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Le champ magnétique du Soleil
Les éruptions solaires (II) La cage magnétique Serait-il possible qu'un seul phénomène contrôle toutes les éruptions solaires ? C'est en tous cas la question qu'ont soulevé Tahar Amari de l'Université Paris-Saclay et ses collègues dans une étude publiée en 2018 dans la revue "Nature" après avoir mis en évidence la présence d'une "cage magnétique" autour des grandes boucles magnétiques qui précédèrent les éruptions solaires. Une étude antérieure (2014) des mêmes chercheurs avait montré que les éruptions solaires étaient précédées par de gigantesques arches magnétiques torsadées s'élevant de la surface appelées des cordes de flux magnétique. Ces cordes sont à l'image d'immenses barreaux aimantés (magnétisés) qu'on aurait tordus autour desquels la matière va se coller en formant des filaments ou des protubérances. Mais les astrophysiciens ne comprenaient pas très bien ce qui déclenchait ces éruptions chromosphériques (flares) confinées et autres protubérances éruptives. Un modèle suggérait que ces éruptions étaient déclenchées par les boucles magnétiques mais un autre suggérait plutôt que des groupes de boucles magnétiques appelées des arcades solaires étaient à l'origine des éruptions confinées. Jusqu'à présent, les chercheurs ne pouvaient pas analyser les champs magnétiques dans la fine région chromosphérique chaude d'où provenaient ces éruptions avec une précision suffisante pour choisir entre l'un de ces deux modèles. Mais suite à la puissance éruption chromosphérique qui se produisit le 24 octobre 2014 (éruption de la classe X3.1 dans la région active AR 2192), les chercheurs ont découvert un nouvel aspect de ces modèles qui pourrait expliquer ces explosions de matière. A partir des données enregistrées par l'observatoire spatial solaire SDO, les chercheurs ont pu rassembler des mesures dynamiques très précises du champ magnétique solaire au moment de cette éruption de classe X. Ils ont ensuite modélisé ces données sur l'un des superordinateurs du CNRS à Saclay pour reconstruire la manière dont le champ magnétique évoluait avant et pendant l'éruption solaire. Leur analyse a montré que les cordes de flux magnétique à l'origine des éruptions solaires sont entourées d'une "cage" magnétique renforcée (multicouche). Dans les heures précédant une éruption chromosphérique, une corde de flux magnétique (en brun sur la simulation ci-dessous à gauche) se développe sous une arcade solaire qui agit comme une cage (en turquoise). Normalement, cette corde de flux magnétique n'a pas suffisamment d'énergie pour franchir les multiples couches de cette cage magnétique et reste donc confinée. A voir : Éruption solaire X3.1 du 24/10/2014, SDO Thermonuclear Art – The Sun In Ultra-HD (4K), NASA
La forte torsion de la corde peut ensuite déclencher une instabilité et provoquer un pli (un kink) qui d2truit partiellement la cage, permettant l'émission de rayonnements intenses et le développement de la bulle magnétique qui va entraîner le plasma jusqu'à des distances considérables. Selon les chercheurs, si la force magnétique de la cage est plus faible, on observe une éruption plus puissante, détruisant toutes les couches de la cage et entraînant une éjection de masse coronale (CME). C'est donc la manière dont cette cage résiste aux assauts de la corde qui détermine la puissance et le type d'éruption solaire. Amari conclut donc qu'"un seul mécanisme peut sous-tendre toutes les éruptions solaires" à travers ce couplage cage-corde. Grâce à cette découverte, on peut espérer à l'avenir mieux comprendre l'effet des cages magnétiques sur l'intensité des éruptions solaires et mieux prédire l'occurence des CME. La théorie de l'accélération des chocs Grâce à l'installation radioastronomique Karl Jansky (ex-VLA) du NRAO, les astrophysiciens comprennent mieux comment se forment les éruptions solaires. Si la théorie du tube de flux magnétique décrite page précédente explique l'émergence de boucles de champs magnétiques en surface et celle du couplage cage-corde magnétique décrite ci-dessus explique l'intensité des éruptions solaires, il faut également expliquer comment ce champ magnétique produit de l'énergie et propulse la matière dans la couronne. On a toujours pensé que les éruptions étaient le résultat d'un type de choc particulier qui accélérait les particules, mais jusqu'à présent il n'y avait jamais eu de preuves convaincantes pour supporter cette hypothèse. Grâce à une mise à niveau du VLA, depuis 2013 les radioastronomes ont obtenu de nouvelles données qui renforcent la théorie de "l'accélération des chocs" comme l'a décrite Bin Chen aujourd'hui à l'Institut de Technologie du New Jersey (NJIT) et son équipe dans deux articles consacrés aux éruptions solaires publiés en 2014 et 2015.
Les éruptions solaires sont vraisemblablement produites par la libération soudaine d'énergie lorsque de puissants champs magnétiques se reconfigurent et se reconnectent. Cependant, il restait à comprendre comment de tels phénomènes magnétiques peuvent propulser les particules chargées à grandes vitesses (200-2900 km/s) comme on le constate lors des éruptions solaires. Les nouvelles observations du VLA confirment l'idée que l'accélération se produit à l'endroit où la boucle de champ magnétique s'évase (au-dessus du "point x" dans le schéma ci-dessous au centre droite, en 4.) et où le flux de plasma accéléré par la libération soudaine d'énergie entrave les boucles magnétiques resserrées à cet endroit et donc plus denses, formant un choc stationnaire appelé un "choc terminal" que les radiotélescopes visualisent comme un "point chaud" ou hot spot. Dans cette région, les électrons sont rabattus et écrasés à plusieurs reprises, subissant des chocs répétés à des vitesses de plus en plus élevées. Les données obtenues par le VLA ainsi que des satellites en UV et en rayons X correspondent parfaitement aux modèles numériques simulant ce phénomène et expliquent notamment l'éruption solaire survenue le 3 mars 2012 présentée ci-dessus à gauche. A voir : Magnetic Reconnection Throughout the Solar System, NASA, 2020
Le VLA a produit des images radios à travers une large gamme de fréquences séparées de 50 ms chacune ce qui a permis d'analyser chaque phase du processus éruptif. Sur base des simulations, Bin Chen et ses collègues ont pu déterminer que des ondes-courtes radios provenant d'électrons énergétiques étaient émises lorsqu'un choc terminal était en cours de formation, signe précurseur d'une éruption. D'autres détails liés à l'accélération des particules ont également été prédits par ce modèle qui permet dorénavant d'étudier un processus qui non seulement s'applique au Soleil mais à tous les objets de l'univers dès lors qu'ils impliquent des particules chargées sous l'emprise d'un champ magnétique intense. Les instabilités des feuilles de plasma Sur le plan théorique, les détails des reconnexions magnétiques sont mieux compris qu'il y a quelques années où l'on pensait encore qu'il n'existait qu'une seule reconnexion par éruption. Or, les nouveaux modèles indiquent qu'étant donné les énergies très élevées entrant en jeu, des instabilités se créent dans les feuilles de plasma concernées (des structures conductrices pouvant mesurer 100000 km de long et seulement 100 m d'épaisseur) qui se brisent comme le ferait un film conducteur trop mince, générant autant de nouvelles reconnexions magnétiques et d'éruptions comme l'a montré l'équipe de Luca Comisso, physicien des plasmas à l'Université de Princeton dans deux articles publiés dans les revues "Physics of Plasma" en 2016 et "The Astrophysical Journal" en 2017. Bien que le modèle "fonctionne" et puisse s'appliquer à l'étude des plasmas dans les tokamaks par exemple, il est encore trop tôt pour appliquer ce modèle à la prévision des éruptions solaires. En tout cas, cette théorie permet déjà aux astrophysiciens solaires de mieux comprendre la dynamique de la couronne et celle du vent solaire ainsi que la formation des spicules dans la basse atmosphère solaire. Cette théorie est également intéressante car des processus similaires se manifestent lors de la production des hautes énergies dans les jets émis par les trous noirs actifs. Origine des spicules Les spicules, ces jets de plasma dans la couronne, peuvent atteindre une hauteur de 13000 km et une température de 100000°C (dans la raie du fer ionisé). Bien qu'on les observe depuis 1877, jusqu'à présent les astrophysiciens solaires ignoraient quel mécanisme les régissait. Si elles semblent assurer le transfert de l'énergie entre la chromosphère portée à 4320°C et la couronne portée à plus d'un million de degrés, on ignorait de quelle manière elles se formaient. On savait juste que leur durée de vie n'excède pas 12 minutes et que le plasma s'y déplace entre 1.5 et 40 km/s. Grâce à la très haute résolution du télescope solaire de l'Observatoire de Big Bear alias BBSO (~45 km dans les spicules et ~150 km dans les champs magnétiques photosphériques), une équipe internationale de chercheurs dirigée par Hui Tian de l'Université de Péking a finalement compris de quelle manière les spicules participent au chauffage de la couronne. Les résultats de leur étude furent publiés dans la revue "Science" en 2019. A voir : Spicules, SDO - SOT Ca H, Hinode
Les chercheurs ont observé l'émergence des spicules en même temps qu'ils surveillaient les champs magnétiques proches. Ils ont découvert que de nombreux spicules apparaissaient quelques minutes après l'apparition de champs magnétiques à polarité inversée par rapport aux autres champs magnétiques de la région. Concrètement, les spicules jaillissent généralement d'une zone essentiellement magnétiquement polarisée vers le nord peu de temps après son apparition dans une région essentiellement polarisée vers le sud. Selon les chercheurs, cela suggère que des spicules pourraient se former suite à une reconnexion magnétique. Lorsque deux régions magnétiques présentant des lignes de champs magnétiques opposées se rencontrent, ces lignes de forces peuvent se heurter, se rompre et se reconnecter, convertissant de manière explosive l'énergie magnétique en chaleur et en énergie cinétique. Les études précédentes suggéraient que la reconnexion magnétique pouvait également provoquer des explosions similaires, plus grandes, telles que des jets coronaux, des éruptions solaires (flares) et des éjections de masse coronale (CME). Selon Alphonso Sterling du centre MSFC de la NASA et coauteur de cette étude, "les mêmes processus qui entraînent ces éruptions à grande échelle peuvent également entraîner des spicules." Dipankar Banerjee de l'Institut Indien d'Astrophysique et coauteur de cette étude confirme que les "nouveaux résultats prouvent que les spicules sont formées par l'annulation du flux dans la basse atmosphère et fournissent également une bonne quantité d'énergie pour le chauffage de la haute atmosphère du Soleil." Cependant, bien que cette découverte soit importante, il faut rester prudent. En effet, l'origine des reconnexions magnétiques des spicules n'est actuellement qu'une idée qui doit être confirmée par davantage d'observations et de simulations (la première présentée ci-dessus datant de 2017). Les bombes de Ellerman Il s'agit d'un autre type d'explosion résultant de reconnexions magnétiques. Elles apparaissent à la surface solaire sur les images prises dans la raie de l'hydrogène alpha ou de la raie K du Ca II comme des points brillants à la base des taches sombres. Découverts par Ferdinand Ellerman et George E. Hale en 1903-1904, ils furent d'abord dénommés "minute calcium flocculi" avant que les astrophysiciens solaires ne les dénomment "grains K" dans les années 1960. Ellerman les compara à des explosions de bombes à hydrogène d'où leur nom de "bombes de Ellerman". Ces explosions se produisent dans les régions actives, en particulier les régions jeunes où émerge un nouveau flux. Leur durée de vie varie entre quelques minutes et quelques heures (20 minutes en moyenne). Elles commencent à briller en l'espace de 2-3 minutes puis maintiennent leur éclat (qui peut parfois fluctuer) puis disparaissent brusquement en l'espace de 2-3 minutes. Ces zones ne sont apparemment pas connectées aux éruptions.
Selon David M.Rust des Observatoires des Monts Wilson et Palomar, les bombes de Ellerman correspondent à des pics isolés de champ magnétique. Comme le montre le schéma présenté ci-dessus à droite préparé par Manolis K. Georgoulis du JHUAPL et ses collègues, dans les régions bipolaires de la photosphère ou dans ce qu'on appelle des dipôles magnétique mobiles (MDF, moving dipolar magnetic feature), comme entre deux aimants de polarités opposées, le flux converge entre les polarités positives et négatives. A cet endroit, les lignes de forces du champ magnétique circulant au-dessus de la photosphère forment une boucle sous la surface reliant les deux polarités et ce sont les reconnexions des lignes du champ de force qui se manifestent en altitude qui génèrent ces explosions d'énergie matérialisées par les bombes de Ellerman. Elles peuvent aussi se produire lors de la reconnexion de deux flux de champs magnétiques positifs en interactions. Conversion des ondes magnétiques d'Alfvén en chaleur En 1942, le physicien et ingénieur suédois Hannes Alfvén avait prédit l'existence d'un nouveau type d'onde générée par l'action du champ magnétique sur le plasma, théorie qui lui valut de remporter le prix Nobel de Physique en 1970. Depuis sa prédiction, les ondes d'Alfvén ont été associées à de nombreux sources dont les nuages de gaz enveloppant les comètes, les aurores, l'atmosphère des étoiles dont celle du Soleil mais également les réacteurs nucléaires, l'imagerie médicale IRM et des expériences de laboratoire. Les ondes d'Alfvén sont de petites ondes magnétiques contenues dans un fluide électriquement conducteur (comme le plasma) maintenu dans un champ magnétique. Ces ondes Alfvéniques jouent un rôle important dans la chaleur de la couronne et expliquent notamment la température élevée des protubérances (>100000 K). Mais jusqu'à présent les chercheurs n'avaient pas pu démontrer ce lien au niveau de la basse chromosphère. Dans un article publié en 2018 dans la revue "Nature", Samuel D.T. Grant de la Queen's University de Belfast et ses collègues ont montré pour la première fois que les ondes d'Alfvén dissipaient leur énergie sous forme de chaleur dans la chromosphère du Soleil. Grâce aux données du satellite SDO et du télescope solaire Dunn installé au Nouveau Mexique, en 2014 les chercheurs ont pu étudier en lumière monochromatique (raie du Ca II à 8542 Å) le comportement de certains éléments présents dans le groupe de taches solaires AR 2146 (groupe bipolaire de classe Cso) à différents niveaux d'altitude entre la photosphère et la chromosphère.
Le dépouillement de ces données permit aux chercheurs de détecter 554792 éruptions intenses réparties sur 135 minutes d'enregistrements qui présentaient toutes les caractéristiques des ondes d'Alfvén convertissant leur énergie en ondes de choc, de la même manière qu'un avion supersonique crée un "bang" en dépassant la vitesse du son. Les ondes de choc se propagent ensuite dans le plasma environnant en augmentant sa température (cf. la dynamique du Soleil calme). En modélisant ces données sur ordinateur, les chercheurs ont pu démontrer que les ondes d'Alfvén étaient capables d'augmenter la températures du plasma entre 750 et 1100 km au-dessus des taches sombres, c'est-à-dire dans la basse chromosphère d'environ 5% (contre 20% pour les ondes magnéto-acoustiques c'est-à-dire des ondes sonores modifiées par le champ magnétique) puis la température augmente fortement à partir de la zone de transition et dans la couronne. Les ondes d'Alfvén se propagent à des vitesses qui varient en fonction de la densité du plasma et de l'intensité du champ magnétique. Elle varie entre 2 et 6 km/s dans la basse chromosphère mais peut atteindre 1500 à 5000 km/s dans la couronne. Dans la basse chromosphère, elles représentent un flux d'énergie d'environ 10 kW/m3 contre 20 kW/m3 pour les ondes magnéto-acoustiques. La zone de chauffage préférentiel Pourquoi la couronne solaire atteint 1 million de degrés alors que la photosphère ne dépasse pas ~5500°C ? Cette question est restée sans réponse pendant 500 ans mais grâce à la sonde spatiale Parker, en 2019 les astrophysiciens solaires ont enfin obtenu la réponse.
L'équipe de Justin Kasper de l'Observatoire SAO publia dans "The Astrophysical Journal Letters" les résultats de l'analyse des données récoltées par la sonde spatiale Parker de la NASA qui explore le Soleil depuis 2018 et jusqu'en 2025. Selon une théorie, ce chauffage spectaculaire de la couronne provient de petites ondes magnétiques qui vont et viennent entre la surface du Soleil et la couronne. Selon l'équipe de Kasper dont l'étude est basée sur une mission précédente de la NASA, la clé réside dans une région du Soleil appelée la zone de chauffage préférentiel (par les ions). Les scientifiques ont toujours considéré que le processus de chauffage de la couronne était étrange. En effet, certains éléments chimiques se réchauffent à des températures différentes et certains ions lourds (des particules chargées) deviennent même plus chauds que le cœur du Soleil. En raison de ce chauffage de la couronne, celle-ci s'élève au-dessus de la surface du Soleil, raison pour laquelle elle est notamment visible lors des éclipses totales de Soleil. Dans la zone de chauffage on trouve des ondes d'Alfvén (voir plus haut). A la limite supérieure de cette zone, le vent solaire constitué d'un flot de particules chargées se déplace suffisamment vite pour échapper aux ondes d'Alfvén. Mais en dessous de cette limite, les particules du vent solaire font des aller-retour et sont accélérées par les ondes d'Alfvén qui les bombardent dans toutes les directions. Autrement dit, le chauffage de la couronne solaire se produit en dessous du point d'Alfvén, c'est-à-dire à la limite de la zone où les ondes d'Alfvén sont piégées. Une autre question restée sans réponse était de savoir jusqu'à quelle altitude ce chauffage s'étend-il au-dessus de la surface solaire. En attendant que la sonde Parker soit suffisamment près du Soleil, Kasper et ses collègues ont analysé les anciennes données sur l'hélium enregistrées par la sonde spatiale Wind de la NASA lancée en 1994, notamment la décroissance du rapport de température He/H du vent solaire due à la thermalisation de Coulomb, un processus qui permet de rétablir l'équilibre thermodynamique des particules. Les chercheurs ont relevé la température de l'hélium à différentes altitudes au-dessus de la surface du Soleil. Le taux d'élévation de la température de cet élément diminue à mesure que les ions du vent solaire se heurtent. Les chercheurs ont découvert que la zone de chauffage se termine entre 10 et 50 R. Une analyse plus poussée a toutefois suggéré que la limite extérieure pourrait être connectée au point d'Alfvén, la distance au-dessus de la surface à laquelle les particules du vent solaire s'échappent du Soleil. Des recherches antérieures ont montré que le point d'Alfvén peut monter et descendre en fonction de l'activité solaire. A voir : How NASA’s Parker Solar Probe Will Touch the Sun, NYT, 2018 Justin Kasper - Sending a Probe Into the Atmosphere of Our Sun, NASA/ARC, 2015 Modèle 3D de la sonde spatiale Parker, NASA Mais des questions restent sans réponses et demanderont des données supplémentaires que devrait fournir la sonde Parker d'ici quelques années. Ainsi, en examinant les données de Wind année après année, Kasper et ses collègues ont découvert que la limite extérieure de la zone de chauffage et le point d'Alfvén "se sont déplacés parallèlement de manière totalement prévisible, malgré des calculs complètement indépendants". Ces deux lignes continueront à se déplacer à mesure que la sonde solaire Parker se rapprochera du Soleil. Les chercheurs ont prédit que la sonde Parker croisera ces limites en 2021, offrant aux chercheurs l'opportunité d'avoir un regard complètement nouveau sur notre étoile. On reviendra donc sur le sujet en temps utile. Les modèles solaires
Comme dans tous les domaines, les astrophysiciens disposent de puissants outils informatiques y compris des superordionateurs petascale (1015 PFLOPS) pour notamment simuler et mieux comprendre grâce à des modélisations les phénomènes qu'ils observent dans le ciel. Depuis les années 1980, les astronomes peuvent simuler l'évolution des taches solaires en lumière blanche ou l'évolution de leur champ magnétique. Nous avons expliqué plus haut que depuis 2014, ils peuvent également simuler les éruptions solaires jusqu'à la structure des champs magnétiques. En 2018, un nouveau pas fut franchi. Pour la première fois, une équipe de chercheurs dirigée par le physicien Mark Cheung du Lockheed Martin Solar and Astrophysics Laboratory (LMSAL) en visite à l'Université de Stanford est parvenue à simuler dans un seul modèle informatique le cycle de vie complet d'une éruption solaire, y compris le spectre des émissions lumineuses associées aux éruptions : de l'accumulation de l'énergie dans la zone convective à des milliers de kilomètres sous la surface jusqu'à l'émergence des lignes de champ magnétique enchevêtrées, à la libération explosive de l'énergie dans une éruption. Selon Cheung, "ces travaux nous permettent d'expliquer pourquoi les éruptions ressemblent à ce qu'elle sont, non seulement à une longueur d'onde précise mais aussi dans les longueurs d'ondes optiques, UV, UVE et en rayons X." Cette simulation fut détaillé dans la revue "Nature Astronomy" en 2019. Les différences de température, de densité du gaz, de pression, d'intensité magnétique et d'autres caractéristiques du Soleil représentées dans le modèle couvrent une large gamme de conditions physiques que l'on trouve entre les profondeurs du Soleil et la couronne. Pour réussir à simuler le cycle de vie complet d'une éruption solaire, les chercheurs ont développé un modèle s'étendant sur plusieurs régions du Soleil, tenant compte des propriétés physiques complexes et uniques de chacune d'elles au moyen d'équations détaillées permettant à chaque région solaire de contribuer de manière réaliste à l'évolution d'une éruption. Le modèle 3D qui en résulte commence dans la partie supérieure de la zone convective, environ 10000 km sous la surface du Soleil, monte à travers la photosphère, traverse la chromosphère et se termine dans la couronne à 40000 km au-dessus de la surface. Mais en parallèle, il ne fallait pas rendre le modèle trop complexe car il fallait tenir compte des ressources informatiques limitées. Les photos ci-dessus et la vidéo suivante montrent les résultats de cette simulation. A voir : From emergence to eruption, NCAR & UCAR Simulation d'une éruption solaire Selon Matthias Rempel du NCAR et coauteur de cette étude, "ce genre de réalisme nécessite des solutions innovantes". Pour relever les défis qui se présentaient, Rempel emprunta une technique mathématique utilisée historiquement par les chercheurs pour étudier la magnétosphère de la Terre et des autres planètes. Cette technique qui permet aux scientifiques de compresser la différence d’échelles de temps entre les couches atmosphériques sans perdre de précision, a permis aux chercheurs de créer un modèle à la fois réaliste et rationnel. L'étape suivante consistait à configurer un scénario pour la simulation.
Dans des simulations antérieures utilisant des modèles moins complexes, les chercheurs devaient pratiquement initialiser l'éruption au moment où elle se déclenchait. Dans cette nouvelle simulation, l’équipe souhaitait voir si le modèle pouvait générer lui-même une éruption à partir d'une simple perturbation magnétique. Ils ont commencé par mettre en place un scénario avec des conditions dérivées de celle d'un groupe de taches solaires particulièrement actif observé en mars 2014. Cette structure bipolaire avait engendré des dizaines d'éruptions solaires dont une très puissante de classe X et trois de classe M. Les chercheurs n'ont pas essayé de reproduire exactement la tache solaire apparue en 2014. Au lieu de cela, ils ont essayé de s'en approcher en utilisant les mêmes paramètres physiques qu'à l'époque de cette forte activité. Ensuite, le système étant autonome, ils ont laissé le modèle vivre sa vie et ont vérifié s'il générait bien une éruption de forte amplitude. Et c'est effectivement ce qu'ils ont observé. Les chercheurs vont à présent tester ce modèle à partir de données réelles de l'activité solaire afin de déterminer s'il peut simuler avec succès ce qui se passe réellement à la surface du Soleil. L'étape suivante consistera à injecter directement les données observées dans le modèle et vérifier ce qui se produit. C'est le seul moyen de valider le modèle. Si cela fonctionne comme prévu, ce modèle aidera les astrophysiciens solaires à mieux comprendre l'activité solaire. Des modèles tridimensionnels et dynamiques, tels ceux élaborés par l'équipe de Mark Cheung du Lockheed Martin Solar and Astrophysics Laboratory et l'équipe d'Allen Gary du centre Marshall de la NASA permettent de prédire l'évolution d'une région active du Soleil. Ces simulations ouvrent la voie à de futurs modèles solaires capables de simuler de façon réaliste l'activité solaire en temps réel, y compris l'apparition des taches sombres qui sont parfois à l'origine des plus fortes éruptions (classe X) et des CME et d'améliorer ainsi les prévisions du temps spatial. La plupart de ces prévisions sont corrélées avec les éruptions solaires qui se manifestent dès que les lignes de forces relient deux taches solaires entre elles. En retour, ces observations permettent de corriger les algorithmes mathématiques jusqu'à ce qu'ils corroborent les observations à 100%.
Rappelons que le champ magnétique solaire est analysé depuis la fin des années 1970 et offre aux chercheurs la possibilité de suivre son évolution sur plus de 4 cycles solaires. Toutefois, prédire son évolution à long terme, comme par exemple l'amplitude du cycle des taches solaires et l'intensité des éruptions et notamment des CME, est encore basé sur l'observation des tendances et des modèles (cf. les travaux de l'équipe DYNAMO de l'Université Aalto en Finlande). Les éruptions coronales seraient-elles des illusions d'optique ? Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022, au moyen de simulations magnétohydrodynamiques 3D, Anna Malanushenko du HAO et ses collègues ont étudié l'évolution des éruptions solaires, en particulier des boucles coronales comme celles présentées ci-dessous et découvert qu'elles pourraient être une illusion d'optique. En fait, l'interprétation qu'en font les astrophysiciens solaires n'est peut être pas la bonne explication. Les lignes de forces du champ magnétique du Soleil piègent le plasma qui s'étend dans l'atmosphère solaire sous formes d'arches et de boucles. Au lieu d'être des filaments ressemblant à des cordes torsadées, il pourrait s'agir de feuilles de plasma froissées (ou encore pliées ou ridées) vues de profil. Les auteurs appellent cela l'hypothèse du "voile coronal".
Les filaments de plasma et les feuilles de plasma sont très similaires et les deux structures se superposent dans les images UVE de la couronne, rendant les deux phénomènes difficiles à distinguer. Comme on le voit ci-dessous, le nouveau modèle permet aux chercheurs de virtuellement couper l'atmosphère solaire en différentes sections et plans au niveau des régions bipolaires ou se chevauchant afin d'isoler les boucles individuelles de plasma pour les étudier séparément. Fait intéressant, les modèles actuels n'expliquent pas totalement la formation des boucles coronales. Ainsi, lorsqu'une éruption s'élève dans la couronne, les boucles devraient s'épaissir et devenir plus pâles. Or ce n'est pas ce qu'on observe; les boucles restent fines et brillantes. Selon les auteurs, les caractéristiques qui apparaissaient comme des boucles coronales sous un angle, vues en coupe transversale n'apparaissent plus comme des faisceaux de filaments mais comme des caractéristiques tourbillonnantes en forme de feuille. L'hypothèse du voile coronal explique ce comportement et d'autres incohérences. Leur modèle pourrait également résoudre d'autres mystères liés à l'activité solaire.
Comment tester la théorie du voile coronal ? Selon Malanushenko, "Le fait que nous n'ayons pas beaucoup d'expérience avec de fines feuilles de gaz incandescents dans la vie quotidienne est probablement en partie la raison pour laquelle l'hypothèse du voile froissé n'a pas été sérieusement envisagée auparavant." Mais il existe des précédents astrophysiques bien connus, les plus célèbres étant la nébuleuse du Voile ou Dentelle du Cygne NGC 6960/NGC 6995 et la nébuleuse du Crabe, M1, deux rémanents de supernovae (SNR) formés de gaz en expansion. Ces nébuleuses semblent constituées de filaments, mais l'explication courante est qu'à l'instar d'une bulle de savon, l'onde de choc qui percuta le gaz et le porta à l'incandescence forme une fine couche qui n'est visible que lorsqu'elle est comprimée et regroupée dans notre ligne de visée. La même physique s'applique au Soleil combinée à l'effet du puissant champ magnétique solaire qui donne sa forme aux boucles de plasma. Prédire l'activité du Soleil Peut-on prédire l'activité solaire, en particulier l'apparition des taches sombres et l'apparition des éruptions majeures ? Bien que par nature les modèles solaires ne sont pas complets, ils sont déjà très sophistiqués et les prédictions sont beaucoup plus précises qu'il y a une génération. L'astrophysicien solaire Scott McIntosh du HAO qui travaille sur le sujet depuis près de 20 ans obtient des cartes synoptiques dont la corrélation est vérifiée à 90% pour la "zone royale" tandis que les "protubérances magnétiques" de Tahar Amari épousent parfaitement les phénomènes réels. De même en ce qui concerne la corrélation de l'indice RI (le nombre de Wolf) avec la surface des taches solaires; les courbes se superposent avec une corrélation de 97%, celles de l'indice RI avec la densité de flux à 10.7 cm atteint même 99%. Grâce au modèle prédictif "kappa-scheme" (k-scheme) qui se base sur les données magnétiques associées aux éruptions chromosphériques et d'imagerie du satellite SDO de la NASA, aujourd'hui les astrophysiciens solaires peuvent également prédire les éruptions chromosphériques majeures (cf. K.Kusano et al., 2020). Ainsi, en appliquant cette méthode aux données de 2008 à 2019, Kanya Kusano et ses collègues ont pu prédire sept des neuf plus grandes éruptions de classe X jusqu'à 24 heures à l'avance. En fait, les deux éruptions manquantes présentaient des évènements de reconnexion bien au-dessus de la surface solaire qui n'étaient pas dans le champ de vision du satellite SDO, raison pour laquelle elles manquèrent. Jusqu'à présent les chercheurs prédisaient à peine 50% des éruptions de classe X. Cette amélioration des prévisions est très précieuse sachant que les éruptions dirigées vers la Terre ont généralement des effets dans l'environnement terrestre. A voir : Eruptive Event Generator (Gibson and Low), NASA Modèles de prédiction des CME Solar models (request a run), NASA/GFSC/CCMC Modèles de prédiction de l'activité solaire et des effets géomagnétiques
De même, grâce aux mesures effectuées par les instruments du réseau GONG (étude des vibrations du Soleil depuis le sol) et MDI du satellite SOHO, l'héliosismologie explique bien le comportement de notre étoile. Les modèles sont corroborés à 99%. Les astronomes parviennent à simuler la convexion chromosphérique et la propagation des ondes MHD et autre ondes MAG. Ceci dit, pour expliquer les ondes acoustiques, l'héliosismologie doit modifier les valeurs de densité, de température et la vitesse de rotation de l'atmosphère solaire. La variation de l’intensité des rayons cosmiques en fonction de la distance (le gradient) est inférieure au taux théorique, laissant supposer que l’héliosphère est plus étendue que prévue. C'est la raison pour laquelle les astrophysiciens attendent beaucoup des modèles élaborés à partir des nouvelles données recueillies sur les cellules convectives géantes et celle du champ magnétique interstellaire local en interaction avec l'héliopause et le ruban IBEX. Notons que le comportement de la surface solaire peut également être modélisé par des ondes MHD (magnétohydrodynamique) ou des ondes MAG (magnéto-acoustique de gravité, cf. M.Carlsson et al., 2006) tandis que l'étude du flux de neutrinos solaires vient apporter des données sur l'intérieur du Soleil qui viennent compléter les autres modèles. En complétant ces modèles avec les magnétogrammes et les données acquises par les satellites ultraviolet et X, l'astronome est en mesure aujourd'hui d'élaborer des modèles plus précis de notre étoile qu'au début des années 2000. Une des questions ouvertes depuis les années 1960 était ce qu'on appelait le "mystère des neutrinos manquants" sur lequel nous reviendrons. Les neutrinos émis par le Soleil semblaient deux-tiers ou à moitié moins nombreux que les calculs le prédisaient. Pendant 40 ans les physiciens ont cherché la réponse à ce mystère. Nous verrons dans l'article ci-dessus qu'il fallut finalement revoir la physique des neutrinos et découvrir qu'ils avaient une masse, ne fut-ce que légère, et pouvaient se transformer en différenst types de neutrinos au cours de leur propagation. Cette découverte faite 2001 grâce à l'observatoire de Sudbury allait afin reconcilier les physiciens et les astrophysiciens et confirmer l'exactitude du modèle théorique du Soleil. Les modèles solaires devenant très précis, nosu verrons que les activités superéruptives des étoiles naines de classe M qui furent simulées avec succès sur base de ce que nous savons sur les CME solaires. Prochain chapitre |