il y avait donc une interaction entre l'éther "luminifère" et la matière. Paradoxalement, l'éther ne semblait pas influencer les mouvements des astres. Progressivement, l'action à distance développée pour la mécanique newtonienne devint une notion familière. On la retrouva en mécanique, en électricité et en chimie. En poussant jusqu'au bout l'idée de l'éther, les physiciens du XIXe siècle durent inclure toujours plus d'artifices pour expliquer le comportement étrange de la matière. La théorie devint tellement complexe que certains physiciens doutèrent de ses propriétés mécaniques. La théorie put être si simple... Cette prise de conscience débuta avec Galilée.  

Prochain chapitre

De la statique à la dynamique

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[1] Consulter le dossier consacré à l'histoire de l'astronomie.

[2] C.Ptolémée, "Almageste", I7 et cité dans le traité de Copernic "Des Révolutions des Orbes Célestes", 1543.

[3] Métaphysique vient du grec "méta ta physica, c'est-à-dire "à coté de la physique".

[4] Aristote, "Physique" (Ouvrage écrit par ses successeurs), trad.H.Carteron, Les Belles-Lettres, 1926/1956.

[5] S/dir Mgr P.Poupard, “Galileo Galilei - 350 ans d’histoire”, op.cit., p207. A propos de la place du Soleil, dans un sondage réalisé en 1981, il apparut qu’un tiers de la population française vivait encore dans une vision du monde précopernicienne ! Encore aujourd’hui, au cours de jeux télévisés, on est ébahi d’apprendre que 56% des Français dont un candidat ayant une formation supérieure pensent que le Soleil gravite autour de la Terre (« Qui veut gagner des millions », TF1, 13 juillet 2006) !

[6] Jusqu'au XIVe siècle la trajectoire d'un boulet de canon était représentée en deux étapes : un mouvement "violent" rectiligne provoqué par sa propulsion suivi dès l'instant où l'élan est épuisé par un mouvement de chute verticale. La trajectoire est ainsi brisée à son sommet. Plus réaliste, l'école scolastique imagina à cette époque la première trajectoire courbe : départ rectiligne, courbure au sommet et chute verticale.

[7] Selon Aristote, l'air et le feu avaient tendance à monter tandis que l'eau et la terre avaient tendance à tomber. Les quatre éléments se déplaçaient dans un plan vertical.

[8] Remarque uniquement valable en occident - et pour l'Europe - car les archives d'Extrème-Orient abondent en descriptions d'astres "invités" (novae, comètes, météores).


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