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L'univers de Stephen Hawking

Stephen Hawking en 2002.

Découvrir les lois qui régissent l'Univers (IV)

Ce sous-titre qualifie bien la démarche scientifique de Stephen Hawking. Ainsi que le disait le physicien Richard Feynman, "la nature est proche des lois". En choisissant d'étudier la physique et les mathématiques, Hawking émettait le souhait de mieux comprendre l'Univers.

Hawking s'est attaqué ouvertement à un "gros morceau" comme l'on dit, l'une des plus grandes énigmes de la science, l'une des plus complexes aussi : les lois qui régissent l'Univers, rien que ça ! Et ce n'est par pour rien que Newton et Einstein ont été élevés au pinacle de la Science.

Le sujet en a fait reculé plus d'un, car bien souvent le chercheur est seulement armé de ses équations et de beaucoup d'imagination et s'aventure sur une voie obscure, pavée d'embûches, à peine éclairée par la lumière de quelques découvertes. Son chemin bifurque souvent dans des impasses ou des solutions a priori insensées ou les infinis foisonnent par exemple, sans aucune relation avec la réalité. Parfois au détour d'un sentier, le sens de l'équation apparaît révélant un trésor insoupçonné : l'équation décrit un phénomène observable. C'est gagné !

Parler des "lois de l'Univers" sous-entend pour le physicien rechercher un principe que certains jugent philosophique voire à connotation mystique, une théorie d’unification : nous avons réuni les 4 éléments dans l'atome, le champ électrique et magnétique dans le champ électromagnétique, les interactions électromagnétique et faible (nucléaire) dans la théorie électrofaible, ou les particules et leurs interactions dans la théorie des particules élémentaires. Ici on se place à un niveau supérieur, un concept global qui expliquerait *tout* l'univers, cette fameuse "équation du monde" dont parlait Laplace, une "Théorie de Tout" dont les supercordes et la supergravité seraient l'un des acteurs. Pas étonnant que le sujet en ait rebuté quelques-uns !

Stephen Hawking visiblement très concentré le 16 octobre 2003. Il participait à l'un de ces nombreux séminaires organisé par le Caltech et consacré à l'avenir de la physique. Hawking y discuta de ses doutes à propos d'une théorie unifiée. Document Caltech.

L'unification des lois de la physique est dans l’air depuis les années 1930, lorsque Einstein et Heisenberg annoncèrent chacun leurs intentions à ce sujet. Einstein était encouragé par les succès de la théorie de la relativité générale et recherchait une voie similaire pour décrire les champs quantiques des particules. Il essaya durant le restant de sa vie de concevoir une théorie universelle, dans laquelle la matière serait synonyme d'énergie, l'espace synonyme de temps, l'accélération synonyme de gravité. Mais la physique quantique resta rebelle à toute unification.

Le but avoué de Heisenberg était plus limité, cherchant à décrire les nucléons (les protons et les neutrons) et les fermions (les électrons et leurs partenaires). Cette partie là au moins fut couronnée de succès et il ne nous reste que quelques particules à découvrir dont les bosons de Higgs pour renforcer la théorie des particles élémentaires.

Toutefois, ne nous voilons pas la face et ne crions pas encore victoire car les théoriciens rencontrent encore d'énormes difficultés quand il s'agit de réunir dans une même théorie, phénomènes continus et discontinus, grande échelle et courte distance, ondes et particules. Hawking doit trouver des méthodes mathématiques pour éviter ces obstacles ou les supprimer. C'est à peine si lui et ses collègues du groupe Relativité et Gravitation connaissent la démarche à suivre et les expériences qui pourraient les aider dans leurs recherches. Vous comprenez mieux maintenant la difficulté et l'ampleur du travail à accomplir.

En combinant les deux principales théories de la physique, la relativité générale et la physique quantique, Hawking cherche à décrire les propriétés d'une matière aujourd'hui insaisissable. Ses idées imposèrent un bouleversement majeur du cadre de la physique moderne et en dégagea d'étranges mais passionnantes thèses.

Ses recherches et ses théories ont en effet porté la compréhension de l'humanité vers d'extaordinaires champs de la connaissance que bien peu de personnes sont capables d'appréhender ou de visualiser.

Devenu astrophysicien, Hawking a exploré une grande quantité de sujets que personne avant lui n'avait osé aborder, la plupart des physiciens n'étant pas aussi spécialisés qu'Hawking dans son domaine et étant bien incapables de comprendre la signification des équations mêlant relativité générale et physique quantique. Et quand ils les comprennent, ils ne suivent pas Hawking dans son raisonnement, ou demandent qu'on leur accorde quelque temps ! Bien sûr Hawking à des concurrents au sein du groupe de Relativité Générale et de Gravitation de Cambridge, à Princeton ou à Caltech. Voyons quelques exemples de théories qu'il a inventé.

Les découvertes théoriques de Hawking

La meilleure façon de comprendre comment les idées surgissent dans l'esprit de Hawking, son obstination, son irrévérence envers l'autorité et sa capacité déroutante à effectuer des volte-faces, est de se pencher sur le travail pour lequel il est le plus célèbre, la découverte, selon ses propres mots, que les "black holes ain't black", que les trous noirs ne sont pas noirs... Voyons comment en est-il arrivé à cette conclusion.

Hawking se rappelle qu'en 1963 il fit un voyage à Paris pour présenter l'un des premiers séminaires sur les trous noirs. Il avoua que "ce ne fut pas un grand succès. D'abord les scientifiques Français ne croyaient pas aux "black holes". Et le nom les repoussait. Leur traduction en 'trou noir' avait des connotations sexuelles douteuses".

Rappelons que c'est le physicien John Archibald Wheeler de l'Université de Princeton qui popularisa le terme "trou noir" en 1967 bien que le nom ait été utilisé pour la première fois en 1963 au cours d'un symposium qui se déroula au Texas. Les Français auraient bien aimé l’appeler “astre occlus” en hommage à Laplace, mais avec le recul, le terme choisi traduit bien le caractère mystérieux qui recouvre cette entité. Le trou noir est à la fois caché à nos regards au sens strict et provoque un grand impact d'un point de vue psychologique.

Les singularités

Hawking prouva que la théorie de la relativité générale d'Einstein implique que l'espace et le temps ont eu un commencement, le Big Bang, et une fin, les trous noirs, deux singularités dans leur expression mathématique.

Ces conclusions énoncées dans les années 1960 étaient très hardies pour l'époque et on peut même dire que les astronomes n'y croyaient pas du tout. Peu importe, Hawking croyait en ses équations plus qu'en l'opinion de ses collègues.

Pour bien comprendre la difficulté à laquelle s'attaquait Hawking, nous devons définir ce qu'est une singularité. Un objet singulier, certes, mais plus encore ?

Disque d'accrétion d'un trou noir

Simulation de l'apparence visuelle d'un trou noir en rotation vu légèrement au-dessus du plan. La brillance est amplifiée sur la partie gauche, celle qui se rapproche de l'observateur, en raison de l'effet Doppler. Le plus spectaculaire est la déformation de la partie postérieure du disque d'accrétion qui remonte apparemment "derrière" le trou noir, un effet optique induit par l'intense champ gravitationnel qui semble courber les rayons lumineux (il ne les courbe pas réellement puisque la lumière suit les géodésiques de l'espace-temps). Illustration créee par Chris Reynolds de l'Université du Maryland et du GSFC.

Si nous prenons un bon ouvrage de mathématiques, on y lit qu'une singularité est un point de densité et de courbure d'espace-temps infinis que l'on ne peut pas traiter mathématiquement. Pourquoi ? Parce qu'à cet endroit, l'équation, la surface représentée par la fonction, etc., diverge ou dégénère, comme si elle formait un pli indéfroissable ou commençait à se boursoufler sans contrôle au lieu de rester plane et stable.

Les singularités sont souvent appelées des "points singuliers". En première approximation, imaginez-les comme des têtes d'épingle plus petites qu'un atome, plus petites que tout ce qui existe mais qu'on ne peut pas appréhender car notre science est incapable de comprendre son état plein d'incertitudes... En pratique elles peuvent avoir une taille macroscopique à l'instar de l'horizon des évènements des trous noirs.

Les singularités sont extrêmement importantes car on peut en tirer quelque chose en analyse complexe, cette branche des mathématiques qui étudie les fonctions définies sur un domaine du plan complexe (fonctions holomorphes). Analysées de la sorte, les singularités peuvent être définies par des fonctions analytiques, c'est-à-dire des fonctions déterminées en chacun des points de leur domaine ou région. En corollaire on peut donc étudier leurs comportements réels car la dérivée d'une fonction holomorphe est une dérivée réelle dans son sens mathématique. On peut donc évaluer sa vitesse, etc. A l'inverse, les singularités complexes sont des points dans le domaine de la fonction mais dont la fonction n'est plus analytique. Ici c'est la grande inconnue.

Les singularités sont classées en deux grandes catégories : les singularités isolées et non isolées. Les singularités isolées comprennent plusieurs espèces dont le point singulier, les pôles de différents ordres, les singularités essentielles ou pôles d'ordre infini, les singularités logarithmiques, les singularités de Whitney, les singularités remplaçables, ces dernières pouvant être associées à des nombres complexes et remplacées par une fonction imaginaire où intervient le théorème de Riemann, etc. Enfin, les singulatités non isolées peuvent représenter les limites naturelles d'un domaine (univers sans bord) ou une impasse (branche coupée).

A gauche, représentation artistique du système Cygnus X-1, un système binaire HMXB situé à 7237 années-lumière constitué d'une étoile bleue supergéante (HDE 226868, à gauche) de magnitude 9 et de 31000 K de 41 masses solaires dont l'atmosphère est aspirée par un trou noir de 21.2 masses solaires. L'objet compact émet des rayons X présentant des fluctuations d'intensité qui peuvent atteindre 1/100e de seconde. Le trou noir mesure 120 km de diamètre. A droite, en 1974 Hawking fit un pari contre Kip Thorne selon lequel l'objet massif ne serait pas un trou noir (alors que Hawking avait la profonde conviction du contraire). Hawking signa son pari et offrit à son ami un abonnement à l'édition anglaise de Penthouse (plus osée que l'édition US), reconnaissant implictement l'existence d'un trou noir. Documents Martin Kornmesser/ESA/ECF et S.Hawking.

Mais par définition, si on ne peut pas étudier une singularité complexe si par exemple elle concerne les propriétés d'une structure à l'échelle de Planck, aucune théorie ne peut expliquer les propriétés de la matière ou des interactions en dessous de cette échelle. Comment procéder ?

On pourrait s'attendre à ce que le mathématicien ne cherche pas à approfondir le sujet. Mais c'est mal connaître l'objectif de la science et surtout du rôle d'un chercheur comme Hawking spécialisé en mathématiques appliquées et en physique théorique. C'est justement dans ces conditions aux limites qu'on lui demande de faire ses preuves. Le défi risque d'être passionnant si lui et ses collègues découvraient quelque chose. Et c'est justement dans ce domaine très particulier que Hawking nous a proposé quelques idées très intéressantes, souvent intuitives, parfois supportées par des théories complètes dont les prédictions restent maintenant à vérifier in situ si les moyens nous le permettent.

Un trou noir

Les mini-trou noirs

En 1971, Hawking avança l'hypothèse que le phénomène de Big Bang dont oin connaissait encore peu de choses aurait dispersé dans l'espace des mini-trous noirs d’une masse d’environ 109 tonnes et de la taille d'un proton, appelés depuis les trous noirs primordiaux, ainsi que des trous noirs plus massifs de la taille d'une montagne. Des trous noirs aussi massifs que dix millions de soleil pouvaient également résider au centre des galaxies - il s'agit des trous noirs supermassifs - ce qui expliquerait l'intense énergie émise par les radiogalaxies et les quasars.

En 1976, Hawking et Don Page publièrent dans "The Astrophysical Journal" un article sur les trous noirs primordiaux, suivi peu après par un article sur le même sujet écrit par le mathématicien et astronome Bernard Carr. A ce jour, les trous noirs primordiaux manquent toujours à l'appel. On y reviendra.

Depuis ces annonces, les astrophysiciens tentent de découvrir ces fameux trous noirs supermassifs en observant le coeur des galaxies géantes, les quasars et tous les objets émettant une énergie beaucoup plus intense qu'une galaxie normale, signe qu'un processus non thermique est à l'oeuvre dans leur noyau. 

En pratique, la question de l'existence des trous noirs n'a pas encore été confirmée par une observation directe mais en 2017, grâce au réseau submillimétrique ALMA des astronomes on pu reconstruire l'image du trou noir supermassif de M87 (Virgo A). De plus, un faisceau d'indices probants comme l'on dit, suggère que les galaxies abritent des millions de trous noirs stellaires et qu'il existe pratiquement un trou noir supermassif au coeur de chaque galaxie, y compris dans le noyau de la Voie Lactée, dans la région de Sgr A*.

L'entropie des trous noirs

En novembre 1970, grâce à sa collaboration avec Penrose, Hawking était parvenu à comprendre comment se comportaient les trous noirs et se qui se passait à leur surface à mesure qu'ils évoluaient, engloutissant la matière ou fusionnant avec d'autres trous noirs.

A force de calculs et de simulations, Hawking découvrit qu'en appliquant les lois de la physique quantique à la cosmologie, il pouvait déterminer la dimension des singularités. Nous savons que la surface d'un trou noir est définie comme la limite à partir de laquelle la vitesse d'échappement est égale à celle de la lumière, c'est l'horizon de Schwarzchild ou horizon interne des évènements sous lequel rien ne peut plus s'évader, pas même la lumière.

Hawking découvrit que cet horizon ne pouvait pas diminuer lorsque le trou noir attirait de la matière. Si on prend une analogie avec la thermodynamique dit-il, c'est curieux, mais c'est exactement ce que dit la deuxième loi de la thermodynamique : "dans un système fermé, l'entropie (son degré de désordre) ne peut pas décroître".

Hawking considérait qu'un trou noir n'était pas un objet aléatoire. Non seulement à l'état de repos, il émettait des ondes gravitationnelles mais il se caractérisait uniquement par trois paramètres : sa masse, son moment angulaire, et sa charge. Mais pour son confrère, Jacob Bekenstein de l'Université de Princeton, si l'aire d'un trou noir représentait son entropie, c'était plus précisément son entropie multipliée par quelque chose, une constante, sinon il violait le second principe de la thermodynamique. Selon Hawking en effet, l'entropie d'un trou noir était nulle. Pour Bekenstein, il fallait donc trouver un moyen pour qu'en absorbant la matière le trou noir ne diminue pas l'entropie de l'univers. Bekenstein supposa alors que l'entropie *devait* augmenter quand le trou noir absorbait de la matière, et la surface de l'horizon était un excellent candidat.

Les différents types d'émissions associées à un trou noir. Document GSFC.

Il s'ensuivit un échange d'arguments par articles interposés jusqu'à ce que Hawking lui fasse remarquer que si un trou noir présentait une entropie, il avait donc aussi une température, et s'il avait une température, il devait émettre un rayonnement, mais que par définition un trou noir n'émettait rien, aucun rayonnement puisque c'était une singularité, pas un ensemble d'atomes ou de molécules ! Chercher l'erreur...

Il faudra environ un an à Hawking pour finalement découvrir en 1971 qu'un trou noir pouvait non seulement émettre un rayonnement, mais le faisait de manière constante.

Il pensa tout d'abord avoir fait une erreur de calcul et garda ses travaux pour lui : "Je craignais dit-il, que Bekenstein ne le découvre, et ne l'utilise comme argument pour appuyer sa propre théorie". Finalement Hawking le convainquit de l'exactitude de son résultat et qu'on pouvait utiliser la physique quantique pour expliquer le mécanisme de rayonnement qui porte aujourd'hui son nom.

Bekenstein s'y plia à contrecoeur, disant que c'était "fondamentalement exact mais d'une manière à laquelle je ne m'attendais certainement pas".

Hawking abordera la question plus tard  avec moulte détails dans la première version de son livre "Trous noirs et bébés univers" publié en 2000 puis supprima ce passage en disant simplement que Bekenstein lui avait fait une "suggestion cruciale". On lui attribue en réalité le fait qu'il voulait tourner la théorie de Bekenstein en dérision, "ricanant" de la théorie de son concurrent, la traitant de "scandaleuse", ou d'"insensée" pour accroître la valeur de ses résultats. Même son directeur de thèse, Dennis Sciama trouva "son ton méprisant face au travail de Bekenstein". Finalement tout le travail de son concurrent fut passé à la trappe comme si un trou noir était passé par là, laissant Hawking émerger seul auprès de son rayonnement, brillant comme à l'accoutumée ! L'historien des sciences redonnera son lustre à Bekenstein.

Dans l'esprit de Hawking, il n’y avait pas de paradoxe : si le trou noir grossit son entropie doit croître en parallèle, c'est l'un des principes de la thermodynamique. Il peut ainsi être en équilibre à une température non nulle et présenter un spectre thermique.

Si un trou noir peut ainsi s'évaporer, sa masse doit diminuer. Sa température étant inversement proportionnelle à sa masse, sa température doit donc s'élever. Appliqué en ces termes, la gravité de surface d'un trou noir devient alors synonyme de température. Si un trou noir est capable d'émettre de l'énergie, il doit donc exister une interaction entre le trou noir et son environnement.

Aussi, quand Hawking entendit lors du séminaire d'été des Houches en 1971 qu'un élève de John Wheeler prétendait qu'en vertu des lois de la thermodynamique un trou noir ne pouvait pas émettre de rayonnement, il fut très contrarié car si on respectait les lois de la physique quantique, c'était justement le contraire. D'ailleurs Jane, son ex-épouse s'est encore souvenue de cet épisode bien des années plus tard dans son livre "Une merveilleuse histoire du temps" (2015, ch.12).

En parallèle, Hawking découvrit en mai 1971 que lors d'une fusion (il parle de collision) entre deux trous noirs de masses égales (m) et de moment angulaire nul, il y a une quantité maximale d'énergie gravitationnelle pouvant être libérée égale à (2-√2)m. Mais sa plus grande découverte concerne les lois de la physique quantique appliquées aux trous noirs.

Prochain chapitre

Le rayonnement de Hawking

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