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La Voie Lactée

La rotation différentielle de la Voie Lactée (III)

Il faut remonter aux environs de 1922 et des travaux de l'astronome hollandais Jacobus Kapteyn notamment pour que les astronomes découvrent que la Voie Lactée est un système dynamique dont la forme et les orbites de la matière obéissent à un équilibre global.

Kapteyn proposa l'un des premiers modèles de distribution des étoiles dans l'espace en appliquant le fameux théorème du viriel inventé par Clausius en 1870. Petit rappel sans démonstration mathématique, rassurez-vous.

Le théorème du viriel concerne les notions d'énergie potentielle et d'énergie cinétique d'un système fluide, qu'il s'agisse par exemple d'un gaz chaud ou d'une galaxie. Appliqué en astronomie, il définit l'équilibre gravitationnel d'un système, reliant son potentiel gravitationnel et son énergie cinétique. Concrètement, la forme des orbites des étoiles dépend des forces que le système galactique considéré comme un tout excerce sur ces étoiles. Le théorème du viriel permet par exemple de calculer la masse ou la quantité de chaleur d'une étoile ou d'un gaz en contraction et la quantité d'énergie utilisée à d'autres fins.

En résumé, le viriel représente la somme des forces agissantes en divers points et plus précisément l'énergie cinétique moyenne du système. Dans le cas qui nous occupe, en pratique on ne calcule que la vitesse radiale des étoiles (ou des amas) mais c'est suffisant pour calculer la masse des galaxies (ou des amas).

Kapteyn avait montré que la Voie Lactée pouvait être représentée par un système dynamique dans lequel il existe un équilibre entre le champ gravitationnel des étoiles et leurs mouvements aléatoires et de rotation. Son modèle était composé d'un disque stellaire aplati de 15 kpc x 3 kpc soit 30 à 50% plus petit que la taille réelle de la Voie Lactée, avec un Soleil décentré et une décroissance rapide de la densité stellaire vers l'extérieur. Il présumait également que l'espace entre les étoiles était transparent. En réalité ce modèle n'était pas conforme à la réalité.

Sur base de ce modèle et du théorème du viriel, en 1922 Kapteyn calcula que la vitesse de libération de la Voie Lactée était de 20 km/s. Or en 1927, en étudiant les amas globulaires de la Voie Lactée sur lesquels nous reviendrons, l'astronome suédois Bertil Lindblad avait calculé une vitesse de 350 km/s.

En fait, Kapteyn ignorait l'effet généré par l'extinction interstellaire évoqué précédemment, ce qui sous-estima tous ses calculs de vitesse. Après le décès de son mentor, Jan Oort (celui du fameux "nuage de Oort") reprit son travail pour terminer sa thèse doctorale et introduisit en 1927 la "constante de Oort" (il y en aura deux) qui permit de calculer précisément la vitesse radiale des étoiles dans le voisinage du Soleil (cf. la matière sombre).

Grâce à cette invention, Oort découvrit la vitesse de rotation différentielle de la Voie Lactée en 1927.

A voir : Milky Way Rotational Velocity Explorer, UNL

A télécharger : Simulation d'une galaxie avec des ondes de densité (.FLV de 10 MB)

EtiC - Colliding galaxies - Pixel Gravity

Logiciels de simulation de la rotation galactique

A gauche et au centre, variation de la vitesse de rotation des étoiles dans la Voie Lactée en fonction de la distance au centre du bulbe. Le cercle rouge représente l'orbite du Soleil et l'intersection de la courbe correspond à l'emplacement du Soleil. Cette courbe ne s'explique qu'en tenant compte d'une composante invisible, sombre. A droite, évolution d'une étoile dans les ondes de densité au cours de sa révolution galactique. Documents UNL adapté par l'auteur et Belt Of Orion.

Les ondes de densité

En vertu de la rotation différentielle, les astronomes ont calculé qu'une galaxie ne pouvait conserver sa structure spiralée plus de 100 millions d'années. Or il existe des milliards de galaxies de ce type dont l'âge dépasse largement les 12 milliards d'années.

Comme nous l'avons évoqué, les astronomes ont d'abord cru que la structure spiralée de la Voie Lactée se maintenait grâce aux champs magnétiques qui agissaient en quelque sorte comme des canaliseurs de matière en orientant le gaz par rapport aux lignes de force du champ magnétique. Mais dans ce cas, logiquement le gaz doit s'écouler le long de ces lignes de force et vers l'extérieur de la Galaxie. De plus, le circuit doit être alimenté en permanence pour expliquer la persistence de la structure spiralée pendant plus de dix milliards d'années. Or, en pratique on n'observe pas ce phénomène car le champ magnétique est bien trop faible. Les astronomes ont donc été obligé d'inventer un autre mécanisme.

Aujourd'hui, on explique la structure spiralée de la Voie Lactée par la théorie des perturbations à N corps et en particulier par la théorie des ondes de densité développée dans les années 1960 par Lin et Shu : les bras d'une galaxie spirale n'ont pas de structure matérielle par nature, ce n'est pas une structure fixe, mais représentent des régions de haute densité qui se forment spontanément au cours de la rotation galactique. Ces bras se forment à l'image d'un embouteillage sur la route forçant les véhicules à ralentir et à s'agglomérer en un endroit précis le temps que le trafic redevienne fluide.

C'est ensuite l'attraction gravitationnelle entre les étoiles situées à différentes distances du centre qui évite la dislocation des bras, ce qu'on appelle le "winding" et maintient le motif spiralé en place.

La théorie des ondes de densité explique également l'apparition des régions HI et des bandes de poussière dans la partie interne des bras spiralés et l'existence d'étoiles jeunes et massives ainsi que des régions HII dans les bras, de même que l'abondance des étoiles âgées et rouges dans le reste du disque.

Notons que la même théorie s'applique aux motifs des anneaux de Saturne et de manière très marquée dans les ondes de densité visibles dans l'Anneau A.

Ainsi, toute la matière visible (poussière, étoiles et nébuleuses) évolue dans la Voie Lactée à l'image des éléments d'un fluide, se maintenant pratiquement toujours à la même distance du centre par gravitation. Au cours d'une rotation galactique, à l'image d'un bouchon sur des vagues ou d'une montagne russe, ces éléments passent alternativement dans les bras spiralés et entre ceux-ci. C'est en s'approchant des bras spiralés que la matière interstellaire a le plus de chance de se condenser en formant des nébuleuses et des complexes HII qui formeront éventuellement de nouvelles étoiles. On y reviendra à propos des interactions et de la formation des galaxies et de la cinématique des galaxies.

La barre galactique

En analysant le pseudo-bulbe, dans les années 1970 les astrophysiciens ont découvert que le gaz (HI et CO) présentait des vitesses radiales positives et négatives assez élevées alors qu'on s'attendait à ce que la matière présente une vitesse nulle. Des observations détaillées ont montré que le gaz suit des orbites très elliptiques et présente une forme allongée dans le plan galactique. On en déduit qu'il s'agit d'une barre, le gaz situé devant le noyau galactique s'approchant de nous tandis que le gaz situé derrière le noyau s'éloigne de nous, ce qui explique leurs vitesses radiales de sens opposé.

Des simulations numériques furent également réalisées dès 1981 par Françoise Combes du CNRS qui étudia la dynamique des galaxies SBb et le processus de formation de la barre et des bras spiralés.

En 2013, une équipe internationale d'astronomes utilisant le télescope VISTA de 4.1 m de l'ESO cartographia la Galaxie, calculant notamment la distance de 22 millions d'étoiles géantes du bulbe et de tous les autres types d'étoiles s'y trouvant et combina ces données avec les sondages UKIDSS, VVV, 2MASS et GLIMPSE. Leurs résultats firent l'objet d'une publication dans les "MNRAS" notamment ainsi que de nombreux articles de presse et de vidéos didactiques. Par la suite, cet inventaire fut complété avec les données du satellite d'astrométrie Gaia.

Grâce à ces travaux, nous savons que la barre est légèrement de travers par rapport au grand axe de la Galaxie mais également par rapport à notre point de vue. La barre mesure 4 kpc de rayon (13000 a.l.) et est inclinée de 20° sur la ligne de visée; par rapport au centre galactique (longitude 0°), la partie proche de nous est située dans les longitudes positives, la partie la plus éloignée du côté des longitudes négatives.

A gauche, la carte de contour de la surface de brillance du coeur de la Voie Lactée obtenue par T.Matsumoto et son équipe en 1982 (cf. "The Galactic Center", G. Riegler & R. Blandford, AIP Conf. Proc. 83, 1982) à 2.4 microns dans un champ de 20° de latitude et 24° de longitude. On distingue clairement la zone de transition entre le disque et le bulbe et la forme anguleuse de ce dernier. Au centre, le modèle triaxial de la barre de la Voie Lactée développé par Leo Blitz et David N. Spergel en 1991. Le petit cercle fléché indique le Standard Local des Vitesses (LSR, point confondu avec le Soleil qui aurait une rotation pure autour de la Galaxie). A droite, la carte de contour de la surface de densité du bulbe basée sur le sondage VVV et réalisée en 2013 par Chris Wegg et Ortwin Gerhard de l'Institut Max Planck. Vu du pôle galactique, on distingue clairement la forme elliptique de la barre centrale. Vu de profil on distingue clairement son aplatissement (rapport axial de 0.75).

Les sondages infrarouge 2MASS et VVV ont confirmé l'existence de cette barre ainsi qu'une asymétrie entre le nombre d'étoiles aux longitudes positives et négatives, suggérant l'existence d'une deuxième barre imbriquée dans la barre principale (primaire). Cette barre secondaire (nucléaire) mesure 150 pc de rayon (490 a.l.) et est presque perpendiculaire à la barre principale comme le montre le modèle présenté ci-dessus au centre. Les simulations ont montré que la barre secondaire est fréquente dans les galaxies spirales barrées. Voyons brièvement comment cette structure se développe et quels sont ses effets.

Au cours de leur évolution, dans les galaxies à symétrie axiale et dont la dispersion du gaz et des étoiles est suffisamment faible pour rendre le disque instable, il se forme d'abord une barre principale dont la taille peut atteindre la moitié du rayon visible de la galaxie hôte. Cette barre tourne à une certaine vitesse qui déclenche un phénomène de résonance dit de corotation, au milieu du disque stellaire. A l'endroit de cette résonance, la vitesse de rotation de l'onde spirale (barrée) est égale à celle de la matière.

Carte transversale de l'anneau CMZ (Central Molecular Zone) observé dans la bande du CO J grâce au télescope AST/RO de 1.7 m installé au pôle Sud (les 3 cartes du haut) et par le télescope de 7 m des Bell Labs (les 3 cartes du bas). La résolution est de 2'. Documents Christopher L.Martin et al.

A l'intérieur du cercle de corotation, la matière tourne plus vite que l'onde et les étoiles tournent donc plus rapidement que la barre, et inversement à l'extérieur du cercle de corotation (où se trouve le Soleil). Au fil du temps, la matière se concentre au centre de la barre. Des forces gravitationnelles se développent tangentiellement, générant des couples de torsion qui entraînent un transfert de matière entre les étoiles et le gaz. Ce processus accélère la rotation de la partie centrale et amplifie le mouvement à l'image d'une ballerine qui referme ses bras.

Finalement la barre principale ne parvient plus à maintenir sa stabilité vis-à-vis des forces de gravité et une barre secondaire se découple, tournant de plus en plus vite au centre de la galaxie.

Comme l'ont montré Christopher L. Martin et son équipe en 2004, à 200 pc soit 652 a.l. de rayon du centre se trouve un anneau moléculaire très dense appelé la "Central Molecular Zone" ou CMZ dans laquelle s'inscrit la barre nucléaire. Cet anneau est perturbé par la barre; il n'est pas symétrique et les trois quarts de ses émissions proviennent de la partie située devant le noyau (longitudes positives).

Il existe également un second anneau moléculaire riche en gaz mais moins intense entre 4 et 8 kpc du noyau (13000-26000 a.l.) qui correspond à la zone de résonance de la barre principale dont la corotation se situe à 4-5 kpc du centre. Cela correspond à une vitesse angulaire de la barre principale de 40 km/s/kpc et une période de révolution de 160 millions d'années, dont légèrement plus rapide que celle du Soleil.

Précisons que les ondes de densité de Lindblad qui sont à l'origine de la structure des bras spiralés ne peuvent se développer qu'entre les deux zones de résonance de Lindblad, c'est-à-dire entre les deux anneaux moléculaires, interne et externe, tandis que les barres ne se développent pas au-delà des résonances de corotation.

Comme la barre principale, la barre secondaire participe activement au transfert de gaz (beaucoup plus sensible aux effets gravitationnels que les étoiles) vers le centre galactique, en particulier entre la zone de l'orbite de résonance de Lindblad où se situe la CMZ et le noyau de la Voie Lactée où se situe le trou noir supermassif. Mais pour cela, cette barre nucléaire doit être suffisamment forte pour briser la symétrie axiale de la barre principale.

Actuellement, selon les sondages, la vitesse et le taux de transfert de matière vers le centre de la Galaxie est très faible et la température de la CMZ basée sur son profil spectral  (raies du CI, CO J, CS, HCN , etc) est de l'ordre de 50 à 70 K, ce qui laisse supposer que la Voie Lactée est seulement au début de cette phase. Lorsque la barre nucléaire sera suffisamment développée, elle sera capable de transférer la matière de l'anneau moléculaire CMZ vers le trou noir supermassif, ce qui déclenchera sa réactivation et l'émission de jets.

Premières mesures directes de la barre centrale de la Voie Lactée

Grâce aux données de la 2e distribution de Gaia (DR2) complétée par des observations effectuées par des télescopes terrestres et spatiaux, l'équipe de Friedrich Anders de l'Université de Barcelone (ICCUB) a pu mesurer directement les paramètres et notamment la distribution des étoiles dans la barre nucléaire de la Voie Lactée. Les résultats de cette étude furent publiés dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2019.

En violet et jaune, la cartographie des étoiles proches et de la barre galactique basée sur la distribution de 150 millions d'étoiles de la Voie Lactée obtenue grâce aux données de GAIA DR2 et d'autres sondages. Document ESA/DPAC/AIP/NASA.

Les chercheurs ont examiné en particulier deux des paramètres enregistrés par Gaia : la température de surface des étoiles et l'extinction qui quantifie indirectement la quantité de poussière existant dans la ligne de visée. Bien que ces deux paramètres sont interconnectés, on peut les estimer indépendamment en ajoutant des informations supplémentaires obtenues par des observations en infrarouge sensibles au rayonnement des nuages de poussière.

L’équipe a combiné toutes ces données grâce à un logiciel dénommé "StarHorse" développé par Anna Queiroz, coautrice de cet article et d'autres collaborateurs. Au final, les astronomes ont obtenu une bien meilleure détermination des distances pour environ 150 millions d'étoiles, l'amélioration atteignant au moins 20%. Cela permit aux chercheurs de suivre la distribution des étoiles de la Voie Lactée jusqu'à des distances beaucoup plus grandes qu'en utilisant les seules données originales de Gaia.

Selon Cristina Chiappini, coautrice de l'article et travaillant à l'Institut d'Astrophysique de Leibniz à Potsdam, en Allemagne, où le projet fut coordonné, "avec la deuxième publication de données de Gaia, nous pouvions sonder un rayon autour du Soleil d’environ 6500 années-lumière, mais avec notre nouveau catalogue, nous pouvons étendre cette sphère de trois à quatre fois et atteindre le centre de la Voie Lactée."

Comme on le voit dans l'animation ci-dessous, l'analyse de ces données en trois dimensions montre clairement au centre de la Voie Lactée la présence d'un grand trait allongé contenant des étoiles : c'est la barre nucléaire ou barre galactique (en jaune). Bien que les astronomes savaient de manière indirecte depuis les années 1970 que la Voie Lactée est une galaxie spirale barrée, c'est la première fois que nous avons des mesures directes géométriques des distances stellaires basées sur les mouvements des étoiles et du gaz.

Mais il reste beaucoup d'inconnues. Selon Chiappini, "nous devons comprendre l'histoire de chacune de ses composantes. On ne sait toujours pas comment la barre - une grande quantité d'étoiles et de gaz tournant de manière rigide autour du centre de la Galaxie - s'est formée, mais avec Gaia et d'autres sondages à venir, nous sommes certainement sur la bonne voie pour le comprendre."

La troisième publication de données Gaia, DR3, disponible depuis 2021, inclut des déterminations de distance encore améliorées pour un nombre beaucoup plus élevé d'étoiles et devrait permettre d'améliorer notre compréhension du bulbe galactique. Avec les différentes publications de Gaia attendues d'ici quelques années, complétées par des sondages réalisés en infrarouge notamment, les astronomes espèrent à terme reconstruire la structure complète de la Voie Lactée.

A voir : Mapping the Milky Way

Gaia réalise la première mesure de la barre galactique de la Voie Lactée

Le paradoxe de la barre galactique résolu

La taille de la barre galactique et la vitesse de rotation de la Voie Lactée ont fortement été contestées notamment suite à l'analyse des données de la mission Gaia de l'ESA. En effet, alors que les études des mouvements des étoiles proches du Soleil montrent que la barre est à la fois rapide et petite, les observations directes de la région galactique centrale s'accordent sur une barre significativement plus lente et plus grande.

Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2020, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Tariq Hilmi de l'Université de Surrey proposa une explication perspicace à cet écart.

En analysant des simulations de la formation de la Voie Lactée telle celle ci-dessous, les chercheurs ont découvert que la taille de la barre et sa vitesse de rotation fluctuent rapidement dans le temps : à certains moments la barre est jusqu'à deux fois plus longue et tourne 20% plus vite. Ces variations de la barre résultent de ses rencontres régulières avec les bras spiraux galactiques.

A voir : Simulation of the Milky Way's bar and inner spirals, RAS, 2020

Images extraites d'une simulation de la Voie Lactée. A gauche, la barre centrale et les bras en spirale tournent à des vitesses différentes. S'ils sont déconnectés, la barre présente sa véritable structure et est plus petite (à gauche). Chaque fois que les bras rencontrent la barre, celle-ci apparaît plus longue et sa rotation plus lente (au centre). A droite, illustration des trois méthodes utilisées pour mesurer la longueur de la barre centrale. Pour les panneaux supérieurs, la simulation débute à t = 12.91 Ga, et pour les panneaux inférieurs, la simulation s'arrête 35 millions d'années plus tard. Les lignes verticales en pointillés marquent les niveaux de contour traversant l'axe Y où la surdensité des étoiles chute respectivement de 10 à 80% (gauche) et de 30 à 80% (droite) par rapport au maximum. Consulter l'article de T.Hilmi et al. ses collègues pour les détails.

Lorsque la barre et le bras en spirale s'approchent l'un de l'autre, leur attraction mutuelle due à la gravité fait ralentir la barre et accélérer le bras. Une fois connectées, les deux structures se déplacent comme un seul corps et la barre apparaît beaucoup plus longue et plus lente qu'elle ne l'est en réalité. A mesure que les deux composants se distancient, la barre accélère tandis que le bas ralentit.

Selon Ivan Minchev de l'AIP de Postdam et coauteur de cet article, "La controverse autour de la barre galactique peut alors être simplement résolue si nous vivons à un moment où la barre et la spirale sont connectées, donnant l'illusion d'une barre large et lente. Cependant, le mouvement des étoiles près du Soleil reste régi par la vraie nature beaucoup plus petite de la barre, et ces observations semblent donc contradictoires".

Des observations récentes ont confirmé que le bras spiralé intérieur de la Voie Lactée est actuellement connecté à la barre, ce qui se produit environ une fois tous les 80 millions d'années selon les simulations. Les données finales de la mission Gaia permettront de tester davantage ce modèle. Les futures missions spatiales permettront de vérifier si le même phénomène se produit dans d'autres galaxies.

L'âge de la barre galactique

Gaia-Sausage à l'origine de la barre galactique ?

Evolution d'une simulation en 6 etapes de la fusion entre deux galaxies avec formation d'une barre nucléaire. Les vieilles étoiles sont en rouge et les jeunes étoiles en bleu. Document A.Merrow et al. (2023).

Dans une étude publiée en 2023, Alex Merrow de l'Université Liverpool John Moores et ses collègues se sont demandés si la barre galactique n'aurait pas été formée suite à la fusion ou merge de Gaia-Sausage avec la Voie Lactée il y a 8 à 11 milliards d'années.

Pour rappel, avant sa collision on estime que la masse totale (virielle) de Gaia-Sausage en gaz, étoiles et matière sombre était d'environ 50 milliards de masses solaires, soit 10 à 500 plus importante que la masse des autres galaxies naines qui furent absorbées par la Voie Lactée. Cette fusion fut l'une des plus importantes que connut la Voie Lactée qui gagna des dizaines de milliards de masses solaires et au moins 8 amas globulaires. Les données de Gaia montrent que les traces de cette collision sont toujours visibles dans la distribution des vitesses de 7 millions d'étoiles (cf. ce graphique).

Selon certains chercheurs, c'est il y a 8 à 11 milliards d'années que la Voie Lactée aurait développé sa barre nucléaire. Les auteurs ont donc voulu savoir s'il y avait un lien. A l'aide de simulations informatiques, ils ont étudié comment des collisions galactiques pourraient aboutir à une galaxie spirale barrée. Un exemple de simulation est présenté à droite montrant clairement la formation d'une barre nucléaire à peine 2 milliards d'années après la fusion.

Les galaxies barrées sont les structures dominantes dans l'univers (cf. P.Erwin, 2018) et représentent environ 70% des galaxies à disques proches. Cette barre dépend principalement de la masse stellaire.

Des études antérieures ont montré que les collisions galactiques peuvent souvent créer une structure barrée, donc le simple fait de dire qu'une barre nucléaire aurait pu se former suite à collision n'est pas un argument suffisant pour affirmer que c'est le cas.

Les auteurs se sont donc concentrés sur le moment précis de la formation de la barre. Selon les résultats de leurs simulations, il apparaît que sans la collision de Gaia-Sausage, il pourrait y avoir un retard de 2 milliards d'années dans la formation d'une barre. Autrement dit, les conditions du début de la Voie Lactée pourraient, d'une certaine manière, retarder la formation de la barre. Avec la collision de Gaia-Sausage, une barre s'est formée beaucoup plus tôt dans les simulations.

Ainsi, même si l'étude ne prouve pas que la barre de la Voie Lactée fut directement formée suite à la collision de Gaia-Sausage, elle montre que les preuves d'une ancienne structure barrée impliquent fortement que sa formation fut déclenchée par une collision.

Sur base de cette étude, il semble que s'il n'y avait eu cette collision, la Voie Lactée serait restée une simple galaxie spirale pendant des milliards d'années.

Mais une autre équipe de chercheurs analysa un autre échantillon d'étoiles et parvint à une conclusion très différente à propos de l'âge de la barre galactique.

Une barre âgée de 3 milliards d'années

Dans un article publié dans les "Astronomy & Astrophysics Letters" en 2023, l'astrophysicien Samir Nepal de l'Institut Leibniz d'Astrophysique de Potsdam (AIP) et ses collègues ont étudié les étoiles riches en supermétaux (SMR) dans lesquelle la métallicité est comprise entre -0.3 < [Fe/H] < 0.5, actuellement situées dans le voisinage du Soleil. Ils aboutissent à la conclusion qu'elles auraient migrées depuis le centre de la Galaxie au cours d'une explosion de formation d'étoiles survenue il y a 3 ou 4 milliards d'années, ce pic d'activité correspondant également au pic d'activité de la barre nucléaire.

Pour rappel, les étoiles riches en métaux ont hérité leurs métaux des générations antérieures d'étoiles qui ont explosé, libérant les métaux qu'elles ont forgés à partir d'éléments plus légers. Ces générations antérieures d'étoiles n'ont pu se former qu'au plus profond de la Voie Lactée, c'est-à-dire dans son coeur. La barre de la Voie Lactée a ensuite dispersé certaines de ces étoiles dans toute la Galaxie. Les étoiles riches en métaux représentent donc des fossiles très intéressants pour retracer l'histoire de la Voie Lactée.

À partir des données de la troisième release de Gaia (DR3), les auteurs ont reconstitué le développement de la barre de la Voie Lactée grâce à son influence sur la répartition des étoiles riches en métaux.

A gauche, les propriétés des étoiles de l'échantillon sélectionné par les auteurs. a) Distance du plan médian galactique (Z) par rapport à la distance galactocentrique (R) ; b) Diagramme de Kiel (log(g) / Teff); c) Diagramme [α/Fe] / [Fe/H] pour l'échantillon, coloré par densité numérique. A droite, l'histoire de la formation des étoiles dans des diagrammes de la distribution de densité en fonction de l'âge stellaire pour tout l'échantillon. En haut, Age vs. [Fe/H] et en bas Age vs. [α/Fe]. Les couleurs représentent le nombre d'étoiles en échelle logarithmique. Documents S.Nepal et al. (2023).

En suivant l'évolution de ces étoiles, les auteurs ont identifié un pic de formation stellaire dans la partie centrale de la Galaxie qui diminua fortement il y a environ 3 milliards d'années. Ce ralentissement semble marquer la fin de la phase de développement de la barre nucléaire. Après ce pic, l'accrétion de nouveau matériau dans la barre a probablement diminué considérablement. Cela suggère que la barre que nous voyons aujourd'hui est une caractéristique stable qui est environ 10 milliards d'années plus jeune que la Galaxie dans son ensemble. Selon les auteurs l'apparition de cette barre tardive aurait également pu être accentuée voire déclenchée par le passage de la galaxie naine Sagittarius (SagDEG).

En supposant que l'estimation révisée de l'âge de la barre soit confirmée, les futurs modèles de l'évolution de la Voie Lactée devront expliquer pourquoi la barre s'est développée si tard et d'autant plus que les simulations des fusions antérieures semblent prouver le contraire.

En résumé, dans les deux articles précités, les équipes d'Alex Merrow et de Samir Nepal aboutissent à des conclusions très différentes. Mais plutôt que d'être opposées, il est possible qu'elles soient complémentaires. C'est la raison pour laquelle l'équipe de Népal parle d'une "jeune barre". En effet, les échantillons étudiés sont différents et les périodes concernées sont également bien distinctes dans le temps. On peut donc imaginer que la Voie Lactée a subi une évolution très dynamique, avec la formation et la disparition d'une première barre il y a au moins 8 milliards d'années qui se dissipa quelques milliards d'années plus tard, suivie par la formation d'une nouvelle barre il y a environ 3 milliards d'années. On reviendra ci-dessous sur ce mécanisme.

A mesure que de nouvelles études seront publiées et que les astronomes continueront à compléter la carte détaillée de la Voie Lactée, nous comprendrons mieux sa dynamique et sa structure galactique. En complément, en étudiant la barre galactique, nous en apprendrons davantage sur l'évolution des barres dans les autres galaxies.

Evolution des barres, des bras spiralés et mécanisme de migration

La formation d'une barre galactique est un sujet complexe car selon les simulations, les phénomènes d'accrétion peuvent à la fois déclencher et empêcher la formation de la barre.

Grâce aux simulations et à l'étude des galaxies spirales similaires à la Voie Lactée, comme nous l'avons expliqué à propos de la formation des galaxies, une galaxie spirale peut se transformer en spirale barrée et ensuite perdre sa ou ses barres et reprendre un cycle de reformation et destruction de ses barres. En effet, les lois de la mécanique des fluides montrent que lorsque le disque contient plus de 6% de gaz, en vertu des échanges cinétiques dus aux couples de torsion, la barre peut s'affaiblir. Sous le rayon de corotation, la barre tournant moins vite que la matière et présentant un moment cinétique négatif, si ce dernier se réduit, la force de la barre diminue et elle finit par disparaître.

Selon les simulations, la barre peut disparaître en un seul temps dynamique (une seule révolution de la galaxie), soit entre 200 millions d'années si la galaxie est riche en gaz et 1 milliard d'année si elle est pauvre en gaz. La galaxie spirale barrée devient alors temporairement une spirale classique.

A gauche, simulation de l'évolution d'une galaxie spirale barrée dont la masse gazeuse est peu concentrée. Une structure similaire s'observe dans la galaxie NGC 1097 dont une photo est présentée plus bas. A droite, simulation de la migration des étoiles dans le disque de la Voie Lactée. 1ere ligne, la composante stellaire dans une galaxie spirale sans accrétion de gaz sur une période de 3 milliards d'années. 2e ligne, la variation du moment cinétique divisé par la vitesse de rotation en fonction du rayon. Le rayon de corotation est indiqué par la ligne pointillée verticale, celui de la résonance externe par la ligne verticale continue. 3e ligne, distribution radiale de la densité de surface des étoiles et du gaz (gauche) et de l'abondance des éléments lourds des étoiles et du gaz (droite) aux mêmes époques (ligne verte = 0.2 milliard d'années, ligne violette = 3 milliards d'années). 4e ligne, la distribution du rayon de naissance des étoiles à T=2.5 milliards d'années à l'intérieur de l'anneau indiqué en vert de 600 pc de large. Documents D.Namekata et al. et I.Minchev et al.

La vitesse de dispersion des étoiles augmentant au passage de l'onde de la spirale barrée, le disque stellaire est chauffé par la friction dynamique. Il faut attendre que toute la matière diffuse accrétée (filaments du halo et gaz du disque) se refroidisse et redevienne gravitationnellement instable pour que de nouvelles ondes spirales barrées puissent se former.

En parallèle, comme on le voit dans la simulation présentée ci-dessus à droite, à partir du rayon de corotation (2e simulation du haut, ligne pointillée verticale) l'onde générée par la barre pousse radialement les étoiles et le gaz contenus dans les disques mince et épais qui migrent lentement vers l'extérieur de la Galaxie. Ce processus de migration n'épuise par la Galaxie car de toute évidence la Voie Lactée attire constamment des galaxies naines qui viennent remplir le réservoir de gaz constituant la matière première des étoiles.

Au cours du processus qui s'étend sur une période de quelques milliards d'années, la barre et la structure spirale disparaissent progressivement.

Les simulations indiquent que Soleil ne se serait donc pas formé dans l'Eperon d'Orion où il se trouve aujourd'hui mais bien plus près du bulbe. Cet effet peut être amplifié s'il existe plusieurs ondes de densité simultanément et donc de multiples bras avec des chevauchements possibles des ondes de résonances.

Ce phénomène peut expliquer l'existence du gradient d'abondance des éléments lourds dans les étoiles et les amas stellaires (beaucoup d'étoiles riches en métaux se trouvent en périphérie du disque) ainsi que le gradient d'âge des étoiles en fonction de leur distance au centre galactique.

Enfin, on peut observer un déphasage entre la fréquence de rotation de la masse stellaire et la fréquence épicycle (fréquence d'oscillation radiale d'un astre autour de sa position d'équilibre, elle correspond au taux auquel le périapse d'un astre en suit un autre). Lorsque le taux de précession augmente et si l'autogravitation ne peut plus concentrer la masse stellaire dans une seule onde, la spirale se découple et commence à tourner de plus en plus lentement à mesure qu'elle s'éloigne du centre. Ce phénomène entraîne une séparation et un décalage des bras spiralés de la barre principale. Cet effet peut être amplifié s'il existe plusieurs ondes de densité simultanément et donc de multiples bras avec des chevauchements possibles des ondes de résonances.

La Voie Lactée présente des structures à grande échelle qu'on ne peut pas vraiment photographier mais qu'on retrouve dans trois galaxies : à gauche, NGC 1097 (double barre et anneau nucléaire - en blanc - dont voici un agrandissement), au centre M109 (NGC 3992) et à droite NGC 1073 (déphasage des bras). Documents ESO/R.Gendler/ NAOJ/ NASA/ESA/STScI, Adam Block et NASA/ESA/STScI.

Comme on le voit ci-dessus, on observe ce phénomène curieux dans les galaxies M109 (NGC 3992) et NGC 1073 où le décrochage est très marqué. On pense que la Voie Lactée présente le même type de structure.

En résumé, la Voie Lactée est une spirale barrée a peu près symétrique présentant un pseudo-bulbe et comprenant à la fois deux bras principaux et deux bras secondaires, un disque gauchi, des queues de marée, un anneau nucléaire et un anneau secondaire plus pâle, une barre multiaxiale. Le décrochage de ses deux principaux bras est un phénomène qui semble périodique.

Après avoir décrit la structure générale de la Voie Lactée, il nous reste quelques grandes structures à décrire qui cachent bien des secrets sur l'évolution de la Galaxie. Il s'agit du Nuage Local, de la Vague de Radcliffe (ex-Ceinture de Gould) et de la Grande Bande Sombre. Ce sera l'objet du prochain chapitre. Nous verrons ensuite le noyau et l'origine de toutes ces composantes.

Prochain chapitre

Le Nuage Local

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