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Histoires d'impacts Scénarii de défense (VII) Nous pouvons actuellement prédire l'arrivée des astéroïdes des décennies à l'avance et celles des comètes de la famille Swift-Tuttle à quelques mois d'avance seulement. Malgré tout, n'ayons pas peur de le dire : si une collision était prévue dans les années à venir, il n'existe aujourd’hui aucun moyen pour éviter la catastrophe. Pour plancher sur cette nouvelle menace, les scientifiques ont imaginé utiliser les plus puissantes armes de défense nucléaire contre les astéroïdes. Mais si cela marche dans les films de science-fiction, il y a un pépin dans ce scénario : la taille de ces corps. Une arme "normale" de 20 MT serait incapable d'en pulvériser même un seul ! Cette méthode est donc inefficace. Le remède serait même pire que le mal et provoquerait une gigantesque pluie de météorites; une véritable bombe à fragmentation tomberait sur la Terre... avec des tsunamis et des incendies se propageant sur la moitié de la planète ! Il fallait donc trouver autre chose, une méthode capable non pas de fragmenter le corps menaçant mais de le pulvériser totalement.
Etant donné qu'il n'y a pas de limite au volume d'une arme nucléaire, les ingénieurs ont donc imaginé la bombe type : ce serait la bombe atomique la plus puissante jamais construite, 1 GT (la Tsar Bomba soviétique faisait 50 MT), placée à bord de la fusée la plus grande (Proton ou Saturn V) qui serait propulsée dans l'espace à 11 km/s (40000 km/h). Mais rapidement il apparut qu'une bombe de cette puissance serait en fait aussi menaçante que l'astéroïde en cas d'accident sur le pas de tir ou si elle était détournée de son usage. Cette solution folle a donc été écartée. Si on ne peut pas arrêter un astéroïde, ne peut-on pas l'éviter ? Al W. Harris et Tom Arrens ont alors eu l'idée de le dévier de sa trajectoire. Si on fait exploser un missile de 20 MT à proximité de l'astéroïde et en amplificant l'explosion, le souffle ainsi créé pourrait le faire dévier de sa trajectoire. L'angle serait-il suffisant ? Les chercheurs pensent que c'est possible. L'écart minimum de sécurité est égal au rayon de la Terre, soit 6000 km. Il faut également tenir compte de l'accélération de l'astéroïde et du délai nécessaire à la mise en place de ce scénario. Al Harris arrive à la conclusion qu'on pourrait sauver le monde en accélérant l'astéroïde à raison de 2 cm/s à chaque seconde et en s'y prenant 10 ans avant l'impact prévu sur Terre.
Mais cette solution présente des limites. Les scientifiques estiment qu'une bombe de 1 MT suffirait pour dévier un astéroïde de 200 m de diamètre de sa trajectoire s'il se situe à environ 1 UA de la Terre. Mais si l'objet fait 10 km de diamètre, ce sont des centaines de mégatonnes voire des gigatonnes qui seront nécessaires. La fusée qui emporterait ces bombes serait en fait plus dangereuse que l'astéroïde lui-même ! Pour ce dernier on pense toutefois être en mesure de le détecter des années à l'avance. Se greffe sur ce problème le fait qu'il faut construire des fusées si elles ne sont pas disponibles et tenir compte de la durée du vol interplanétaire. En l'espace d'une semaine on peut armer une fusée et l'envoyer vers une cible proche mais dans le cas d'un astéroïde de plusieurs kilomètres de diamètre, le vol peut durer des mois ou des années sans compter les aleas d'un vol dans l'espace. Quant à 1950DA, nous avons à présent le temps de le voir venir et de le dévier. Enfin, le croyait-on... Car ce calcul est fondé sur des corps solides principalement constitués de fer (sidérites). Mais que se passerait-il si l'astéroïde était friable ? Dan Durda, pilote de chasse et planétologue au département d'études spatiales du SwRI à Boulder et qui a donné son nom à un astéroïde, s'est attaché à cette question en bombardant en laboratoire des fragments de météorites pour évaluer leurs réactions à l'impact. Il ressort de son étude qu'une météorite dur et dense se désintègre à l'impact, comme prévu. Mais sur des échantillons poreux et friables comme celui qui explosa le 18 janvier 2000 à Atlin au-dessus du lac Tagesh en Colombie Britannique, l'effet est fort différent. Un impact à 5 km/s sur un corps poreux ne produit aucun effet; le matériau absorbe presque complètement la puissance de l'impact. En d'autres termes, là où une météorite dense est déviée de sa trajectoire de quelques cm/sec, une poreuse agit comme une éponge ! Cette constatation signife qu'un astéroïde poreux mesurant 1 km resterait extrêmement dangereux, absorbant tout l'impact du missile et ne dévierait pas de sa trajectoire. Il faut donc savoir si les astéroïdes de ce type sont exceptionnels ou s'il y en a beaucoup d'autres. Ainsi que nous l'avons vu dans les articles consacrés à la Ceinture des astéroïdes et autres KBO, l'idée que les astéroïdes sont des rochers durs a progressivement changé vers les années 2000 suite à l'exploration in situ de certains d'entre eux. Plus un astéroïde est solide plus il tourne rapidement sur lui-même. Si sa rotation est lente il est probablement poreux car s'il tournerait plus vite il se désintégrerait. Extrapolé à partir des mesures de luminosité faites sur les astéroïdes, les chiffres révélèrent quelques surprises. La bonne nouvelle est que 1950DA par exemple a une vitesse de rotation très rapide; il est constitué de matière dure et il est donc possible de le dévier. Mais mauvaise nouvelle, ainsi que le révèlent les diagrammes présentés ci-dessous, il existe des centaines d'astéroïdes lents et poreux qu'il est impossible de bousculer; cela reviendrait à essayer de percuter une balle d'ouate ou un gel antichoc avec une épingle en espérant le déplacer. Le cas échéant, les ingénieurs devront donc trouver un autre moyen de les détourner de leur trajectoire. Une idée consiste à repérer l'astéroïde longtemps à l'avance pour trouver une stratégie efficace. Mais le résultat n'est pas garanti et on ne peut pas se contenter de cette fatalité.
Entre-temps, en 2001 la sonde NEAR atterrit sur l'astéroïde Eros et les astronomes découvrirent concrêtement la structure du sol de cet astre. Plus récemment, en 2014 la sonde Philae se posa sur la comète Churyumov-Gerasimenko (67P). Ces évènements furent salués à la hauteur de la prouesse technologique. Imaginez que cela correspond à déposer un grain de poussière sur un objet en mouvement de la taille d'un cheveux évoluant à 100 mètres de distance ! Réussir à s'approcher de si près d'une cible mobile offrait une indication précieuse sur la précision que l'on pouvait obtenir lors d'un rendez-vous avec un corps se déplaçant à plusieurs km/s. L'atterrissage sur Eros alla notamment inspirer une nouvelle idée. L'ablation de surface Le collecteur solaire de Jay Melosh L'atterrissage réussit de la sonde NEAR sur Eros inspira une technologie toute nouvelle : le collecteur solaire de Jay Melosh. En 1993, Jay Melosh et Ivan Nemchinov ont proposé de construire un collecteur qui permettrait de concentrer la lumière solaire sur la surface de l'astéroïde menaçant. L'énergie solaire ainsi concentrée pulvériserait localement la couche superficielle, dégagant du gaz ce qui permettrait par réaction de dévier progressivement l'astéroïde de sa trajectoire de collision avec la Terre. Etant donné la taille et la masse des astéroïde, le collecteur devrait rester près de l'objet durant plusieurs années (cf. J.Melosh et I.Nemchinov, 1993; S.P. Gong et al., 2011) Lors de son annonce, l'idée de Melosh fut fortement critiquée par les militaires qui mettaient toute leur confiance dans le souffle des bombes plutôt que dans le rayonnement solaire. L'idée avait selon eux des relans d'écologisme mal placé. Le temps passant, après le succès de la mission sur Eros, l'idée de Melosh semblait toutefois possible. Mais il y avait, croyait-on, une faille dans ce scénario : est-il possible aujourd'hui de construire un tel collecteur solaire ? Melosh lui-même pensait que cette technologie était futuriste jusqu'à ce que le directeur d'une petite entreprise lui apprenne que cela existait déjà en petit format : une société américaine construisait des miroirs paraboliques pour les satellites micro-ondes des services gouvernementaux et confirma que son idée était réalisable sous forme de toile gonflable réfléchissante. La loupe spatiale de Melosh pouvait donc être construite. Sa mise en oeuvre nécessite une sonde spatiale de la classe NEAR. Le collecteur serait mis en orbite autour de l'astéroïde puis prendrait place sur une orbite synchrone. De là il consumerait la surface de l'astéroïde ce qui le dévierait lentement de sa trajectoire, sauvant du même coup la Terre... Les lasers de Thiry et Vasile Ce projet donna des idées à d'autres chercheurs dont Campbell, Phipps et al. (1992, 1997) ainsi que Park et Mazanek (2005) qui proposèrent de vaporiser (sublimer) la surface de l'astéroïde menaçant avec un puissant laser mégajoule alimenté par un réacteur nucléaire. Le problème est qu'à l'heure actuelle il n'existe pas de réacteur nucléaire capable de fonctionner dans l'espace. De plus, il faudrait modifier le Droit spatial pour permettre l'utilisation d'un réacteur nucléaire dans l'espace. Se greffe sur ces questions la difficulté de manoeuvrer et d'utiliser une structure aussi grande.
On a bien imaginé d'utiliser un essaim de petits satellites équipés chacun d'un concentrateur solaire (le concept "Mirror Bees") qui vaporiseraient la surface de l'astéroïde monolithique mais cela ne fonctionne qu'à proximité de l'astéroïde (quelques centaines de mètres) avec le risque que les ejecta et les poussières retombent sur les satellites. Il faut donc trouver une méthode similaire fonctionnant à plus grande distance (1-4 km) pour éviter la plume d'ejecta et toute contamination en utilisant par exemple un faisceau laser concentré (il peut s'agit de plusieurs lasers d'une puissance de l'ordre du kilowatt) qui pourrait se propager sur quelques kilomètres sans perdre d'energie. Une solution de ce type fut imaginée en 2015 par les chercheurs Nicolas Thiry et Massimiliano Vasile de l'Université Strathclyde de Glasgow qui proposèrent d'utiliser de puissants lasers mégajoules pour vaporiser la surface de l'astéroïde menaçant. Ici également, l'ablation de matière libérerait de l'énergie et donc modifierait la masse et les paramètrres orbitaux de l'astéroïde, ce qui permettrait de le repousser sur une autre trajectoire sans risque pour la Terre. Mais avec les comètes, le jeu se complique. Ainsi que nous l'avons dit, une comète de la famille Swift-Tuttle par exemple ne permet aucune prévision à long terme. Nous savons qu’elle doit s’approcher de la Terre en 2126 mais personne ne sait encore si elle percutera ou non la Terre ! Pourquoi ? Simplement parce que sa trajectoire est chaotique et donc très sensible à la moindre perturbation. Même si on établit sa trajectoire complète aujourd’hui, suite à l’évaporation progressive de son noyau, sa trajectoire se modifie en permanence sous l’influence des forces gravitationnelle de tous les membres du système solaire et le tracé d’aujourd’hui sera faux d’ici un siècle. Aussi, bien que son évaporation soit minime et aléatoire il est impossible de quantifier toutes ces perturbations avec précision et cela engendre des erreurs qui ne font que s’amplifier exponentiellement avec le temps. Mais il existe d'autres dangers. La comète Hale-Bopp, qui frôla la Terre en mars 1997 à 90 millions de km de distance, appartient à la famille des comètes à longue période. Cela signifie qu'elle revient vers le Soleil à intervalles réguliers. Par moment loin du Soleil, elle ne bouge pratiquement pas, mais près du Soleil elle peut atteindre des vitesse de l'ordre de 60 à 70 km/s, soit près 250000 km/h ! A cette vitesse elle survole la Terre en 3 minutes ! Pire, elle est seulement visible après avoir passé le Soleil... Bien que cela soit hautement improbable en raison de la forme de son orbite, si une telle comète se dirige vers la Terre, nous ne le saurons que 2 ans avant la collision. Aucun collecteur, aucune arme ne pourrait nous sauver...Mieux vaut ne pas y penser... Finalement, les experts n'ont retenu que trois techniques a priori efficaces pour dévier la trajectoire d'un astéroïde : - le tracteur gravitationnel (la trajectoire de l'astéroïde est modifiée par la présence d’un satellite massif placé à ses côtés) - l'ogive nucléaire (mais pas sans danger à cause des débris qui peuvent retomber sur la Terre) - l'impacteur cinétique (un ou plusieurs missiles sont lancés vers l'astéroïde menaçant dans le but de dévier sa trajectoire). Cette idée s'est concrétisée en 2021 avec la mission DART. Dans le cadre de la mission DART (Double Asteroid Redirection Test), la NASA en collaboration avec l'ESA lança le 24 novembre 2021 une sonde spatiale en direction de l'astéroïde binaire Didymos (65803) de 780 m de diamètre situé à moins de 1.3 UA du Soleil et autour duquel gravite la petite lune Dimorphos de 160 m de longueur et dont la masse est d'envion 5 millions de tonnes. Le but était de percuter Dimorphos pour tenter de la dévier de sa trajectoire et ainsi tester en conditions réelles la technique de l'impacteur cinétique. C'est un crash-test qui coûta 325 millions de dollars.
Après avoir parcouru 11.3 millions de kilomètres ou 0.07 UA, la sonde spatiale DART atteignit comme prévu l'astéroïde binaire le 26 septembre 2022. Animée d'une vitesse d'environ 22530 km/h soit 6.25 km/s, la collision de la sonde qui pesait 570 kg sur Terre s'est produite le même jour à 23h14 TU. Elle fut si violente qu'elle libéra un important nuage de poussière qui fut visible dans un télescope amateur de 30 cm de diamètre (cf. Twitter et YouTube). Analyse des effets de l'impact La sonde spatiale DART intégrait un cubesat LICIACube basé sur la plate-forme 6U fabriqué par l'Agence Spatiale Italienne qui fut éjecté au moyen d'un ressort 10 jours avant le rendez-vous pour capturer les images de l'impact et des éjectas et les renvoya à la Terre. L'impact de la sonde spatiale DART n'a pas formé de cratère ou du moins il n'a pas encore été observé car la surface de Dimorphos est très instable et on s'y enfonce comme dans un tas de grosses balles en plastique. En revanche, le nuage de poussière et de débris éjecté sous l'impact fut important. On estime que la quantité de matière éjectée de Dimorphos représente au moins 1000 tonnes de roches (cf. R.Rao, 2022; A.Witze, 2023). Les données photométriques du Télescope Spatial Hubble ont montré que 37 gros rochers furent éjectés de la surface de Dimorphos dont la taille varie entre ~1 et 6.6 m de diamètre, représentant une masse totale de 5000 tonnes soit 0.1% de la masse de Dimorphos pour une densité moyenne de 2.2. Ils s'éloignent de l'astéroïde à seulement ~0.30 m/s soit ~1 km/h (cf. D.Jewitt et al., 2023). Selon le planétologue Andy Rivkin du Laboratoire de physique appliquée et l'un des responsables de la mission DART, "Nous ne nous attendions pas à ce qu'autant de rochers aussi gros soient arrachés. Nous pensons qu’il doit s'agir de rochers préexistants que l'onde de choc a éjecté. Ils n'ont pas été créés lors de l'impact." En effet, cs rochers éjectés ne sont probablement pas des morceaux de l'astéroïde brisés par l'impact. Ils étaient déjà dispersés sur la surface de Dimorphos, comme en témoignent les deux dernières photos en gros-plan prises par la DART deux et une seconde seulement avant la collision à respectivement environ 12 et 6 km au-dessus de sa surface (voir ci-dessous). Sous le choc, ils furent simplement soulevés du sol, ce qui leur suffit pour atteindre la vitesse de libération. Pour rappel, à la surface de la Terre la gravité représente une accélération de la pesanteur de 9.81 m/s2 et la vitesse de libération est de 11.2 km/s soit 40320 km/h). Sur Dimorphos l'accélération de la pesanteur n'est que de 5x10-5 m/s2 et la vitesse de libération n'est que de 0.36 m/s, autrement dit des valeurs quasiment nulles (cf. F.Moreno et al., 2022). Concrètement, si c'était possible, il suffirait de marcher sur Dimorphos ou de souffler un peu d'air par la bouche pour se retrouver en orbite ! A voir : DART’s Final Images Before Asteroid Impact (MP4), JHUAPL, 2022 Libération d'un nuage de poussière lors l'impact de DART sur Dimorphos (MP4), ATLAS project How far is asteroid Didymos from Earth ?, The Sky Live Simulation de la formation de Dimorphos (MP4)
Les scientifiques pensent qu'il y a longtemps Dimorphos s'est probablement formé à partir de matériaux éjectés dans l'espace par Didymos (cf. cette simulation). Le corps parent a peut-être tourné trop rapidement ou a perdu de la matière suite à une collision avec un autre objet, parmi d'autres scénarii. Le matériau éjecté forma un anneau qui finit par s'agglomérer par gravité pour former Dimorphos. Cela en ferait un tas de débris rocheux maintenus ensemble par une gravité très faible. Par conséquent, l'intérieur n'est probablement pas solide, mais présente une structure qui ressemble plus à un tas de billes (ou une grappe de raisins). Jewitt estime que l'impact souleva 2% des rochers de la surface de Dimorphos. Les observations faites par le HST donnent également une estimation de la taille du cratère d'impact. Selon Jewitt, "Les rochers auraient pu être éjectés d'un cercle d'environ 50 mètres de diamètre (la largeur d'un terrain de football)". La mission Hera permettra de déterminer la taille réelle du cratère d'impact. On ignore comment les rochers furent soulevés de la surface de l'astéroïde. Ils pourraient faire partie du panache d'éjecta. Ou une onde sismique formée lors de l'impact peut avoir secoué l'astéroïde et éjecté des rochers dans l'espace - comme une onde se forme lorsqu'on frappe sur un tambour et soulève la poussière accumulée sur sa surface. Selon Jewitt, "Si nous suivons les rochers lors des futures observations du HST, nous aurons peut-être suffisamment de données pour déterminer les trajectoires précises des rochers individuels. Et nous verrons ensuite de quels endroits de la surface ils furent éjectés." Entre-temps, lors d'une conférence de presse, Bill Nelson, administrateur de la NASA, déclara qu'avant l'impact, la période de Dimorphos était de 11h55m. Après l'impact, les simulations indiquaient qu'elle devrait être plus courte de 10 minutes. Les mesures indiquent que sa période de révolution est à présent de 11h23 ±2m; son orbite a donc été réduite de 32 minutes soit de 4.48% et Dimorphos évolue un peu plus près de Didymos. Les scientifiques travaillant sur le projet ont même pu mettre une valeur sur l'efficacité de la technique à travers une quantité appelée "bêta" égale à 3.6. Autrement dit, l'impulsion transférée par Dart à Dimorphos était 3.6 fois plus importante que si l'impulsion de la sonde spatiale d'une demi-tonne avait simplement été absorbée par l'astéroïde et n'avait produit aucun éjecta. En résumé, la technique de l'impact fonctionne et permet de dévier un petit astéroïde potentiel dangereux de sa trajectoire. Comme expliqué précédemment (voir page 4), à long terme - d'ici 20000 ans - comme d'autres NEO évoluant sur des obites instables, les rochers éparpillés sur l'orbite de Didymos risquent d'être déviés de leur trajectoire et de s'écraser sur Mars et dans une moindre mesure sur la Terre. Comme nous le faisons sur Terre, nos futurs colons martiens devront donc également surveiller ces astéroïdes potentiellement tueurs. La mission Hera
Dans le cadre de la mission Hera, le 7 octobre 2024 l'ESA en collaboration avec SpaceX lança une sonde spatiale étudier les effets de la collision et ainsi déterminer l'efficacité du procédé. Hera contient 12 instruments et deux CubeSats, les nanosatellites Juventas et Milani. Hera atteindra Dimorphos en décembre 2026. A cette époque, le nuage de rochers sera toujours en train de se disperser très lentement et finira par se placer le long de l'orbite de l'astéroïde binaire autour du Soleil. Une étude a montré que plusieurs petits rochers pourraient encore être présents autour de Dimorphos en 2026 et présenter en théorie un risque pour la sonde Hera. Heureusement, la probabilité d'une telle collision est assez faible. Hera restera près de Dimorphos durant 6 mois. Ensuite, elle pourrait se poser sur Dimorphos ou Didymos avant de tomber à court de carburant. Le nanosatellite Juventas développé par Gomspace devrait se poser sur Dimorphos. Equipé d'un radar, il sondera la structure de l'astéroïde et mesurera son champ de gravité. Milani développé par Tyvak International étudiera la composition de Dimorphos à l'aide d'une caméra multispectrale et d'un détecteur de poussières. Les télescopes spatiaux Hubble et le JWST seront également mis à contribution. Combien d'énergie faut-il pour détruire un astéroïde ? S'il est difficile et dangereux de détruire un astéroïde avec une arme nucléaire, les films hollywoodiens nous donnent l'impression qu'avec un peu d'imagination on pourrait éliminer n'importe quel astéroïde, y compris un exterminateur... Mais les scénaristes se trompent probablement car la méthode "à la Bruce Willis" (cf. Armageddon) ne semble pas adéquate. L'équipe de Charles El Mir de l'Université Johns Hopkins (JHU) a simulé l'effet d'un impacteur sur un astéroïde approchant de la Terre afin de savoir ce qui se passe après son explosion dans l'espace. Comme dans les films hollywoodiens, on pense généralement que plus l'astéroïde est grand, plus il se brisera facilement, car les objets plus volumineux sont plus susceptibles de présenter des défauts structurels. Les résultats de leurs simulations dont une vidéo est présentée ci-dessous furent publiés dans la revue "Icarus" en 2019 et montrent que soit l'astéroïde risque de ne pas fortement se briser soit qu'il se brisera mais qu'il ramenera à lui tous les petits débris. Selon El Mir, les résultats des simulations "montrent toutefois que les astéroïdes sont plus attractifs que nous ne le pensions et exigent plus d'énergie pour être complètement brisés." En effet, après l'explosion, les débris éparpillés se reconstituent pour former un nouvel astéroïde. La question est donc de savoir combien d’énergie faut-il pour détruire un astéroïde et le briser en morceaux ? La réponse dépend évidemment de la taille et de la densité de l'astéroïde mais de toute évidence elle doit être très supérieure aux résultats obtenus par les modèles actuels. Selon El Mir, la simulation prit en considération l'impact direct à 5 km/s d'un impacteur en basalte de 1.21 km de diamètre sur un astéroïde rocheux (et donc poreux) de 25 km de diamètre. La simulation comprenait deux phases : une phase de fragmentation très rapide et une phase de réaccumulation gravitationnelle dans un délai bien plus long. A voir : Asteroid Collision Model Phase 2: Reaccumulation by Gravity, JHU
La première phase simulée concernait les processus qui commençaient immédiatement après la fragmentation d'un astéroïde et le début de l'attraction, processus qui démarrait une fraction de seconde après sa destruction. La deuxième phase, à long terme, tenait compte de l'effet de la gravité sur les débris ayant quitté la surface de l'astéroïde après l'impact et la réaccumulation gravitationnelle qui se produisit plusieurs heures après l'impact. Dans la première phase, après que l'astéroïde ait été touché, des millions de fractures se formèrent et se propagèrent à travers l'astre. Sous l'impact, des parties de l'astéroïde fondirent et un cratère se forma. Durant cette phase, les fractures avaient tendance à s'étendre. Le nouveau modèle montre que tout l'astéroïde ne s'est pas brisé sous l'impact, contrairement à ce qu'on pensait auparavant. En fait, l'astéroïde impacté présentait un grand noyau qui fut endommagé. Ensuite, une structure granulaire se reforma et continua d'exercer une forte attraction sur les fragments au cours de la deuxième phase de la simulation. Les chercheurs ont constaté que le résultat final de l'impact n'était pas la formation d'un nuage de débris fragiles maintenus par gravité. Au lieu de cela, l'astéroïde impacté a conservé une résistance significative car il ne s'était pas complètement fissuré, ce qui indique qu'il faudrait plus d'énergie que prévu pour détruire un astéroïde rocheux (sans même parler d'une sidérite). Dans le même temps, les fragments se sont redistribués autour du noyau, fournissant un indice utile aux futurs mineurs de l'espace. Ces résultats suggèrent que les seuils de perturbation pour les astéroïdes rocheux sont plus élevés que prévu lorsqu'on tient compte des mécanismes de dissipation d'énergie tels qu'un écoulement granulaire et un effondrement des pores. Exercice de simulation d'un hypothétique impact sur la Terre Pour mieux se préparer à l'éventualité d'une collision avec un astéroïde, pendant l'Académie Internationale d'Astronautique (IAA) 2021, le centre CNEOS de la NASA organisa le premier Exercice de la Conférence virtuelle sur la Défense Planétaire (PDC21). Sa particularité est d'illustrer les débats avec un exercice pratique d'intervention d'urgence simulant l'impact d'un hypothétique astéroïde nommé 2021 PDC. Les détails de ce scénario qui s'étend sur plusieurs mois sont disponibles sur la page Internet du CNEOS. A voir : Planetary Defense Conference Exercice - 2021, NASA-CNEOS A consulter : Tweets #FICTIONALEvent Ne nous alarmons pas ! Du reste, certains astronomes propagent aussi des rumeurs que des journalistes empressés publient sans même vérifier leurs sources, comme ce fut le cas en mars 1998. A l'époque, Brian Marsden du Bureau des Télégrammes de l'UAI annonça dans la la Circulaire 6879 que "l'astéroïde 1997 XF11 était "pratiquement certain" de passer à moins de 80% de la distance de la Lune et qu'il présentait une "petite ... pas tout à fait hors de question" possibilité de frapper la Terre le 26 octobre 2028." Cette découverte fit la manchette des journaux aux quatre coins du monde durant 2 jours. Finalement, Marsden publia une correction dans la Circulaire 6879 qui infirma ce pronostic alarmiste. Après avoir recaculé sa trajectoire, 1997 XF11 allait frôler la Terre à plus de 0.0062 UA ou 930000 km de distance. Ouf ! La Terre était sauvée (cf. B.G. Marsden, 1999). En fait, à partir des données qu’il possédait plusieurs mois auparavant, si Marsden avait effectué consciencieusement son travail et notamment effectué les vérifications d'usages auprès de ses collègues, il aurait pu annoncer que cet astéroïde passerait loin de la Terre ! Marsden commit une faute professionnelle. Rappelons que 1997 XF11 est un astéroïde NEO de la famille Apollo qui nous rend visite tous les 633 jours. Mais ne nous alarmons pas. La population mondiale est répartie sur seulement 3% de la surface de la Terre. Le reste n'est qu'une question de hasard. Pour Chapman et Morrison, "l’influence du hasard doit être analysée et parallèlement comparée aux problèmes des priorités que nous devons accorder à notre société, tout en la mettant en rapport avec les autres désastres écologiques potentiels et le hasard en général... Mais à choisir entre ne rien faire et faire quelque chose contre ce fléau céleste, nous estimons que la société devrait établir une règle lui permettant de riposter dès lors que les autres risques liés au hasard seraient mesurés." Bien sûr une météorite a plus de chance de tomber sur les 97% inhabités de la surface de la Terre. Malheureusement on ne peut pas raisonner ainsi et espérer qu'elle tombera bien loin de chez nous. Car si réellement elle devait tomber sur le petit pourcentage habité, il y aurait au bas mot plusieurs dizaines de millions de morts (pour rappel, selon les endroits on estime qu'il y aurait entre 1 et 20 millions de tués par explosion de l'équivalent de 1 MT de TNT). Nous devons donc éviter qu'une telle catastrophe n'arrive. Aujourd'hui la remarque de Chapman et Morrison est prise au sérieux et nous avons vu qu'il existe quelques moyens efficaces pour riposter à ce type de menace. Ceci dit, le risque 0 n'existe pas. Quoi qu'il en soit, dans un autre contexte, si on cherche une cause astronomique aux extinctions de masse, il y a lieu de prendre le bombardement météoritique très au sérieux. Non seulement il nous apporte les preuves d'une contamination prébiotique extraterrestre mais il permet d'améliorer les analyses de stratigraphie. L'étude de ces petits corps est indispensable si nous souhaitons connaître dans le détail nos origines à partir de la nébuleuse protosolaire. Pour plus d'informations
Sur Internet Flash on Jupiter (vidéo d'un impact sur Jupiter), APOD, 2021, YouTube Earth Impact Effects Program, Imperial College London (simulateur) Asteroid Launcher (simulateur) Killer Asteroids (simulateur) Down2Earth (simulateur) National Near-Earth Objects Preparedness Strategy and Action Plan (PDF), White House, 2018 Hunting Asteroids From Your Backyard, Dennis Di Cicco Near-Earth Objects, The Watchers Fireball and Bolide Reports (liste des évènements), JPL/NEO Program CNEOS (JPL) Planetary Defense Conference Exercice - 2021, NASA-CNEOS Sentry - Earth Impact Monitoring, CNEOS/JPL Asteroid Watch, JPL PHA Close Approaches To The Earth, MPC NEO Program Office (risque d'impact), JPL/NEO Program NEO DyS-2 (Risk page) Comité Consultatif sur les Météorites et les Impacts, MIAC/CCMI Spacewatch project, U.Arizona Catalina Sky Survey, LPL/U.Az. La menace du ciel (les NEO), par Michel-André Combes Laser Bees. A Concept for Asteroid Deflection & Hazard Mitigation (PDF, ablation laser), A.Gibbings et al./U.Strathclyde/U.Glasgow, 2012 Solar asteroid diversion (collecteur solaire), J.Melosh et I.Nemchinov, Nature, 366, pp.21-22, 1993 Were Carolina bays created by the Saginaw Impact Manifold?, Google Earth blog Solving the Mystery of the Carolina Bays, Antonio Zamora eds, 2015 Kuiper Belt, David Jewitt Averting Armageddon, ABC Dan Durda, SwRI Jay Melosh, JPLNEO Information Centre Solarviews, Calvin Hamilton IAU Commission 22, Meteors, Meteorites and Interplanetary Dust, U.Az Asteroids - CBAT-MPC-ICQ Index Voir également mes 1001 liens (Astrophysics, Meteorites...) Retour aux Histoires d'impacts
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