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L'origine et l'avenir de l'Homme

"Flo", une Homo floresiensis dont voici une vue en buste. Document Atelier Daynès.

L'Homo floresiensis : 95000 - 12000 ans (XII)

La découverte de l'Homo floresiensis en 2003 représente la plus grande découverte paléontologique du XXe siècle. Par ses implications, elle fit l'effet d'une bombe dans le milieu de la paléoanthropologie et souleva beaucoup d'émotions parmi les défenseurs de la théorie de l'évolution, y compris chez les adeptes de la théorie des équilibres ponctués.

L'annonce de sa découverte fit la une de tous les médias et fut vraiment sensationnelle. On en parla dans les clubs scientifiques bien plus que de tout autre sujet au point que l'existence de cette nouvelle espèce fait aujourd'hui partie de la culture populaire.

Nous allons donc décrire cette espèce de manière détaillée car elle occupe une place particulière dans notre arbre phylogénique et soulève beaucoup de questions auxquelles nous tenterons de répondre en compagnie de plusieurs experts.

Jusqu'au début des années 2000, les scientifiques considéraient qu'un seul genre d'homininé, Homo, était présent en Asie au Pléistocène (entre 2.6-0.01 million d'années), représenté par deux espèces, l'Homo erectus et l'Homo sapiens. Les deux espèces étaient caractérisées par un cerveau plus grand, une taille plus importante et des dents plus petites que celles des Australopithèques d'Afrique vivant au Pliocène (5.3-2.6 millions d'années).

L'Indonésie fut le dernier archipel conquit par l'homme avant qu'il n'atteigne l'Océanie. On a déjà trouvé des fossiles d'Homo erectus à Java remontant à 1.66 million d'années, aux Philippines (sur l'île de Luzon) remontant à 709000 ans (cf. T.Ingicco et al., 2018) et même sur l'île de Florès (site de Mata Menge) remontant à 840000 ans et bien entendu des fossiles d'Homo sapiens sur plusieurs îles de l'archipel de la Sonde. Mais les nouveaux fossiles découverts à Florès apportent la preuve que l'Homo floresiensis, une espèce humaine naine, vivait également à la fin de la période glaciaire (110000-10000 ans dont le maximum glaciaire apparut voici 22000 ans). Toutefois, son origine demeure obscure. On y reviendra.

Les ossements du "Hobbit"

C'est au cours d'une mission paléontologique australo-indonésienne dirigée par Peter Brown sur l'île de Florès (l'île des Fleurs), située à l'est de Java, en Indonésie, que les chercheurs découvrirent en septembre 2003 dans la caverne de Liang Bua (signifiant "la caverne froide") située au centre de l'île, à 16 km au nord de Ruteng, les squelettes fossilisés d'une nouvelle espèce d'homininé du genre Homo : l'Homo floresiensis.

Situation géographique de l'île de Florès. Document Google Earth.

Les ossements du spécimen (Holotype Liang Bua 1 ou LB1) étaient enfouis à 5.9 m de profondeur et étaient associés à de nombreuses pierres taillées de type Oldowayen et quelques ossements d'animaux.

Les ossements de LB1 sont constitués d'un crâne pratiquement complet, d'une mandibule, de l'humérus, d'un fémur, d'un tibia, d'un pied gauche relativement complet et des fragments du pied droit, d'une partie du bassin et plusieurs autres fragments mais aucune trace de la cage thoracique. LB1 reste cependant le fossile d'Homo floresiensis le mieux conservé à ce jour.

A première vue les chercheurs crurent qu'il s'agissait du squelette d'un enfant. Mais des recherches complémentaires révélèrent bien autre chose.

Les fossiles de LB1 sont de petite taille, 1.06 m pour l'entiereté du squelette, et son crâne est petit mais proportionné. L'usure des dents et les lignes de croissance de son crâne confirment qu'il s'agit d'un adulte. Les détails du pelvis indiquent qu'il s'agit d'une femelle et le fémur confirme qu'elle marchait debout comme notre espèce. Cette femelle Homo floresiensis mourut vers l'âge de 30 ans. Elle fut surnommée la "Petite Dame de Florès" (Little Lady of Flores) ou "Flo". L'analyse radioisotopique révéla que son squelette est âgé de 18000 ans.

Vu sa petite taille, le spécimen fut surnommé le "Hobbit" par référence au roman de John R.Tolkien publié en 1937 (et qui inspira le film du même nom en 2012).

La découverte de la nouvelle espèce d'homininé fut annoncée dans la revue "Nature" en novembre 2004 (vol.431 et 437).

En 2005, Peter Brown et son équipe mirent à jour de nouveaux fragments : LB2 (une prémolaire inférieure), LB3 (un cubitus), LB4 (un radius et un tibia d'enfant), LB5 (des vertèbres et le métacarpe d'un adulte), LB6 (les os de la main, une omoplate et une mandibule d'un autre adulte), LB7 (les os du pouce), LB8 (un tibia) et LB 9 (un fémur) et d'autres pierres taillées.

Selon le paléoanthropologue Mark Moore de l'Université de New England en Australie, les pierres taillées sont divisées en trois groupes. Les premières furent fabriquées essentiellement en tuf, une matière volcanique, entre 100000 et 18000 ans par l'Homo floresiensis. Les autres outils, un peu mieux travaillés mais similaires furent surtout fabriquées à partir de chert (calcédoine, dont les éclats sont vitreux) par des Homo sapiens il y a environ 11000 ans. Enfin, 7000 ans plus tard, les Homo sapiens de Liang Bua fabriquèrent des pierres taillées très différentes, rectangulaires, plus fines et très affûtées servant de couteau et de racloir comme on le voit ci-dessous.

Au total, depuis la découverte de l'Homo floresiensis, les ossements et les dents de 12 individus ont été découverts à Liang Bua, qui est aussi le seul site où des restes de cette espèce ont été découverts à ce jour. Le nombre élevé de spécimens confirme également que leur petite taille n'est pas une anomalie comme certains l'ont déclaré.

Ci-dessus, la caverne de Liang Bua où furent découverts les squelettes de l'Homo floresiensis et des pierres taillées en 2003. Voici une autre photo du site. L'île de Florès compte de nombreuses cavernes de ce type constituées de calcaire. Le site est en partie ouvert au public. A droite, le pied gauche de l'Homo florensiensis. Ci-dessous à gauche, des pierres taillées et des ossements de l'Homo florensiensis ainsi que des molaires de Stégodon. A droite, un éventail des nombreuses pierres taillées découvertes sur le site. Celles de gauche fabriquées par l'Homo floresiensis sont en tuf tandis que celles de droite, fabriquées par l'Homo sapiens, sont en chert. Le couteau rectangulaire fut fabriqué par l'Homo sapiens 7000 ans après les bifaces. Documents Peter Brown et al., W.Jungers et al. et Mark Moore.

Anatomie de "Flo"

Anatomiquement, le crâne de "Flo" est à l'échelle de son corps et donc proportionné, ce qui assez inhabituel chez les humains ainsi que nous le verrons. Son crâne présente une large arcade sourcilière et de grandes cavités orbitales circulaires, différentes de celles de l'Homo sapiens, tout comme sa cavité nasale dont l'échancrure est plutôt large. Les proportions entre la face et le crâne ainsi que la flexion de la base du crâne se rapprochent du profil des espèces éteintes tel que l'Homo erectus. Comme chez l'Homo erectus, dans le plan coronal le menton est arrondi et fuyant.

Comme l'a décrit Peter Brown et ses collègues en 2009, la taille et la morphologie des dents de "Flo" sont assez larges comparativement au reste de son crâne, de même que sa mâchoire, deux caractéristiques plus proches de celles des Australopithèques et des toutes premières espèces d'homininés que de l'Homo erectus. En revanche, ses canines sont petites et peu développées, ce qui la rapproche de l'homme moderne.

Ses membres sont très longs, tant ses bras que ses jambes. C'est une caractéristique qu'on rencontre chez les singes et les Australopithèques plutôt que chez les Homo erectus (un squelette complet d'Homo habilis n'ayant pas encore été découvert) et qui sous-entendrait que "Flo" pouvait passer du temps dans les arbres, à l'abri des prédateurs.

Selon certains modèles, "Flo" serait également très lourde pour sa taille, avec 32.5 kg pour 1.06 m, une caractéristique qu'elle partage avec la fameuse "Lucy" (~30 kg) remontant à 3.18 millions d'années. Toutefois de nouveaux modèles indiquent que "Flo" devait peser environ 25 kg.

Le crâne et le squelette de "Flo", LB1. Document Smithsonian Institution, Javier Trueba/MSF/Science Photo Library et William Jungers. A droite, la taille de "Flo" comparée à celle d'un homme et de quelques autres espèces (H.erectus, H.ergaster, H.neanderthalensis, etc) reconstruites par l'Atelier Daynès.

Selon Matthew Tocheri du NMNH, la forme des os carpiens (ceux du poignet) de "Flo" ressemblent plus à ceux des chimpanzés qu'à ceux des hommes modernes. Bien que le poignet soit peu documenté chez les premiers représentants du genre Homo (Homo habilis et l'Homo erectus notamment), il est clair que la morphologie de la main de "Flo" est plus primitive que celle des hommes de Néandertal et des hommes modernes.

Selon William Jungers du Département d'anatonomie du Centre médical de l'Université Stony Brook, la morphologie des pieds de "Flo" présente également des traits humains et des traits hérités d'une espèce primitive comme un gros orteil long avec des phalanges incurvées et l'absence d'arc médio-longitudinal formant la cambrure du pied et qui assure la double fonction d'absorbeur de choc et d'élastique durant la marche.

Ces caractéristiques combinées à un pied relativement long suggèrent que la démarche de "Flo" était différente de celle des hommes modernes.

Selon les analyses réalisées par P.Brown, W.Jungers, M.Tocheri et leurs collègues entre 2007 et 2009, la combinaison de toutes ces caractéristiques dresse le portrait d'un Homo floresiensis présentant une mosaïque de traits primitifs, dont un crâne qui ressemble d'assez près à celui de l'Homo habilis ou même de l'Homo erectus et un squelette qui présente des traits normalement associés aux espèces Australopithèques d'au moins 3 millions d'années à l'image de "Lucy", comme si cette espèce cessa d'évoluer avant ou pendant son isolement sur l'île de Florès. Nous verrons que son nanisme confirme cette thèse.

Le fait le plus surprenant est l'âge géologique de ces fossiles. Les différents fossiles sont datés entre 95000 et 12000 ans, ce qui correspond à la présence des hommes modernes dans l'Ancien et le Nouveau monde (au Canada). Toutefois, la couche plus récente située juste au-dessus des fossiles de l'Homo floresiensis contient des ossements humains prouvant que la caverne fut occupée par des hommes modernes il y a à peine quelques milliers d'années.

Un nanisme endémique

La caractéristique la plus frappante est la petite taille de l'Homo floresiensis. Nous avons vu que "Flo", LB1, mesure 1.06 m. Sur base de la taille du tibia, LB2 devait mesurer 1.09 m. Ces valeurs sont bien en dessous de la taille moyenne des homininés qui est d'environ 1.60 m. C'est même plus petit que la taille des plus petits êtres humains modernes tels que les pygmées Mbenga, Mbuti et Twa (1.03-1.45 m pour les femmes) vivant en Afrique centrale, les Semang (1.37 m pour une femme) de la péninsule Malaise ou des Andamans (1.37 m pour une femme).

Aujourd'hui, à Florès on trouve encore des personnes mesurant environ 1.30 m, notamment dans le village de Rampasasa proche de la grotte de Liang Bua (cf. les photos prises par Djuna Ivereigh). Des chercheurs de l'Université Gadjah Mada en collaboration avec des instituts étrangers ont cherché en vain des indices selon lesquels ces personnes seraient les descendantes directes de l'Homo Floresiensis (cf. H.Hsü et al., 2006).

Le crâne LB1 appartenant à une femelle découvert dans la grotte de Liang Bua, au nord de Ruteng, sur l'ile de Florès, en Indonésie. A droite, le même crâne dont voici un agrandissement comparé à la taille du crâne d'un Homo sapiens. Documents AMNH et P.Brown.

La différence est encore plus marquée si on compare la masse corporelle des pygmées modernes avec celle de l'Homo floresiensis. LB1 devait peser environ 25 kg. C'est de loin inférieur au poids moyen de l'Homo sapiens (environ 60 kg) et de l'Homo erectus (de 40 à 70 kg sinon plus).

LB1 et LB8 sont un peu plus petits que les Australopithèques âgés de 3 millions d'années (Lucy mesure 1.10 m). Les Homo floresiensis sont donc les représentant les plus petits de l'espèce humaine découverts à ce jour.

La diminution de la stature et du cerveau de l'Homo floresiensis résulte peut-être d'une adaptation de l'espèce à son environnement, un processus évolutionnaire bien connu résultant d'une longue isolation d'une espèce sur une île où les sources de nourriture sont limitées et sans prédateurs. De nos jours, on observe ce phénomène de nanisme endémique sur l'île de Sri Lanka par exemple où les éléphants sont beaucoup plus petits qu'en Afrique, en Inde où les éléphants ont changé de morphologie dès l'époque où la plaque indienne dériva de l'Afrique ainsi que dans les lacs isolés où les différentes espèces de poissons réduisent leur taille pour survivre dans un environnement limité.

Les éléphants pygmées (Stegodon florensis insularis pesant environ 400 kg) qui vivaient à Florès et aujourd'hui éteints, présentaient cette même adaptation, alors que leur proche cousin, le Stegodon florensis florensis est plus grand et géologiquement plus vieux. Ceci dit, peu d'éléphants nains ont été trouvés à Florès. Mais cela s'explique aisément par la force des courants marins qui rendent l'accès à l'île très difficile.

On peut également citer la réduction de la taille du corps ainsi que proportionnellement de celle du crâne chez le myotragus ("la chèvre des cavernes") qui vécut dans les îles Baléares et chez l'hippopotame nain (hippopotamus lemerlei) qui vécut à Madagascar.

Il n'est donc pas étonnant de trouver la plus petite espèce humaine et l'éléphant Stégodon sur la même île de Florès. Toutefois, certains scientifiques envisagent la possibilité que les ancêtres de l'Homo floresiensis présentaient déjà une petite taille quand ils atteignirent Florès. On reviendra sur l'origine de "Flo" et de ses compagnons.

La morphologie du crâne de l'Homo floresiensis LB1 (centre) comparée à celui de l'Homo habilis du Kenya âgé de 1.9 million d'années (gauche) et de l'Homo erectus de Géorgie âgé de 1.8 million d'années (droite). Document P.Brown et al./Nature et Kenya National Museums.

Une dernière particularité de l'Homo floresiensis est la taille réduite de son cerveau. Les premières mesures lui donnaient une capacité endocrânienne de 380 cm3 soit comparable à celle du chimpanzé. Des analyses tomographiques effectuées par Falk en 2005 indiquent que sa capacité endocrânienne est de 417 cm3, soit proche du tiers de celui de la moyenne des humains actuels, une valeur plus proche de celle des grands singes et équivalent à celle du plus ancien Australopithèque (A.ramidus). Ce n'est pas pour autant que "Flo" était stupide et sa culture lithique prouve qu'elle était intelligente.

L'origine de l'Homo floresiensis

D'où vient l'Homo floresiensis ? Situons d'abord l'île de Florès sur le plan géographique et biologique, cela pourrait nous apporter des indices sur son peuplement.

L'île de Florès fait partie des Petites Iles de la Sonde. Elle se situe au sud de l'Indonésie et à l'est de Java. L'ile forme une longue bande de terre de 360 km, large de 60 km maximum, culminant à 2370 m (Poco Mandasawu), au carrefour des îles de Sulawesi au nord, Sumbawa, Komodo, Lombok et Bali à l'ouest, Sumba au sud et Timor à l'est.

Sur le plan biologique, Florès se trouve à l'est de la ligne de Wallace (T.Huxley, 1868) qui sépare biologiquement deux écosystèmes différents : la région orientale comprenant Sumatra, Java, Bali, Bornéo et Mindanao (l'ancien plateau péninsulaire de la Sonde ou Sunda) et la région australienne à l'est et au sud comprenant Sulawesi, Lombok, Sumbawa, Komodo, Rinca, Florès et Timor ainsi que toute l'Océanie (l'ancien plateau de Sahul). La région des îles indonésiennes à l'exception du Timor oriental est appelée la Wallacea.

A gauche, paysage typique de Ruteng, proche de la caverne de Liang Bua, sur l'île de Florès. A droite, localisation de la caverne de Liang Bua au centre de l'île par 120.2°E, 8.5°S. Documents Destination Xploration et Google Earth adapté par l'auteur.

Comme on le voit ci-dessous, d'autres lignes de distribution ont été tracées parmi lesquelles la ligne de Lydekker (1896) qui sépare la distribution des mammifères et la ligne de Weber (1902) qui sépare la distribution des poissons d'eau douce.

Ces distributions distinctes entre les animaux vivant dans les régions orientale et australienne s'explique du fait que les deux régions ont depuis longtemps été séparées par un bras de mer, les animaux d'Océanie évoluant séparément des espèces continentales.

Toutefois, d'un point de vue botanique, la région de la Wallacea ne présente pas cette séparation nette entre l'Asie et l'Océanie. En effet, cette région insulaire offre la même diversité que celle du Royaume floral paléotropical comprenant l'Afrique, l'Asie tropicale, la Nouvelle-Guinée et le Pacifique. La raison est que la flore est très sensible au régime des vents, les pollens et les graines les plus légères pouvant facilement parcourir des centaines voire des milliers de kilomètres à travers les mers pour germer bien loin de leur terre natale.

Carte de la structure crustale du Sud-Est de l'Asie.

L'Homo floresiensis n'ayant été découvert que sur l'île de Florès, on peut se demander par quel moyen cette population est arrivée sur l'île (dont l'accès est aisé par les plages). Pour cela nous devons nous plonger dans l'histoire climatique et géologique de cette région du globe pour tenter d'y trouver des indices.

Les géographes nous apprennent qu'il n'y a jamais eu de bande de terre continue entre le Sud-Est de l'Asie et la Nouvelle Guinée ou l'Australie au cours de derniers 60 millions d'années. En effet, sur le plan géologique, les îles de la Sonde se situent sur un arc volcanique actif qui s'étend sur environ 3700 km entre Sumatra à l'ouest et Wetar (au nord de Timor) à l'est. Si aujourd'hui, la mer sépare l'île de Bornéo des îles de la Sonde, comme on le voit à droite à la fin du Crétacé il y a 65 millions d'années, une bande de terre les réunissait qui fut ensuite engloutie sous les flots.

Quel était le niveau de la mer à l'époque de "Flo" ? Nous savons qu'avant la dernière période glaciaire qui apparut à la fin du Pléistocène (entre 125000-10000 ans), l'Asie et l'Océanie étaient déjà séparées par la mer dont la profondeur atteignait localement plus de 2000 mètres. A 10 km au large de Florès, de nos jours le fond de l'océan se trouve en moyenne à 250 mètres de profondeur mais localement, dans la mer de Florès, il y a des abysses plongeant à plus de 4500 mètres de profondeur.

Comme nous l'avons évoqué, les recherches paléontologiques effectuées dans d'autres gisements de l'île de Florès, notamment à Mata Menge, ont permis de découvrir des outils lithiques montrant que les premiers humains (probablement des Homo erectus) arrivèrent sur l'île il y a 840000 ans. D'une manière ou d'une autre, ces populations ont donc trouvé un moyen de traverser la mer et d'arriver sur Florès soit par l'ouest soit par le nord.

Puis, il y a 125000 ans, au début de la glaciation de Würm, la température moyenne du globe commença à chuter, donnant naissance à une immense calotte polaire ou inlandsis au Groenland et en Antarctique qui eut pour conséquence de baisser le niveau moyen de la mer.

Au Pléistocène Supérieur récent, entre 45000 et 35000 ans, les terres des plateaux continentaux de la Sonde (Sumatra-Bornéo) et de Sahul (Océanie) présentaient encore la même physionomie qu'aujourd'hui.

Emplacement de la ligne biogéographique de Wallace notamment et étendue maximale des plateaux continentaux de la Sonde (Sunda) et Sahul lors du dernier maximum glaciaire. Voici une carte générale. Carte adaptée de Wikipédia.

Autrement dit, depuis plusieurs dizaines de millions d'années, les îles de Sulawesi, Lombok, Bali, Florès et Timor n'ont jamais été reliées au plateau de la Sonde et sont donc toujours restées isolées et entourées d'eau, ce que confirma des études géographiques réalisées par Ian Metcalfe et ses collègues dont les résultats furent publiés dans l'ouvrage "Faunal and Floral Migrations and Evolution in SE Asia-Australasia" (2001).

De plus, certains vestiges préhistoriques découverts en Indonésie remontent à environ 40000 ans et les plus anciennes traces humaines (H.sapiens) découvertes en Australie remontent à environ 65000 ans. Ces populations ont donc nécessairement atteint ces terres par la mer.

Ensuite, entre 35000 et 18000 ans, le niveau de la mer baissa pour atteindre 120 mètres en dessous du niveau actuel (niveau atteint entre 25000-23500 ans). La température moyenne chuta entre 6 et 9° et les calottes polaires atteignirent leur extension maximale.

Les plateaux sous-marins de la Sonde et Sahul situés localement à 50 mètres de profondeur ont alors émergé des eaux, réunissant la plupart des îles par la terre, tout en laissant un bras de mer très profond dans la Wallacea. Les populations ont donc logiquement profité du retrait de la mer pour peupler les îles émergées de la Sonde. On ignore comment les autres explorateurs ont atteint l'Océanie, si ce n'est que la mer fut le seul moyen d'accès.

Finalement, il y a environ 10000 ans, suite au réchauffement du climat, les eaux sont progressivement remontées jusqu'au niveau actuel qui fut atteint après 5000 ans, isolant à nouveau toutes les îles.

En résumé, quelle que soit l'époque à laquelle les hommes vécurent dans la région de la Wallacea, les explorateurs ont toujours rejoint l'île de Florès par la mer.

Si l'idée de la barque ou du bateau vient immédiatement à l'esprit, la construction d'une telle structure, même d'un radeau, semble au-delà des capacités intellectuelles de l'Homo erectus.

Mais il est utopique de trouver les vestiges d'une embarcation en bois remontant à plusieurs milliers d'années. Déjà de nos jours, les archéologues n'ont trouvé aucune trace des embarcations en bois des anciens navigateurs indonésiens. Même les ancêtres des Polynésiens (~3500 ans) ne nous ont laissé aucune barque ou radeau alors que nous avons les preuves (haches en pierre, hameçons en nacre, graines importées, etc) d'un important commerce maritime entre les îles du "Triangle Polynésien" (Hawaï, l'île de Pâques et Nouvelle-Zélande). A fortiori, il est donc impossible de trouver les traces d'une embarcation remontant à l'époque du peuplement de la Wallacea il y a plusieurs dizaines de milliers d'années.

A consulter : Explore SahulTime, U.Monash

Simulation de la variation du niveau de la mer en Asie du Sud-Est

A gauche, variations du niveau de la mer dans la Wallacea depuis au moins 500000 ans. A droite, carte géomorphologique actuelle du sud-est asiatique. On reconnaît en bleu ciel les plateaux sous-marins de la Sonde (nord-ouest) et de Sahul (sud-est) qui étaient émergés il y a moins de 20000 ans. Documents Michael Bird et Google Earth adaptés par l'auteur.

Quoiqu'il en soit, des hommes ont un jour débarqué sur les belles plages de l'île de Florès. Mais on ignore d'où ils venaient, l'île la plus proche se situant à 9 km de distance, la mer étant souvent traître dans cette région, avec des courants violents.

S'ils n'ont pas accosté volontairement en radeau ou en barque, un autre moyen est envisageable. Sachant que la région indonésienne est située sur la Ceinture de feu du Pacifique (ce qui explique la présente de volcans sur Florès) et donc très active sur le plan tectonique, on peut imaginer qu'il y a 840000 ans à l'époque des premiers migrants, une tempête ou un tsunami par exemple aurait touché la région et dispersé les Homo erectus ou leurs descendants, certains trouvant refuge temporairement sur des radeaux naturels faits de débris comme des souches ou des troncs d'arbres à la dérive. Un ou plusieurs couples auraient ainsi dérivé au gré des courants jusqu'à l'île de Florès. Reste maintenant à trouver la trace de cette éventuelle grande vague dans les strates géologiques des îles de la région. Possible ou non, le moyen par lequel "Flo" est arrivée sur l'île reste une grande inconnue.

Voyons à présent à quelles autres populations nous pourrions rapprocher voire rattacher l'Homo floresiensis pour essayer de déterminer son ancêtre.

Les nombreuses pierres taillées associées à l'Homo floresiensis sont globalement similaires à celles utilisées par les premières espèces ayant conquis l'île et par celles ayant vécu au Paléolithique Inférieur en Asie ou durant l'Oldowayen en Afrique. Autrement dit, toutes ces populations partageaient une même culture industrielle et par voie de conséquence un même mode d'éducation.

Mike Morwood et son équipe de l'Université d'Auckland ont apporté les preuves en 2005 que l'Homo floresiensis chassait le Stégodon, des centaines de fragments d'os de cette espèce d'éléphant ayant été trouvés sur le site, quelques uns montrant des traces d'outil de boucherie.

De leur côté, Kira Westaway et son équipe de l'Université de Macquarie ont découvert en 2009 des traces de charbon ainsi que des os et des cailloux brûlés mais on ne peut pas déterminer si ce feu fut intentionnel ou accidentel. Ces traces remontent à 10000 ans.

Quoiqu'il en soit, face à ces faits et ces artefacts, on ne peut pas s'empêcher de rapprocher "Flo" des pratiques bien connues des Homo erectus.

Bien que les scientifiques se demandent encore si l'Homo floresiensis ne serait pas un être humain moderne atteint d'une maladie ou d'un désordre de croissance (cf. H.Hsü et al., 2006), la plupart des scientifiques le reconnaissent comme un taxon distinct de l'Homo sapiens et donc différent de l'homme moderne.

Reconstruction de l'Homo floresiensis "Flo" par John Gurche exposée au NMNH.

Le fait que l'Homo floresiensis présente tous les caractéristiques morphologiques d'un peuple que le temps a oublié dans une couche géologique très jeune a incité plusieurs chercheurs à proposer des scénarii pour expliquer la morphologie et la présence de cette espèce sur l'île de Florès à une époque si récente.

Comme souvent, beaucoup de théories ont été contredites par la découverte de contre-exemples, à la fois dans les populations éteintes et contemporaines. Nous n'évoquerons donc pas ces thèses que les démonstrations ont réfutées pour ne pas surcharger cet article.

Bon nombre de scientifiques ont longtemps cru que l'Home floresiensis était une espèce dérivée de l'Homo erectus qui s'était retrouvée isolée sur l'île de Florès où elle subit une mutation morphologique. Toutefois la date de l'arrivée de l'Homo floresiensis à Florès reste largement débattue.

Le second modèle fut avancé en 2009 par Debbie Argue et son équipe de l'Université Nationale d'Australie (ANU) et a retenu l'attention de quelques chercheurs. Pour expliquer la présence de "Flo" sur cette île au Pléistocène, Argue propose que cette population serait la descendante d'une espèce d'homininé plus ancienne que l'Homo erectus présentant déjà une taille naine. Les preuves seraient apparentes dans le squelette de "Flo" qui, ainsi que nous l'avons expliqué, présente de nombreuses caractéristiques archaïques qui la rapprochent des Australopithecus afarensis (longs membres, poids élevé mais revu à la baisse depuis, mains et pieds hérités d'une espèce primitive antérieure aux homininés). On reviendra dans un instant sur la thèse de Debbie Argue.

Où situer l'Homo floresiensis dans l'arbre phylogénique des humains ?

Si on écarte les quelques controverses sur sa taille que Richard B. Eckhardt par exemple a essayé d'interpréter comme l'effet d'une maladie mais sans beaucoup de succès et sur son poids excessif qui n'a pas eu beaucoup plus d'écho, deux grandes théories se dégagent.

L'arbre phylogénique de l'homme propose plusieurs relations évolutionnaires possibles entre les taxa Homo. Document adapté de P.Brown et al./Nature.

La première fut proposée par Peter Brown. L'Homo erectus serait l'ancêtre de l'Homo floresiensis. Selon ses partisans, nous avons les preuves que l'Homo erectus occupa le sud de l'Asie il y a environ 1.5 million d'années jusqu'il y a 500000 ans ou même 50000 ans selon différents auteurs (travaux de Larick et al. en 2001, Huffman et al. en 2010 ou encore de Indriati et al. en 2011).

Ainsi, l'Homo floresiensis serait le descendant nain de l'Homo erectus qui se serait établi sur l'île de Florès après avoir traversé (on ne sait comment) la mer, sa taille s'étant adaptée aux limites de son environnement (cf. les travaux de H.Meijer et al. en 2010).

La seconde théorie, notamment proposée par W.Jungers et ses collègues dans la revue "Nature" en 2009, considère que le squelette de "Flo" et de ses congénères étant plus primitifs que ceux de certains Australopithecus afarensis, l'Homo floresiensis trouverait sa place à une époque antérieure à l'Homo erectus tout en ayant pu le cotoyer au début de sa migration vers l'Indonésie.

Reste à confirmer l'une ou l'autre théorie ou à proposer une troisième originale qui serait plus conforme aux faits. A priori, il paraît plus facile d'essayer de prouver sa parentée directe avec l'Homo erectus que d'essayer de trouver un ancêtre encore plus éloigné et à ce jour inconnu. Or, à partir du peu de données que nous possédons, et pour l'heure aucune trace d'ADN de l'Homo floresiensis et de l'Homo erectus, il est impossible de confirmer l'une ou l'autre thèse. L'Homo floresiensis a pu évoluer à partir d'une population primitive d'Homo erectus ou évoluer à partir d'une petite sous-espèce, comme par exemple les humains découverts à Dmanisi, en Géorgie, voire même à partir d'une autre espèce archaïque du genre Homo.

Pour confirmer la parentée de l'Homo floresiensis avec l'une où l'autre espèce d'homininé, l'Institut Eijkman de Biologie Moléculaire de Jakarta a lancé un projet visant à découvrir des traces des gènes de l'Homo floresiensis chez l'Homo denisova, une sous-espèce de l'Homo sapiens vivant dans le sud de la Sibérie découverte en 2010, ainsi que chez les humains d'aujourd'hui. A ce jour aucune trace d'ADN d'Homo floresiensis n'a été trouvée chez les Dénisoviens.

Si la recherche d'ADN de Dénisoviens a déjà été entreprise, jusqu'en 2010 personne n'avait encore recherché la présence de l'ADN de ces deux espèces dans nos gènes. Des chercheurs de l'Institut Max-Planck s'en sont occupés pendant qu'ils étudiaient l'Homo denisova. On y reviendra.

Selon Herawati Sudoyo de l'Institut Eijkman, les restes de nombreuses anciennes populations humaines ont été découverts en Indonésie, et c'est également l'endroit où fut découvert l'Homo floresiensis; c'est donc le lieu tout indiqué pour commencer les recherches génétiques. Les études sont en cours.

Crâne d'un Homo floresiensis (LB1). Document Stuart Hay/ANU.

Puis en 2017, Debbie Argue et son équipe ont proposé une nouvelle thèse soutenue par de nouvelles preuves.

Dans une étude publiée dans la revue "Journal of Human Evolution" en 2017 et résumée sur le site de l'Université Nationale d'Australie (ANU), sur base de nouvelles analyses phylogéniques de 133 points de données relevés sur le crâne et des membres de l'Homo floresiensis (mâchoire, crâne, dents, bras, jambes et épaules), Debbie Argue et son équipe sont arrivés à la conclusion que l'Homo floresiensis est probablement une espèces soeur de l'Homo habilis dont les plus anciens représentants vivaient en Afrique il y a 1.75 million d'années. Autrement dit, les deux espèces partagent un ancêtre commun.

Selon Argue, il est possible que l'Homo floresiensis ait évolué en Afrique et ait ensuite migré vers l'Asie, ou que l'ancêtre commun ait quitté l'Afrique pour ensuite évoluer quelque part en Homo floresiensis avant de s'établir à Florès il y a plus de 54000 ans.

Selon les chercheurs, il y a 99% de chance que l'Homo floresiensis n'ait pas évolué à partir d'un Homo erectus, le seul autre homininé précoce connu ayant vécu dans la même région aux alentours de Java, et 100% de chance qu'il ne soit pas un Homo sapiens malformé. Argue serait même curieuse de savoir comment "Flo" pourrait descendre de l'Homo erectus, histoire de mettre ses collègues au défi de le prouver. En effet, selon Argue, de nombreuses caractéristiques, telles que la structure de la mâchoire de l’Homo floresiensis est plus primitive que celle de l’Homo erectus : "logiquement, il serait difficile de comprendre comment pourrait apparaître une régression anatomique, autrement dit pourquoi la mâchoire de l'Homo erectus reviendrait-elle sous une forme primitive chez l'Homo floresiensis ?"

Notons que les analyses réalisées par Argue et ses collègues pourraient également soutenir la thèse selon laquelle l'Homo floresiensis aurait pu se ramifier plus tôt dans la chronologie, il y a plus de 1.75 million d'années : "si tel était le cas, l'Homo floresiensis aurait évolué avant le premier Homo habilis, ce qui le rendrait vraiment archaïque", a-t-elle déclarée.

Le descendant d'une créature légendaire

La découverte des fossiles de l'Homo floresiensis a également suscité l'intérêt des amateurs de légendes qui ont vu dans "Flo" l'ancêtre des indigènes de petite taille qui, selon une légende locale, auraient vécu sur l'île de Florès : les Ebu Gogo.

Selon cette légende transmise par le peuple Nage, les Ebu Gogo (signifiant "la grand mère qui mange tout" en langue Nage) seraient des humains se tenant debout mesurant moins de 1.5 m, présentant un visage large, une grande bouche, chevelus, capable de courir très vite et murmurant entre eux en guise de langage. Les femelles auraient des seins longs et pendants. La légende prétend qu'ils étaient capables de répéter ce qu'on leur disait à la manière d'un perroquet. Selon Kate Wong, cette desciption est en fait celle traditionellement attribuée aux singes.

Un moulage du crâne de l'Homo floresiensis. Document Stephen Hird/Reuters/Corbis.

Le peuple Nage croit que l'Ebu Gogo vivait sur l'île de Florès au XVIIe siècle, à l'époque où les navires de commerce portugais naviguaient dans la région, et que certains individus auraient survécu jusqu'au XXe siècle, mais personne ne les aurait revu depuis quelques décennies. Selon les Nage, les Ebu Gogo auraient été chassés par les habitants de Florès. Ils pensent que cette extermination qui culmina vers 1850, fut organisée parce que les Ebu Gogo volaient la nourriture des humains et kidnappaient les enfants pour qu'ils leur apprennent à cuisiner.

Dans un article publié dans la revue "New Scientist" en 2005, on apprend qu'au XVIIIe siècle les villageois du peuple Nage offrirent aux Ebu Gogo des fibres de palmiers pour qu'ils se confectionnent des vêtements. Mais lorsque les Ebu Gogo emportèrent les fibres dans leur caverne, les villageois leur jettèrent un tison qui les enflamma. L'histoire raconte que tous les occupants ont péri, sauf peut-être un couple qui fuit dans la forêt et dont les descendants sont peut-être encore vivants.

Cette légende est-elle fondée ? Il y a toujours eu des mythes concernant les petites personnes : les Occidentaux ont leurs nains de jardin hérités des légendaires Pygmées travaillant dans les mines de métaux précieux de Cappadoce au XVe siècle, les Irlandais ont leurs Leprechauns et les Australiens ont leurs Yowies.

En revanche, mieux que des légendes, nous avons des preuves préhistoriques que des populations naines ont existé. Ainsi nous savons par d'anciennes histoires folkloriques que les Hawaïens de Menehune, une tribu préhistorique, était de petite taille et vivait sur cette île avant l'arrivée des colons Polynésiens et laissa derrière elle des ruines en pierre qu'on peut encore voir aujourd'hui.

Il y a également l'histoire de ces soldats de la Seconde guerre mondiale échoués sur des îles du Pacifique sud racontant qu'ils avaient trouvé de vieux squelettes de très petites personnes enterrés dans des cavernes reculées.

Aussi, selon Peter Brown, la légende des Ebu Gogo repose peut-être sur des faits authentiques : "on peut donc imaginer qu'il s'agit d'une ancienne histoire orale faisant référence à la survivance d'un ancien peuple de petite taille".

La dernière trace de l'Homo floresiensis à Liang Bua remonte juste avant 12000 ans et coïncide avec une éruption volcanique qui détruisit la quasi totalité de la vie endémique de Florès. Si des indices suggèrent que l'Homo floresiensis a pu survivre beaucoup plus tard, la légende des Ebu Gogo se réfère à un peuple qui vécut à Florès jusqu'au tournant du XXe siècle.

Selon le paléoanthropologue Henry Gee de la revue "Nature", l'Homo floresiensis pourrait encore exister quelque part dans une forêt tropicale inexplorée d'Indonésie. On peut même avancer que cette espèce pourrait passer ses journées dans les arbres, la présence du varan de Komodo rendant les arbres beaucoup plus sûrs pour les femelles ayant des enfants, et plus encore durant la nuit.

Rappelons qu'aujourd'hui encore, plusieurs peuples des régions tropicales vivent dans des cabanes construites dans les arbres et notamment les Korowaï (Kolufaup) vivant en Papouasie. Comme nos ancêtres, ils préfèrent justement vivre en hauteur pour échapper à tous les prédateurs qui rôdent au sol, notamment les serpents dont l'acanthophis, l'un des plus vénimeux du monde, et dans une moindre mesure des crocodiles.

A voir : Rendez-vous-en-terre-inconnue... en Papouasie (sur le blog, 2009)

avec Zazie chantant "je suis un homme"

Le peuple que le temps a oublié

Le fait qu'une autre espèce humaine foula la terre pratiquement en même temps que nos ancêtres a étonné le monde. Les deux articles publiés dans la revue "Nature" en 2004  (vol.431, 437) ont été lus par bien plus de lecteurs que tous les autres. Le public a continué à parler de cette découverte et beaucoup de sites Internet ont abordé le sujet. L'impact fut si fantastique et porteur de tous les espoirs, que certains se sont même demandés si les Hobbit n'existaient pas toujours quelque par sur l'île de Florès. Peut-être existe-t-il même une autre espèce humaine dans un lieu très reculé qui reste à découvrir.

Portrait de "Flo" réalisé par John Gurche et illustrant la couverture du "National Geographic" d'avril 2005. Il souligne toute l'émotion du drame et de l'espoir que représente la découverte d'une espèce humaine disparue et dont on ignore presque tout.

Selon Chris Stringer, responsable du Département des origines de l'homme au Musée d'Histoire Naturelle de Londres (NHM), "la découverte de l'Homo floresiensis nous force à revoir nos connaissances sur l'évolution de l'homme. Le fait qu'il ait existé une deuxième espèce humaine il y a peine 12000 ans est franchement étonnant."

"Si la lignée de l'Homo floresiensis a une origine plus ancienne que l'Homo erectus vivant en Asie, il faudrait alors réévaluer l'explication dominante concernant l'apparition et la dispersion des humains depuis l'Afrique. Ca signifierait que toute une branche de l'évolution humaine est manquante".

L'un des plus grands défis concernant l'origine de l'Homo floresiensis est l'absence de fossiles de cette espèce dans les autres îles et sur le continent sud-est asiatique. Avant l'apparition de l'Homo erectus qui peupla l'Eurasie, les seuls fossiles d'homininés que nous avons découverts n'existent qu'en Afrique.

Comme le propose Stringer, sachant que les ancêtres de l'Homo floresiensis ont atteint l'île de Florès, ils sont probablement passés par Sulawesi, les Philippines et Timor. Creuser le sol des cavernes de ces pays pourrait peut-être lever bien des énigmes.

Une seconde difficulté est qu'il existe peu de fossiles de l'anatomie postcrânienne des espèces humaines pre-erectus, leur morphologie anatomique n'étant pas aussi bien documentée que celle des autres espèces, la comparaison avec l'Homo floresiensis étant de ce fait limitée.

Par conséquent, il est encore difficile de savoir qui de l'Homo habilis ou l'Homo erectus serait son ancêtre direct. A défaut d'indices paléontologiques, seule la géochronologie offrirait un bon modèle de cette espèce, sans oublier les révélations éventuelles de la paléogénétique.

Plus de quinze ans après sa découverte, le "Hobbit" humain reste une figure controversée qui soulève beaucoup de questions.

C'est la première fois que la théorie qui voudrait que l'Homo sapiens soit l'unique espèce vivant sur terre depuis des milliers d'années est remise en question, mais cette fois pour des raisons objectives fondées sur des faits et non des préjugés ou une foi aveugle. Pour certains, on peut donc également accorder un peu plus de crédits aux légendes du Yéti, au Bigfoot (Sasquatch), aux géants ou aux Leprechauns qui font peut-être référence à des espèces primitives.

La découverte de l'Homo floresiensis a rendu crédible l'existence éventuelle d'autres espèces humaines inconnues vivant peut-être "là-bas" ou qui sont ensevelies comme "Flo", à quelques mètres sous la couche de terre des cavernes.

Quoi qu'il en soit, "Flo" dit le "Hobbit" a rejoint l'arbre familial de l'humanité. Quand Gulliver échoua sur l'île de Lilliput située à l'est des Indes dans le roman satirique de Jonathan Swift (1721), il fut étonné de découvrir des petits humains. A notre tour, la découverte d'une espèce humaine toute petite dans l'île indonésienne de Florès fut a bien des égards étonnante, car personne ne l'avait imaginée.

La bonne nouvelle est que chaque découverte apporte son lot d'informations sur les origines de l'humanité et nous apprenons tous les jours. Les paléoanthropologues sont en permanence sur le terrain, excavant de nouveaux fossiles, et comblant continuellement quelques-unes des lacunes et des énigmes que nous pose l'évolution de l'homme. Espérons qu'avec le temps, la lumière de la connaissance éclairera d'un nouveau jour l'origine de "Flo".

L'Homo luzonensis : 67000 - 50000 ans

Une nouvelle espèce d'être humain de moins de 1.20 m de hauteur et qui était habituée à monter aux arbres fut découverte aux Philippines. L'annonce de cette découverte fut décrite par l'équipe de Florent Détroit du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris dans des articles publiés notamment dans les revues "Science" en 2010 et "Nature" en 2019.

La nouvelle espèce appelée Homo luzonensis fut découverte dans la grotte de Callao située à Peñablanca, à 24 km au nord-est de Tuguegarao, sur l’île de Luzon, dans le nord des Philippines. La grotte fait partie d'un paysage marin et paysager de 60 ha protégé par le gouvernement.

Les fossiles datent de 50000 à 67000 ans, à l'époque où les Néandertaliens et les hommes modernes migraient vers l'Europe et l'Asie. On peut donc certifier aujourd'hui que l'Homo sapiens n'était pas la seule espèce humaine à peupler la Terre.

Vue générale de la grotte de Callao située sur l'île de Luzon dans le nord des Philippines dans laquelle furent découverts quelques fragments de l'Homo luzonensis en 2007. Documents Callao Cave Archaeology Project.

La grotte de Callao est un site touristique majeur bien connu des Philippins. Elle comprend sept chambres successives abritant des stalactites et stalagmites géants. La deuxième chambre qui est à ciel ouvert est tellement vaste qu'on y a installé une chapelle. L'Homo luzonensis fut découvert dans la première chambre.

Les fouilles dans la grotte de Callao débutèrent en 1979-1980 sous l'égide du Musée National des Philippines qui ne découvrit rien de particulier. Mais à partir de 2003, de nouvelles fouilles mirent à jour sous environ 1.50 m de sédiments quelques pierres taillées et charbons de bois datant de 25000 ans, confortant les paléoanthropologues que le site valait la peine d'être exploré en profondeur.

Reconstitution virtuelle des 13 fossiles découverts dans la grotte de Callao attribués à l'Homo luzonensis. Document F.Détroit et al.

Depuis les fouilles se sont étendues et en 2004 on découvrit les fossiles de l'Homo luzonensis mais pas de squelette complet. Les paléoanthropologues ont découvert 7 dents (2 prémolaires et 3 molaires droites du même individu, 1 prémolaire supérieure gauche et une 3e molaire supérieure droite découverte en 2015), 1 fragment de fémur d'un enfant, des phalanges des mains et des pieds, soit un total de 13 fossiles appartenant à au moins 3 individus dont deux adultes et un enfant.

On n'a pas découvert d'outils comme des os et des pierres taillés mais des ossements d'animaux portent des traces de boucherie, suggérant une possible culture lithique et une nourriture carnée.

Bien que les fossiles soient peu nombreux, ils fournissent des indices intrigants sur l'apparence et le mode de vie de l'Homo luzonensis.

Les minuscules molaires suggèrent que l'individu était petit, 1.20 m de haut - peut-être même plus petit que l'Homo floresiensis datant de la même époque. Mais selon Détroit, la taille des dents n'est pas un argument suffisant pour l'affirmer, d'autant que les prémolaires sont à peine plus petites que celle d'un Homo sapiens.

En revanche, l'Homo luzonensis n'est pas un ancêtre direct de l'Homo sapiens. Un individu (CCH4) présente par exemple un étrange orteil incurvé qui ressemble beaucoup à l'anatomie d'espèces beaucoup plus anciennes comme l'Australopithèque afarensis qui vivait uniquement en Afrique il y a 2 à 3 millions d'années. Cette phalange proximale et d'autres sont également marquées par l'empreinte des muscles fléchisseurs. Or chez l'Homo sapiens les phalanges du pied sont rectilignes, adaptées à l'appui stable en hyperextension sur le sol et nous n'utilisons pratiquement plus les muscles fléchisseurs du pied (en revanche, nous utilisons en permanence ceux des mains).

Il y a également la présence d'une troisième prémolaire que ne possède pas l'Homo sapiens (votre dentiste le confirmera) mais qu'on retrouve également chez les Australopithèques et le fait que les troisièmes prémolaires possèdent encore trois racines au lieu de deux chez l'Homo sapiens. En revanche, la morphologie de l'émail et de la dentine sont plus proches de celles des humains archaïques (Homo habilis et Homo erectus) et des Australopithèques.

Ces caractéristiques sont autant de preuves supplémentaires qu'il s'agit d'une espèce combinant des caractères ancestraux mais contemporaine de l'Homo sapiens.

A voir : Homo luzonensis, une nouvelle espèce Humaine, MNHN, 2019

Filipinos make history with discovery of Homo luzonensis, 2019

A gauche, quelques-unes des dents de l'Homo luzonensis excavées de la grotte de Callao, à Luzon en 2007. A droite, vue de profil de la phalange proximale du pied du spécimen CCH4; elle est courbe et similaire à celle des Australopithecus afarensis. Documents Callao Cave Archaeology Project.

L'anatomie de l'Homo luzonensis suggère un mode de vie mixte avec une capacité à marcher sur deux jambes et de grimper aux arbres. Une possibilité est que ce trait primitif est réapparu lorsque l'espèce fut isolée sur l'île. Mais la façon dont elle marchait était différente. On en saura plus lorsque les études seront finalisées.

On ne sait pas si la nouvelle espèce ainsi que l'Homo floresiensis représentent des dispersions issues d'Afrique d'espèces plus anciennes que l’Homo erectus (des Homo habilis ou même des Australopithèques) ou s'il s'agit de descendants qui ont subi les effets d'un endémisme insulaire (probablement aussi) qui conduisit à leur rétrécissement et au développement de nouveaux traits anatomiques.

Un autre mystère est l'arrivée de cette espèce à Luzon, une grande île qui n'a jamais été reliée au continent par un pont terrestre. Une possibilité est que les premiers humains aient pris la mer intentionnellement sur une forme de radeau; une autre est qu'ils y ont été forcés en grand nombre en raison d'un évènement naturel tel qu'un tsunami.

Fait intéressant, la découverte de pierres taillées et d'ossements de rhinocéros portant des traces de boucherie indiquent que l'île de Luzon est habitée par des homininés depuis environ 709000 ans (cf. T.Ingicco et al., 2018). Les Philippines pourraient donc avoir joué un rôle central dans les mouvements vers le sud de la Wallacea, non seulement de la mégafaune du Pléistocène, mais aussi des homininés archaïques. Plus récemment, la découverte aux Célèbes (Sulawesi) de "Bessé", une femme Homo sapiens d'un groupe divergent ayant vécu il y a 7200 ans dont le génome contient de l'ADN dénisovien confirme le rôle clé de la Wallacea dans la migration des premiers humains dans le sud-est de l'Asie.

Selon Détroit, "nous disposons de plus en plus de preuves que dans un lointain passé les humains se sont installés avec succès en Asie du Sud-Est. Ce n'était donc probablement pas accidentel".

Chris Stringer, responsable de la recherche sur les origines humaines au Musée d'Histoire Naturelle de Londres mais qui n'a pas participé à cette découverte, a déclaré qu'une autre question cruciale est de savoir pour quelle raison ces premiers humains ont disparu et si nos propres ancêtres y ont joué un rôle : "en ce qui concerne le destin de Luzonensis, il est trop tôt pour dire si la propagation de l'Homo sapiens dans la région il y a au moins 50000 ans aurait pu être un facteur de sa disparition".

C'est à peu près tout ce que nous savons actuellement sur cette nouvelle espèce. Mais la région cachant plus de 300 grottes, les paléoanthropologues ont du travail pour des générations.

Prochain chapitre

L'homme de Cro-Magnon

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